37 days est une minisérie britannique de trois épisodes qui a été diffusée du 6 au 8 mars sur les ondes de BBC Two. L’action débute le 28 juillet 1914 avec l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’Empire austro-hongrois alors en visite officielle en Serbie. Comme le titre l’indique, nous suivons lors des épisodes les tractations diplomatiques entre les chancelleries européennes qui ont suivies et qui en 37 jours ont visiblement échoué puisqu’au 4 août, débutait la Première Guerre mondiale. À l’occasion du centenaire de cette date fatidique, la BBC a pris l’initiative de souligner l’événement et pour les quatre années à venir, présentera plus de 130 programmations radio et télévisuelles, du documentaire à la fiction, équivalant à 600 heures de nouveaux contenus. 37 days qui entre dans ce corpus est une fiction fascinante qui remet en perspective les enjeux de l’époque, n’omettant pas d’y inclure les malentendus, la mauvaise foi et la fierté mal placée, tous pays confondus.
Servie ou Serbie?
Qui pouvait prévoir qu’un attentat, suivi d’une menace de guerre de l’Autriche-Hongrie à l’égard d’un pays comme la Serbie servirait de détonateur à un conflit mondial? Personne, comme on peut le voir dans le premier épisode de 37 days. On nous montre tout de suite la réaction anglaise avec pour principal acteur des événements à venir Sir Edward Grey (Ian McDiarmid), alors ministre des Affaires étrangères. Lors d’un souper entre lui, le premier ministre Herbert Henry Asquith (Tim Pigott-Smith) et un certain Winston Churchill (Nicholas Asbury), Premier Lord de l’Amirauté, ils prennent l’événement à la légère et même Margot (Sinéad Cusack), l‘épouse d’Asquith, se demande s’il y a un « v » ou un « b » dans le nom du pays concerné. On se rend vite compte que le pays concerné sert d’excuses à plusieurs nations pour régler leurs comptes entre elles. En Allemagne, le kaiser William II (Rainer Sellien) propose d’appuyer l’Autriche-Hongrie en vue d’une guerre éclair serbe. Mais ce sont les hésitations de son acolyte, l’empereur François-Joseph, qui laissent le temps aux autres pays de tirer leur épingle du jeu. Le tsar de Russie Nicolas II entend profiter de la confusion pour mobiliser de façon préventive des troupes à la frontière et peut-être éventuellement renfoncer sa mainmise dans les Balkans. Alors qu’il devient de plus en plus évident que ces puissances s’affronteront, la France s’apprête à prendre part au conflit en raison d’une alliance défensive signée avec la Russie en 1912 alors que depuis plusieurs décennies, les deux pays entretenaient plusieurs liens commerciaux. Reste l’Angleterre, jusque-là éloignée de l’embrasement et qui veut jouer le rôle de médiateur. Seulement, l’Entente cordiale signée avec la France en 1904, puis l’invasion des Allemands de la Belgique, pays dont la neutralité n’a pas été respectée, l’oblige à entrer aussi dans le conflit. Ce sont ces rapports complexes qu’on exploite à fond dans la série et les rencontres incessantes entre les différents diplomates nous exposent à un enjeu nouveau pour le XXe siècle : la communication éclair, c’est-à-dire l’arrivée du téléphone et du télégraphe. Certes, on peut rapidement éteindre des feux, mais on peut aussi en allumer tout autant en mobilisant rapidement des troupes ou à la suite de malentendus.
