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De l'Orateur - Livre 1 (-55) de Cicéron

Par Colimasson


Crassus et ses disciples, assis sous un platane, perpétuent la tradition d'un Platon et d'un Phèdre qui avaient déjà choisi pareil cadre, au bord de l'Ilissos, pour causer de beauté et d'amour, de dialectique et de rhétorique. Crassus, moins volage quant aux sujets de son éloquence, se concentrera uniquement sur l'art de la rhétorique.
" Qu'y a-t-il [...] de plus sot que de parler sur la manière de parler, puisqu'en lui-même, le fait de parler est toujours une sottise, à moins que ce ne soit une nécessité ? "
Il n'empêche, lorsque Cicéron écrit son dialogue, l'éloquence se compte au nombre de ce que tout romain considère comme les maximae artes, égalant l'importance de la politique et de la guerre, et dépassant celle des mediocres artes : la philosophie, les mathématiques, la musique, la grammaire et la poésie. Comme tout bon orateur, Cicéron accorde l'originalité de la forme à la densité du propos. Le dialogue constitue alors un bon moyen de faire s'enchaîner des idées contradictoires ou complémentaires sur cette modalité de l'éloquence qu'est la rhétorique. Crassus domine la joute oratoire mais ses interlocuteurs lui donnent du fil à retordre. Chacun présente un rapport particulier à l'éloquence, qu'il s'agisse de M. Antonius, modèle de l'orateur habile " toujours prêt à se contredire lui-même, ne publiant aucun de ses discours, afin de ne pas se voir opposer quelque jour ses propres paroles et de pouvoir nier des opinions précédemment exprimées ", de C. Aurelius Cotta, représentant du genus dicendi mais " d'une santé médiocre, ne pouvant à cause de la faiblesse de ses poumons se permettre les grands mouvements d'éloquence ", Catulus l'helléniste, " au goût délicat et à la culture érudite, passionné pour les choses de la Grèce, parlant et écrivant le grec en perfection ", ou le piquant Vopiscus qui savait l'art de " traiter les sujets sérieux avec enjouement, les sujets tragiques avec le piquant de la comédie, répandre sur toutes les choses ordinaires de la vie l'agrément et la gaîté ".
Dans le premier volume de L'orateur, le dialogue cherchera uniquement à trouver un accord sur les qualités qui doivent être celles de l'homme éloquent. Cicéron, lassé des rhéteurs à tête vide, refuse de définir l'éloquence comme seul art du parler : elle est aussi art du penser car " tout ce qui se conçoit bien s'énoncé clairement ", comme l'écrira plus tard Nicolas Boileau. Redonnant à César ce qui lui appartient, il souligne l'origine de l'éloquence, précédant de longtemps cet ensemble de règles que constitue la rhétorique.
Le bien-penser, pour Cicéron, donne la priorité à la connaissance du droit et de la politique en général. Il ne s'agit donc pas de batifoler et de développer son éloquence pour le seul plaisir de conter fleurette à sa dulcinée. De l'orateur est issu d'une époque lointaine au cours de laquelle l'éloquence et la politique ne reniaient pas leurs affinités.
Finalement, Cicéron nous convainc-il de sa propre éloquence ? Malgré la forme du dialogue, les répliques s'enchaînent selon un ordre très rigoureux. On contemple un mécanisme bien huilé qui laisse peu de place à la fantaisie. Le latin écrit, laissé à la libre traduction de nos contemporains, était-il celui que les orateurs utilisaient lorsqu'ils s'adressaient à leurs pairs ? Il faut reconnaître que ce dialogue ne peut pas nous donner une idée précise de l'éloquence réelle de Cicéron. Peu nombreux furent les orateurs à s'engager sur la voie dégagée par son dialogue. Il faudra attendre l'époque impériale pour voir apparaître Tacite qui reprendra ces théories. On comprend que cet art rigoureux et austère en ait dissuadé plus d'un...


peinture : Socrate et Phèdre au bord de l'Ilissos. Moteley, Jules Georges
Distinction des trois genres d'éloquence empruntés à Aristote :

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