Magazine Culture

Wes Anderson : poésie formelle

Publié le 14 mars 2014 par Unionstreet

A l’occasion de la sortie du dernier film de Wes Anderson, retour sur 4 de ses longs-métrages les plus emblématiques, de la génèse du style Andersonien avec « La famille Tenenbaum » jusqu’à son affirmation la plus explosive dans « The Grand Budapest Hotel » , en passant par la grosse production de « La vie aquatique » et par le succès critique unanime de « Moonrise Kingdom » .

Moonrise Kingdom

Wes-Andersons-Moonrise-Kingdom-Official-HD-Trailer

Mai 2012. Festival de Cannes. Ça y est, Wes Anderson est définitivement rentré dans la cour des grands. Le réalisateur texan, au style plus qu’affirmé, nous présente en sélection officielle et en ouverture du festival son dernier film : Moonrise Kingdom.
Le film nous raconte l’histoire d’un jeune garçon, Sam, et d’une jeune fille, Suzy, qui, au beau milieu d’une île de la Nouvelle-Angleterre dans les années 60, fuguent pour vivre leur histoire d’amour à l’écart du monde. Trouvant leur disparition inquiétante, les adultes de l’île se mobilisent et partent à la recherche des deux adolescents. Ils mettent alors la ville sans dessus-dessous. Ce qui n’est peut-être pas une mauvaise chose. Seulement, au même moment, une violente tempête menace le littoral de l’île. Un évènement qui va venir bouleverser encore un peu plus le quotidien de cette petite communauté sans histoire.
Le film a été largement salué par la critique, comme par le public. Les uns saluant une esthétique unique, les autres, le regard juste et bienveillant que pose Wes Anderson sur l’adolescence.
Il est vrai que le film ne manque pas de qualités : l’histoire est belle, et touchante, c’est d’autant plus remarquable lorsque l’on sait à quel point il est difficile de ne pas tomber dans la parodie lorsque l’on réalise un film sur l’adolescence. Le style Andersonien est toujours aussi présent, avec son identité : travelling latéraux en pagaille, cadres fermés, peu de profondeur
Mais c’est peut-être de là que vient le problème du film : l’esthétique d’Anderson fonctionne « trop » bien.
Le réalisateur texan systématise littéralement son style. Il répète ce qu’il a déjà fait. Cela n’est pas forcément un problème, chaque metteur en scène a sa propre touche, aussi appuyée soit-elle, mais lorsque l’on a une esthétique aussi forte, il faut éviter de tomber dans la caricature.
Cette systématisation a ses limites, ce qui se voit malheureusement dans la dernière partie du film.
Lorsque l’intrigue dépasse la « simple » histoire d’amour adolescente, et qu’une partie de l’île se retrouve menacée par une tempête, l’esthétique ultra léchée d’Anderson empêche de ressentir toute la tension et toute l’empathie qu’une situation pareille devrait créer.
Paradoxalement, malgré de nombreux travellings et de zooms, il n’y a pas de réelle place pour le mouvement dans le cinéma d’Anderson.
Lorsque, suite à la tempête, un barrage cède et qu’un torrent s’apprête à détruire le camp Scout, la teneur dramatique qu’une telle situation devrait créer est absente. Lorsque le jeune Sam se fait percuter par la foudre de plein fouet, on se surprend à rire, avant même de le voir se relever, le chapeau fumant et les lunettes noires, comme si de rien n’était. On ne rit pas par moquerie, par mépris, pour ce jeune garçon que l’on a appris à connaître et à apprécier tout au long du film. On rit car les événements nous apparaissent tellement incongrues qu’on s’interroge sur leurs réelles nécessités et surtout sur la façon dont ils sont traités.
Cependant, même si le réalisateur répète ce qu’il a déjà fait auparavant, il le magnifie. Tout ses plans sont parfaitement justes (trop, probablement), bien cadrés, et d’une efficacité déconcertante. Le texan affirme son style avec une certaine confiance et de la même manière se l’approprie définitivement : ses ralentis sont véritablement somptueux, et le plan fixe au bord de la mer où les deux jeunes amoureux dansent sur « Le temps de l’amour » de François Hardy justifie à lui seul le film.
Mais ce formalisme ne saura jamais remplacer la teneur dramatique d’un récit qui reste cachée derrière le cadre de Wes Anderson. Il faudra donc attendre son prochain film, The Grand Budapest Hotel, pour espérer voir le récit faire honneur au style du réalisateur.