Le suspens de l’Histoire
Si on est suspendu à l’écran tout au long de la minisérie, c’est qu’on connait le drame qui en résultera et toute son ampleur. Entre les scènes, on nous montre sur fond noir le nombre de jours qui diminue avant la date fatidique. Ici, un crescendo est habilement créé puisqu’à la fin du premier épisode, 24 jours s’écoulent et qu’à la fin du second, il n’en reste plus que trois; ce qui rend le dernier épisode encore plus poignant puisqu’il s’agit d’une dernière chance avant que la planète ne devienne un véritable brasier. Au point de vue mise en scène, outre une fidèle reconstitution d’époque, la narration est assumée par deux jeunes préposés, l’un Allemand, l’autre Anglais, travaillant dans leurs chancelleries respectives. En plus d’apporter un point de vue lucide au téléspectateur, ils sont néanmoins impuissants dans le cours des événements, mais seront les premières victimes de tout ceci puisque tous deux s’enrôleront dans l’armée… et seront probablement tués. Enfin, le montage nous donne plusieurs moments forts, notamment lorsqu’on assiste à la correspondance entre kaiser et le tsar. On entend le contenu de la correspondance échangée entre les deux hommes qui commencent leurs lettres par « Dear Nicky » et « Dear Willy ». En même temps, on alterne les plans des deux souverains. Cette mise en scène témoigne non seulement d’un dialogue de sourds, mais aussi de l’hypocrisie entre ces cousins[1] qui en coulisse planifient d’anéantir le pays de l’autre.
Relativiser
Lors de l’annonce de l’arrivée prochaine de 37 days, James Jackson écrivait dans son article : « BBC Two is to mark the 100th anniversary of the First World War with a factual-drama serial that will overturn orthodox assumptions about the war’s inevitability » et c’est probablement ce qu’il y a de plus fascinant dans la série. Comme dans la plupart des celles-ci portant sur l’Histoire, on a beau savoir comment ça va finir, en tant que téléspectateur qui regarde une fiction, une part de nous espère toujours qu’il aurait pu en être autrement. Et c’est justement le ton objectif dans ce cas-ci qui nous laisse y croire. La propagande de l’époque qui perdure encore veut que les Allemands voulussent la guerre et que William II fût le diable en personne. Dans la série, le kaiser était partisan d’une intervention en Serbie seulement, mais on voit au dernier épisode la crainte qui l’habite de déclencher une guerre. Il faut avouer que son conseiller principal, Moltke (Bernhard Schütz) est très convaincant. En justifiant la guerre contre la Russie, il avance qu’avec ses ressources et son potentiel, elle pourrait d’ici quelques décennies supplanter l’Allemagne et qu’il est préférable d’agir maintenant puisque « deux superpuissances ne peuvent cohabiter ». Dans le cas de la France, il est persuadé que la guerre sera courte (six semaines tout au plus « A quick clean war »), le pays ayant eu 42 ministres de la guerre en 43 ans… Quant à la république, elle est loin d’être blanche comme neige. Elle n’a toujours pas digéré la défaite de 1870 contre l’Allemagne qui lui a valu la perte de l’Alsace-Lorraine. Alors qu’à Londres, le diplomate allemand, le prince Prince Lichnowsky (Urs Remond), attend aux côtés de son acolyte français Paul Cambon (François-Éric Gendron) pour une entrevue avec Sir Grey, le premier demande : « have you been waiting long ?» et le second de répondre : « only since 1870 ». Au cours de ces 37 jours, tous les pays impliqués avaient si peur d’être surpris par une déclaration de guerre de l’ennemi qu’ils se sont tous armés en conséquence. Une fois les troupes mobilisées il était trop tard pour reculer. Comble de l’ironie : le contentieux au départ concernait la Russie et l’Autriche-Hongrie et ces deux pays ont été les derniers à se déclarer la guerre, après l’Allemagne, la France et l’Angleterre.
100 ans déjà d’un conflit qui pourrait avoir autant de résonnance que les guerres napoléoniennes au XIXe siècle; c’est-à-dire de l’histoire ancienne qui ne compte presque plus de survivants. Bien qu’il aurait été intéressant qu’on nous donne à parts égales les points de vue de toutes les nations concernées, 37 day est une série remarquable qui empêche cette page de l’histoire de tomber aux oubliettes, surtout lorsqu’on pense à ce qui se déroule en ce moment entre la Russie et l’Ukraine. En espérant que le passé n’est pas garant de l’avenir.
[1] Ils sont tous deux descendants de la reine Victoria.