L’orage vient de finir, et cependant nous sommes inquiets, anxieux, comme si l’orage allait éclater. Presque toutes les choses humaines demeurent dans une terrible incertitude. Nous considérons ce qui a disparu, nous sommes presque détruits par ce qui est détruit; nous ne savons pas ce qui va naître, et nous pouvons raisonnablement le craindre. Nous espérons vaguement, nous redoutons précisément; nos craintes sont infiniment plus précises que nos espérances; nous confessons que la douceur de vivre est derrière nous, que l’abondance est derrière nous, mais le désarroi et le doute sont en nous et avec nous. Il n’y a pas de tête pensante si sagace, si instruite qu’on la suppose, qui puisse se flatter de dominer ce malaise, d’échapper à cette impression de ténèbres, de mesurer la durée probable de cette période de troubles dans les échanges vitaux de l’humanité.
Paul Valéry, Conférence / Zurich, 1924 (pro-europa.eu/fr)