J’ai failli perdre mon sang froid. Peut-être l’ai-je un
peu perdu. Peut-on parler pendant les publicités au cinéma ? Je me (vous)
pose la question, parce que je me suis fait verbalement agressé par un
spectateur énervé qui nous a vociférés dessus, un ami et moi, parce que nous discutions pendant les
publicités.
C’était dans la grande salle 10 à l’UGC Ciné Cité Les
Halles pour découvrir le réjouissant « The Grand Budapest Hotel » de
Wes Anderson. Dans la salle, mon amie et moi étions tombés par hasard sur mon alter-ego
cinéphile Michael de Fun Culture Pop
que je n’avais pas vu depuis quelques semaines. Comme d’habitude, aux Halles,
il n’y avait que quelques secondes d’espacement entre les séances, et du coup,
à peine entrés en salle, ce sont les publicités qui commencent (les bandes
annonces, ils ne connaissent pas là-bas, hormis celles payées par les
distributeurs).
Et voilà, comme la plupart des spectateurs pendant les
publicités, Michael et moi nous sommes mis à discuter, d’autant plus facilement
que nous sommes tombés l’un sur l’autre par hasard. J’ai beau être moi-même un
spectateur maniaque - je ne m’en cache jamais dans ces pages - un spectateur
qui ne supporte pas les gens qui parlent pendant un film, je n’ai jamais reproché
à un cospectateur de discuter pendant les pubs et bandes annonces. Tant que les
gens se tiennent pendant le film, ils peuvent bien parler autant qu’ils veulent
avant, d’autant plus facilement le weekend, en après-midi, dans une salle
pleine ou presque.
Nous voici donc discutant, probablement des derniers
films que nous avions vus, quand tout à coup, telle la foudre s’abattant sans
crier gare, le voisin de Michael se met à nous hurler dessus « Mais c’est
pas possible, c’est pas bientôt fini, on est au café du commerce quoi ??!!!
On peut pas regarder les bandes annonces tranquillement !!?? », le
tout avec une férocité prompte à éclater un tympan.
Abasourdi, je restai coi quelques instants, ne comprenant
pas vraiment ce qui venait de se passer. Le temps de reprendre mes esprits, je
lui répondis. Mon esprit bouillonnait tellement
qu’à vrai dire je ne me souviens plus vraiment de ce que je lui répondis
à part que ce n’étaient que les publicités et que nous ne moufterions pas
pendant le film si c’était ce qui l’inquiétait, mais comme il ne se calmait
pas, je lui lançai qu’il n’avait pas intérêt de son côté à l’ouvrir pendant le
film parce que sinon ma réaction fuserait. On s’est envoyé une ou deux
répliques sèches avant de finalement se taire pour regarder religieusement le
reste des publicités. J’aurais nettement mieux réagi sans l’agression verbale,
après tout si quelqu’un tient absolument à voir les pubs sans dérangement, si
on me le demande gentiment, mais il n’y avait rien de civil dans la réaction de
ce spectateur.
Je ne pus m’empêcher, à la fin de la publicité suivante (pour
une voiture) de m’extasier ironiquement et assez fort pour qu’il m’entende
« Aaaah ça c’était une belle pub, je suis bien content de l’avoir
vue ».
Une heure et quarante minutes plus tard, lorsque le
générique de fin de « The Grand Budapest Hotel » commença à défiler,
ce cher spectateur n’attendit pas longtemps avant de se tourner vers sa femme
pour déblatérer avec elle. L’envie de l’alpaguer fut très forte pour lui faire
remarquer que je voulais regarder le générique sans ses commentaires parce que
contrairement aux pubs, le générique fait partie du film, mais l’énervement que
cela aurait certainement provoqué en moi m’aurait gâché l’euphorie dans
laquelle Wes Anderson avait réussi à me plonger. Aussi me suis-je tu. J’ai
laissé les aventures du Grand Budapest Hotel et de ses occupants à travers les
époques s’insuffler en moi sans que la bêtise humaine ne vienne égratigner cet
instant de grâce offert par l’un de mes cinéastes fétiches. Le jeu n’en valait
pas la chandelle, pour quelqu’un qui tient en plus haute estime les publicités
que le générique de fin.