Tu ne voulais pas. Non, ne voulait pas. Transpirer ce type-là. Ce type que tu dissimules derrière un masque, d’ordinaire. Ce type bancal, le long du chemin. Ce type que sa canne maintient debout. Tu ne voulais pas. Non, ne voulais pas. Exhiber au monde ce visage. Ce visage massacré. Ce visage qui effraie. Ce visage sans sourire. Mais ce soir, tu avais beau ne pas vouloir. L’ombre de la nuit, le chagrin du vent, la fatigue du temps t’ont rattrapé. Et tu as poussé un cri. Le deuxième de ta vie.
Peut-être beaucoup trop fort. Peut-être bien trop mal. Un cri désordonné. Sorti à l’improviste. D’un trop-plein. D’un néant. Pour tout. Pour rien. Ce cri d’un homme qui souffre clandestinement, depuis un siècle déjà. Ce cri d’un homme trop conscient de la contingence de son existence. Ce cri d’un homme qui ne trouve plus l’issue de secours d’une vie sans saveur. […] Si issue de secours il y eut un jour.
Tu ne voulais pas. Non, ne voulais pas. Mais il est déjà trop tard. Tu as distingué le monde se retourner soudain sur toi. As distingué tous ces doigts pointés en ta direction. As entendu, au loin, sonner le glas. Et, en une fraction de seconde – à peine –, tu t’es retrouvé là. Devant ce type en blanc qui disait ne vouloir que ton bien. Mais ne comprenait rien. Rien. Et tu avais beau lui expliquer. Lui expliquer encore. Lui prouver par A + B que. Lui ne voulait pas. Non, ne voulais pas. Voir cette vérité. Ta vérité. Et c’est avec pitié qu’il te regardait, ce type-là. Avec un air de cause toujours l’illuminé. Toi qui t’étais battu, toute ta vie durant, pour rejoindre leur monde. Ce monde qui t’avait toujours semblé absurde. Lui ne daignait même pas poser un regard sur le tien. Le malade, c’était toi. Pas les autres. Toi.
Tu ne voulais pas. Non, ne voulais pas. Et voilà qu’à côté de ta purée, mille et une pilules roulent déjà sur le plateau. Tu ne voulais pas. Non, ne voulais pas. Tu t’étais toujours interdit de faire entrer en toi tout ce qui pourrait te faire perdre, ne serait-ce qu’un instant, celui que tu es. Jamais tu n’avais bu, ni ne t’étais drogué. Jamais tu n’avais cédé à la facilité. Tu étais resté toi, malgré tout ce que ça avait pu te coûter, à rester trop près de cette image que te renvoyait le miroir. Tu ne voulais pas. Non, ne voulais pas. Fuir. Fuir celui que tu étais. Fuir, c’était lâche. Et tu avais peut-être tous les défauts du monde, mais tu n’étais pas lâche. C’était ta seule fierté, peut-être.
Tu ne voulais pas. Non, ne voulais pas. Mais déjà, y’a l’autre. Cet autre type en blanc. Qui reste là, planté devant toi. Et qui ne te lâche pas des yeux. Ces yeux piquants. Qui te démangent là où ils se posent. Alors, pour qu’il s’en aille enfin, tu cèdes. Tu prends ton verre d’eau, déposes la poignée de pilules dans ta bouche, prends une gorgée d’eau, et bois. Ça y est, tu es monté dans la barque, et sillonnes le Styx, impuissant. Mais déjà tu as peur : qui seras-tu là-bas ? De l’autre côté.Tu ne voulais pas. Non, ne voulais pas. Mais déjà, tu n’es plus vraiment là.