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Partir avec Rimbaud et ne pas revenir de Tadjourah

Publié le 14 mars 2014 par Romuald Le Peru @SwedishParrot

Quelle idée de m’être lancé là-dedans. Sur le coin d’un étal de libraire m’attendait un jour un livre à la couverture orangée, un livre portant sobrement son titre comme une allumette tendue dans la nuit africaine, comme pour baliser le chemin vers la ville plongée dans l’obscurité. Un nom ; Sébastien de Courtois. Je me suis dit que c’était encore un de ces voyageurs tout droit sortis de Neuilly qui s’est encanaillé dans les bas-fonds des cales du port de Manille ou dans les bordels de Hambourg. Mais non, enfin peut-être mais peu importe, ce qui importe c’est que le type est journaliste et a déjà écrit quelques livres sur les Chrétiens d’Orient, et là, il parle à mon cœur. Un titre ; Éloge du voyage, sur les traces d’Arthur Rimbaud. Évidemment, ça touche encore son cœur de cible, ça parle directement à l’amateur, celui qui aime le voyage autant que la poésie, alors la résistance n’opère pas longtemps et on finit par passer en caisse avec la bave aux lèvres. Comme tout bouquin qui se respecte, j’aime les laisser mûrir dans un coin de la maison, à l’abri de la lumière et de l’humidité, à une température de 14°C maximum ; on le sort ensuite au grand-jour pour le chambrer, pour lui faire atteindre gentiment la température de 16°C et c’est alors qu’on l’ouvre délicatement et c’est rare qu’on y trouve des morceaux de bouchon tombés dans la robe.
L’écriture y est barbare, rude, une écriture sans complaisance et qui parle avec la voix éraillé de ceux qui ont trop cauchemardé, tellement cauchemardé qu’ils ont crié dans leur sommeil, mais c’est une écriture pleine de poussière du désert, de cette poussière qu’on nettoie en se plongeant dans les eaux diaboliques du Golfe d’Aden, en face de Djibouti. Les boutres au repos attendent un coup de peinture sur leurs cales, une chèvre noire broute deux touffes d’herbes raidies par un soleil cuisant, et pendant ce temps, tandis que le soleil plonge derrière le continent africain, des hommes se saoulent en parlant de la grandeur passée de la France, comme s’il ne faisait pas assez chaud comme ça…

Tadjourah

Rues de Tadjourah

Il y en a qui ne sont jamais rentrés. Ceux que l’on a oublié, incapables de renouer avec leur vie antérieure. Les transfuges. Le livre d’or de Modino en compte une belle brochette, les voyageurs de l’imaginaire, les vacanciers et les autres, les auteurs que nous connaissons, Deniau, Pratt, Guilbert et Gary, venus assister aux funérailles de la France coloniale : « Ils sont tous là, écrit Gary dans Les Trésors de la Mer Rouge, il ne manque pas un mouchoir blanc sur une nuque de légionnaire, pas un burnous rouge de spahi, pas un rire dur de ceux qu’on appelait jadis les “joyeux”… Vous les verrez tous, dans les rues de Djibouti, pour quelques secondes d’histoire, ces fantômes bien vivants surgis d’un monde évanoui. » Tous ont été ivres sur cette terrasse au soleil couchant lorsqu’il fait quarante-huit degrés en juillet.
« Je n’ai fermé que fin 1991, continue Modino, lorsque l’insurrection afar a éclaté. L’armée française est venue nous évacuer en hélicoptère. Mon bar a été pillé… »
La révolte afar a été noyée dans le whisky de Modino.

Sébastien de Courtois, Éloge du voyage, sur les traces d’Arthur Rimbaud
Editions Nil, 2013

Photos © Visages de l’Afrique de l’est


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