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[note de lecture] Gertrud Stein, "Lève bas-ventre", par Jean-Pascal Dubost

Par Florence Trocmé

Stein Lève bas-ventre est autant un travail de création poétique qu’un travail de création traductrice ; et Christophe Lamiot Enos explique avec finesse les siens choix qui furent de trahir l’original pour obtenir une infidèle signification mais un sens fidèle au mieux. Les deux derniers vers de Gertrud Stein disent ceci : « Au cœur d’écrire./Au cœur d’écrire il y a réjouissances. » Et cela est ce qu’a voulu rendre le traducteur, la réjouissance, sinon, pour user d’un terme ancien, la conjouissance, au sens du réjouir ensemble (le réjouir auteur/traducteur, le réjouir auteur/lecteur). Car cela relève d’une gageure, que traduire les étrangetés de langue poétique de Gertrud Stein, afin d’approcher un rythme grammatical porteur d’un réjouissement de la langue. Lève bas-ventre est présenté comme un livre de poèmes érotiques, ce qui se peut discuter, pour la raison que les sens érotiques du lecteur ne sont nullement titillés (la raison, en revanche, l’est, titillée). Le choix du mot « bas-ventre », pour désigner l’emplacement sexuel et érotique de la femme pose à distance la notion du plaisir érotique. Le bas-ventre semble observé et comme objet, plutôt que sujet porteur. Si érotisme il y a, c’est un érotisme sonore, principalement, celui d’un sens fait d’une rythmique toute steinienne, le traducteur l’exprime à demi-mots : « Stein considère les mots et les groupes de mots à la façon de séquences sonores passant à l’oreille, se superposant parfois les unes et les autres, partiellement ici, là tout à fait. L’élaboration de l’œuvre dépend directement des effets ainsi obtenus ». Les superpositions sonores, effectivement, produisent quelques sensations auditives, mais une grammaire érotique. Le sexe érotique mis à distance, le désir humain mis en regard impersonnel, l’esprit d’écriture domine et mène la danse pour désérotiser le corps et érotiser l’écriture. « Lève bas-ventre » passe un peu pour un personnage, un personnage allégorique, celui de la pensée. Oserait-on dire : une pensée d’Éros ? « Lève bas-ventre » est pensée, pensée de la langue, entre ritournelle et litanie, pensée en boucle, qui introduit dans son mouvement des fragments de la réalité vécue, du quotidien, frottés ensemble dans la décision opérée par le traducteur d’effets sonores telles l’homophonie ou l’homonymie pour glisser quelque effet de plaisir de langue. Comme tout érotisme qui est le théâtre de jeux corporels, la grammaire érotique de Gertrud Stein est jeu, se joue d’elle-même, comme d’une qui prendrait plaisir solitaire, ainsi de ses propres reprises « Lève bas-ventre peut me satisfaire parce que c’est une occupation que je prise./Rose est une rose est une rose est une rose. », ou par quelque reprise palimpseste d’une grande sensuelle de la poésie française, Louise Labé, « Baise mes lèvres encore et encore et encore à nouveau elle les a baisées encore et encore et en corps à nous vaut. » : jeu référentiel et jeu homophonique : comme l’érotisme est jeu, assavoir théâtralisation du corps. Si érotisme il y avait, fors l’érotisme grammatical qu’ici je souligne, ce serait, au contraire de ce qui se dit poncifiquement de l’érotisme, assavoir voilage des corps, exacerbation des sens par une chorégraphie des parties sexuelles, dévoilement progressif et excitant voire, si érotisme il peut y avoir, dans ce livre, il s’agirait, à mon sens, d’un érotisme du revoilement de la réalité amoureuse et physique. Nous sommes une fois encore dans l’étrangeté d’une langue poétique, celle de Gertrud Stein. 
 
[Jean-Pascal Dubost] 
 
Gertrud Stein, Lève bas-ventre, traduit par Christophe Lamiot Enos 
Editions José Corti, 17€


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