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Le loup coûte cher au détriment des priorités de la biodiversité (9)

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

En réponse au document "Le loup, 10 vérités à rétablir, la fin annoncée de l’élevage des moutons et une menace pour tous les animaux élevés en plain air", la Buvette vous propose les réactions croisées(1) de Pierre Rigaux (PR), Gérard Bozzolo (GB), Marc Laffont (ML) et Baudouin de Menten (BdM).

9ème "vérité"

"Oui, le loup coûte cher…au détriment des priorités de la biodiversité"

Oui, le loup coûte cher…

PR : Le « coût » du loup (qui représente l’équivalent de quelques ronds-points par an..) est en grande partie de l’argent donné aux éleveurs pour embaucher des bergers, restaurer des cabanes d’alpages et s’équiper. Quant aux indemnisations systématiques (qui font partie de ce « coût ») versées aux éleveurs pour toute perte due au loup possible ou avérée, peut-être faudrait-il oser en revoir le fonctionnement ? Par exemple responsabiliser les éleveurs en indemnisant plus cher ceux qui protègent bien leurs troupeaux, et en indemnisant pas ou moins les autres ? Les comportements changeraient, le coût total baisserait drastiquement…
BdM : le loup coûte cher?

a) En 2008, La Buvette s’était penchée sur la question du coût des prédateurs. A l’époque, le coût net du loup était de 1,7 eurocent par français et par an pour 10,16 € de subventions à la filière ovine par français et par an. La filière ovine en zone de montagne représentait 45 fois le coût brut annuel «grand prédateurs», ours et loups réunis.
b) Selon un nouveau blog pastoral: “Pour une population de 250 à 300 adultes recensée dans notre pays en 2012, chaque loup coûte ainsi entre 50 000 et 60 000 € par an." En prenant les chiffres les plus grands: 300 x 60.000 €  = 18 M €. En 2012, le loup a prédaté 4.120 brebis en France.  Il faudra m’expliquer comment chaque brebis prédatée représente un coup de 4.369 € ! Sur le marché une brebis s'échange eux alentours de 150 € !
c) Selon la Fédération nationale ovine, le retour du loup coûte 10 millions d’euros par an en indemnisations et protection des troupeaux (12 Millions selon le pigiste tarbais). Aucun ne développe son calcul !)  Un chiffre bien rond, à la grosse louche je suppose. Soit. Toujours selon la FNO, 5.000 à 6.000 bêtes seront tuées cette année par les loups. Le coût passe donc ici à 10 M € / 6.000 = 1.667 €  (ou 2.000 € pour l'autre) par brebis prédatée, c’est moins de la moitié du chiffre précédent! 

Assurance prédation : de l'ordre du coût d'un ballot de foin par brebis.
Assurance prédation : de l'ordre du coût d'un ballot de foin par brebis.

d) Et si les éleveurs s’assuraient? Sur base de ce chiffre rond de 10 M €, assez aléatoire, une assurance couterait 1,33€ par brebis et par an aux éleveurs.(7,464 millions d’ovins en France). En ajoutant le coût des prédations des chiens divaguants (inexistant pour certains), on resterait en dessous du coût... d’une petite balle de foin de 12 à 15 kg (soit 1,9 à 2,4 euros la balle au tarif du barèmes fourrage 2012).  
Le système de dédommagement des dégâts est complètement perverti en France.

  • Les éleveurs voudraient augmenter les dédommagement qu'ils trouvent insuffisants (pour moi à raison s'ils se protègent)... tout en dénonçant le coup total du loup. C’est schizophrénique! Ils regrettent aussi que les autres dégâts de chiens ne soient pas remboursés, tout en expliquant qu'ils sont négligeables... (bis) ;
  • L’Etat voit la population augmenter et en fait des cauchemars, au niveau planning des budgets ;
  • Les défenseurs des prédateurs dénoncent les exagérations des éleveurs qui “chargent” les prédateurs, seule source de remboursement. Ils voudraient lier les remboursements à une clause environnementale (la protection/cohabitation)

Résultat? Personne n’est content et sa gueule tous azimuts ! Il est grand temps de changer de système!

L'assurance prédation est LA solution!

L’Etat ferait mieux de concentrer tous les moyens financiers actuels sur la prévention, les moyens de protection et sur les études qui permettraient d’améliorer la protection des troupeaux, et d’abandonner les dédommagements. La remplacer par quoi? Par une assurance, plus juste et moins discutable. L'assurance prédation est pour moi LA solution! Eleveur bien protégé: petits risques, petites primes ; éleveur pas ou mal protégés: plus gros risques, plus grosses primes. C'est logique, inattaquable par les gens de bonne foi. C'est ce qui se passe "dans la vraie vie" pour nos assurances à tous !

