LE REMPLAÇANT d'après Maupassant
Ce jour-là, nous discutions,
Mon ami Paul Lermois,
Capitaine des Dragons,
Et moi,
Assis à la terrasse d’un café.
-« Cette dame qui vient de passer,
Tu l’as vue ? C’est Mme Jardel. »
-« Cette personne au bonnet de dentelle ? »
-« Oui. Son mari était notaire
À Pithiviers.
Et elle, utilisait le premier clerc
…Pour son service particulier ! »
-« Elle aimait les hommes somme toute.
…C’est naturel !
N’aimons-nous pas les jolies demoiselles ? »
-« Si, si. Mais voici la suite, écoute :
Hier, deux hommes de ma compagnie,
Les brigadiers Lagoutte et Magny
Se flanquaient une de ces tripotées !
Ils se battaient
…Pour cette Mme Jardel !
Je les sépare et Lagoutte m’interpelle :
-‘’ Y a z’environ dix-huit mois,
Je me promenais avenue du Bois
Quand m’aborda une particulière :
-‘’ Voulez-vous, beau militaire,
Gagner dix francs,
Chaque semaine, et honnêtement ? ’’
J’lui dis oui. Alors, elle me dit :
-‘’ Venez demain à midi
Au 6 rue de Grenelle.
Je m’appelle Mme Jardel.’’
-‘’ J’y manquerai pas.’’
Puis elle me quitta,
L’air content
En ajoutant :
-‘’ Je vous remercie.’’
-‘’ C’est moi qui vous remercie.’’
Le lendemain à midi, au 6 rue de Grenelle,
Je sonnais chez elle.
-‘’ Dépêchons-nous, mon chat
Parce que ma bonne pourrait revenir.’’
-‘’ Qu’est-ce que j’dois accomplir ? ’’
Alors elle se mit à rire et riposta :
-‘’ Tu ne comprends pas ?
Viens t’asseoir près de moi, là.
Et jure-moi, mon minet, qu’après,
Tu resteras muet.
Sinon,
Je te fais mettre en prison.’’
Je lui ai juré ce qu’elle a voulu,
…Mais j’y étais plus.
Pi v’ là qu’ell’ m’embrasse
Et qu’ell’ m’jette à la face :
-‘’ Tu veux bien ? ’’
J’ comprenais rien.
Alors, ell’ me fit saisir clairement
De quoi i’ s’agissait vraiment.
Alors j’ lui ai montré qu’ dans l’armée
On n’ reculait jamais.
Mais à c’t’ heure,
Ça m’ tentait guère
Vu qu’ la particulière,
Elle était pas dans la primeur.
Mais faut pas s’ montrer regardant,
Car i’ s’ fait rare l’argent.
Corvée finie, ell’ aurait bien voulu
M’ garder un peu plus.
Alors j’ lui ai dit :
-‘’ Un p’tit verre, ça coûte deux sous,
Deux p’tits verres, ç’est quatre sous.’’
Ell’ comprit
Et m’ donna dix francs.
V’là deux ans
Qu’ça dure, mon cap’taine.
J’y vas chaque semaine.
Or mardi,
J’ me trouvai indisposé.
Pas moyen de m’ déplacer.
J’ me mangeais les sangs,
Rapport aux dix francs
Dont j’ me trouve accoutumé.
Si personne y va, j’ suis rasé.
Qu’ell’ prendrait un artilleur. Vrai !
Ça, ça m’ révolutionnerait.
J’appelle Magny, que nous sommes pays,
Et j’ lui fais le récit :
-‘’ Vas-y. Y aura cent sous pour toi,
Cent sous pour moi. ’’
Y consent, et le v’là parti.
Y frappe ; ell’ l’introduit.
Ell’ l’y regarde pas,
S’aperçoit point qu’ c’est pas l’ même.
Un soldat et un soldat,
Quand ils ont l’casque, c’est idem.
Soudain, ell’ découvre la transformation.
Consternation !
-‘’ Qui êtes-vous ?
Que voulez-vous ?’’
Magny démontre que j’ suis indisposé,
Expose que j’ l’ai adressé
Comme remplaçant.
Ell’ l’accepte vu qu’ mon bonhomme,
Il est pas mal de sa personne.
Mais quand c’t garnement
Fut revenu,
Il voulait plus
Me donner mes sous.
Alors j’ y dis, j’ vous l’avoue :
-‘’ T’es pas délicat pour un dragon.
Même que tu déconsidères not’ garnison.’’
-‘’ C’te corvée-là,
Ça valait ça.’’
J’y ai mis mon poing dans l’ nez,
Saperlipopette !
Chacun son jugement, pas vrai ?
Vous avez connaissance du reste. ’’
-« Comment ça s’est arrangé ? Dis-moi donc. »
-« Mme Jardel a gardé ses deux dragons ! »