Cette proposition n'est pas nouvelle. En 1999, Bracque écrivait : "En revanche, la mise en oeuvre d’un système d’assurance couvrant le risque naturel « grands prédateurs » pourrait constituer une solution viable. Les primes devraient être prises en charge, pour partie, par l’Etat selon les modalités définies dans le passé pour le risque « grêle ».

(...) dans des zones concernées par le retour du loup et en l’absence d’indices pouvant donner lieu à expertise génétique, la tendance sera de lui imputer systématiquement la responsabilité de ce type d’incidents. Dès lors, l’enveloppe d’indemnisation risque fort d’exploser."

(...) Une réflexion commune pourrait être envisagée avec les entreprises d’assurances pour généraliser la couverture de ce type de « risques naturels ». Une telle mesure, qui se substituerait au système actuel d’indemnisation des dégâts dus aux loups permettrait d’axer totalement le programme Life sur le suivi du loup et les mesures de prévention. » (Lire : Le code rural et l’assurance prédation dans le rapport Bracque de 1999)

ML : L'intégration des crédits destinés à la cohabitation homme/loup ne change au final pas grand chose au budget total nécessaire au maintien de l'élevage ovin, lequel se chiffre en centaines de milions d'€/an.
C'est un mirage d'imaginer que les “crédits loups” seraient économisés si un coup de baguette magique permettait de faire disparaître le loup du sol français : ces crédits continueraient à être versés au monde de l'élevage, sous un autre nom. Car il est nécessaire d'augmenter régulièrement les subventions ovines pour compenser la non-rentabilité structurelle.
D'ailleurs l'essentiel du budget, ce ne sont pas les indemnisations de “dégâts”, mais des mesures d'accompagnement. Le même phénomène s'est produit avec l'ours dans les Pyrénées, où les syndicats ont obtenu la dissociation de la question des aides de la question de la présence de l'ours. Ou comment avoir le beurre, et l'argent du beurre, les aides sans les ours !
Finalement, pour obtenir 10 millions d'€ sur le compte du loup, est-ce qu'une cinquantaine de loups vadrouillant entre Nice et Nancy n'est pas suffisante? Et si le loup disparaît, que deviennent les bergers intégralement subventionnés avec l'argent du loup ? Car pour nombre d'anti-prédateurs, et même s'ils ne sont guère diserts sur le sujet, il est clair que pour eux, berger est un emploi (comprendre, une charge) dont on se passerait bien en l'absence de grands prédateurs. Pourtant, le rôle du berger (le pâtre qui donne son nom au mot "pastoralisme ") est fondamental dans la bonne conduite du troupeau.

…au détriment des priorités de la biodiversité

PR : Non, le modèle actuel de pastoralisme n’est pas nécessairement bon pour la biodiversité et pour le paysage. Les très grands troupeaux mal dirigés entraînent d’une part l’appauvrissement de la flore et la dégradation des milieux dans les zones surpâturées, et d’autre part des zones délaissées s’embrouissaillent. L’image du pastoralisme forcément  « bon pour la montagne » ou “bon pour la nature” est un mythe.
GB : L’espèce ovine permet un entretien du paysage de qualité à condition qu’elle ne soit pas livrée à elle-même et qu’elle soit conduite. En effet, physiologiquement, l’animal doit sélectionner les végétaux ou parties végétales les plus digestibles et, de ce fait, a tendance à surpâturer certains endroits tout en délaissant d’autres, lesquels se lignifient et finissent par se transformer en zone de refus. Ce n’est donc pas le pastoralisme en tant que tel qui est “bon pour la biodiversité”, mais le pastoralisme dirigé, c'est à dire le troupeau avec son berger s'il est actif et attentif !

Pour disposer d’une estive avec de bonnes qualités fourragères et paysagères, il est nécessaire que les troupeaux soient gardés de façon active par des bergers afin d’en rationaliser l’exploitation. Le gardiennage présente l’avantage de ne pas sélectionner les plantes résistantes au feu.
La conduite active du troupeau permet aussi, par exemple, d’exploiter judicieusement certains ligneux comme le genêt cendré (possédant des vertus anthelminthiques, contre les strongles notamment) ou bien les jeunes éricacées et d’accroître la diversité de pâturage.
C’est le travail du berger qui par sa conduite permet de tourner le troupeau par quartier en exerçant une pression de pâturage suffisante et évite l’envahissement par les ligneux et les éricacées.  Ainsi, le rôle du berger est essentiel et ce métier doit absolument être valorisé.

Pourtant, ce n’est pas la fonction prioritaire qui lui est habituellement attribuée ou assignée par les éleveurs. La qualité évolutive des estives sur le long terme ne constitue pas à leurs yeux une préoccupation majeure d’autant qu’il s’agit là, pour l’essentiel, d’espaces collectifs. Leur demande repose plutôt sur les soins aux animaux qui permettent de préserver leur intégrité, la limitation des pertes tant pas égarement que par prédation.
Les animaux laissés en libre pâture entraînent sur le long terme une fermeture du milieu dans les parties d’estive délaissées et créent également des zones de surpâturage et même d’érosion, particulièrement en crête.
La conduite active du troupeau par le berger permet d’effectuer ce qu’on appelle des relances alimentaires. Cette pratique permet de restimuler l’appétit des animaux.
(Source : La multifonctionnalité dans l'espace montagnard)
Justine DERVAUX(2) : Dans les pyrénées, le libre parcours des brebis et l'absence de gardiennage (en zone à ours) sont considérés, comme dans l'appellation Barèges-Gavarnie par exemple, comme des pratiques "immémoriales" et bénéfiques. Il semble que celà ne soit pas sans conséquences: les parcours pastoraux et pâturages d’altitude, lieux de mélange d’animaux de statuts sanitaires différents, concernent un grand nombre de milieux naturels : pelouses alpines, landes, sous-bois, éboulis, zones humides… supports d’une vie sauvage particulière et emblématique.

Face à l’augmentation des populations d’ongulés sauvages de montagne et à la pression grandissante exercée par la transhumance en été, le Parc national des écrins a pour objectif, outre la protection du patrimoine naturel de son territoire, de gérer au mieux la cohabitation entre faunes domestique et sauvage, source potentielle de transmission d’agents pathogènes, contribuant à l’amélioration de la sécurité sanitaire en alpage.
Les principaux risques liés à l’inter-transmission de ces agents sont :

  • la contamination de l’Homme,
  • les pertes économiques engendrées par ces maladies en élevage,
  • la mise en danger d’espèces sauvages.

La séparation des espèces limite la transmission de maladies par contacts. En pratique, elle nécessite l’application de mesures de gardiennage (clôtures évitant la divagation d'animaux domestiques, la présence d’un berger et/ou de chien(s) de troupeau). La gestion des parcours empruntés par les troupeaux ainsi que le choix des zones à pâturer, partie intégrante de la conduite du troupeau, permet de limiter les contacts et les successions des ongulés domestiques et sauvages. (Source : La divagation des animaux domestiques en alpages : une pratique à risques sanitaires).
ML: Avant de s'en prendre aux “écolos-bobos-citadins-irresponsables”, les éleveurs devraient d'abord demander des comptes aux chasseurs, oui, aux chasseurs! Car s'il est exact qu'en période estivale, la présence de troupeaux domestiques plus ou moins bien surveillés améliore significativement l'ordinaire des meutes de loups, ceux-ci pourraient se trouver fort dépourvus, le temps de la bise venu.

Or, il n'en est rien, grâce à l'explosion “organisée” des populations d'ongulés sauvages, mais aussi grâce à une formidable initiative visionnaire des années 50 : introduire le mouflon, notamment dans les Alpes, alors que cet herbivore, absolument pas adapté aux hivers montagnards neigeux dans les steppes de son aire de distribution naturelle (Proche et Moyen-Orient), représente un matelas de sécurité alimentaire hivernal assez inestimable pour le loup ! De là à penser que les chasseurs ont anticipé (prémédité?) le retour du loup avec 40 ans d'avance, il n'y a pas loin... En tous cas, moi je dis “Merci les chasseurs!” 

(1) Pierre Rigaux est naturaliste dans les Alpes-du-Sud ;
Gérard Bozzolo est Ingénieur Agronome, maître de conférences à l'Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Toulouse ;
Marc Laffont est Technicien en agriculture et environnement, il dispose d'une maîtrise en Ecologie ;
Baudouin de Menten, écoconseiller est le webmaster de la Buvette des Alpages.
(2) Justine Dervaux est Docteur Vétérinaire.

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