Image de prévisualisation YouTube

The Grand Budapest Hotel

The Grand Budapest Hotel - 64th Berlin Film Festival

Inutile de tergiverser sur une hypothétique évolution du cinéma du metteur en scène texan depuis Moonrise Kingdom : elle n’a pas eu lieu.
The Grand Budapest Hotel, c’est un grand bras d’honneur que le réalisateur adresse aux critiques l’accusant de formalisme.
Le film retrace les aventures de Gustave H, l’homme aux clés d’or d’un célèbre hôtel européen de l’entre-deux-guerres et du garçon d’étage Zéro Moustafa, son allié le plus fidèle.
La recherche d’un tableau volé, oeuvre inestimable datant de la Renaissance et un conflit autour d’un important héritage familial forment la trame de cette histoire au coeur de la vieille Europe en pleine mutation.

Que ce soit en bien ou en mal, Wes Anderson fait ce qu’il fait le mieux : du Wes Anderson.
Le problème est qu’en faisant de la sorte, il se tire lui-même une balle dans le pied, puisqu’il pousse son formalisme habituel à un tel niveau que le film sombre dans l’auto-caricature.

Encore une fois, cela ne devrait pas être un problème qu’un metteur en scène ait un style visuel fort et marqué, mais le risque avec une telle personnalité, est de tomber dans la caricature de son propre travail. Avec The Grand Budapest Hotel, Wes Anderson n’est pas simplement tombé dedans, il s’y perd avec plaisir.
D’autant plus qu’ici, point d’instant de lyrisme magique, point de ralentis sublimes. Le cadre d’Anderson, toujours très fermé et symétrique, nous emprisonne littéralement lorsqu’il utilise le format 4/3 pour ses flashbacks (qui représentent 90% du film), tant et si bien que c’en devient presque désagréable.

Evidemment le film ne manque pas d’idées ni de fulgurances jouissives : extrêmement rythmé, couleurs magnifiques, humour omniprésent, performance extraordinaire de Ralph Fiennes – comme d’habitude (on ne le dira jamais assez), mais tout reste cependant englué dans un formalisme poussif.

En d’autres termes, The Grand Budapest Hôtel plaira à deux types de spectateurs : les inconditionnels de Wes Anderson, et ceux qui ne le connaissent absolument pas.

La vie aquatique

The-Life-Aquatic-With-Steve-Zissou-16

En ultime croisade vers sa destinée, l’océanographe sur le déclin Steve Zissou part à la recherche du mystérieux requin-jaguar qui a tué son vieux complice. À bord du Belafonte cohabitent ainsi sa femme, une journaliste anglaise enceinte, un équipage cosmopolite et un fils prodigue putatif…

Fort du succès public et critique de “La Famille Tenenbaum” deux ans auparavant, Wes Anderson se voit recevoir un budget de 50 millions de dollars pour son prochain film, “La vie aquatique”, budget plus que conséquent pour un réalisateur étiqueté “indépendant”.

La vie aquatique est l’occasion de voir Wes Anderson affirmer son style visuel unique déjà mis en valeur dans « La famille Tenenbaum ».
Le film nous permet d’approfondir un peu plus les sujets de l’enfance et de la filiation chez Anderson, thèmes chers au réalisateur déjà abordés dans « La Famille Tenenbaum » et qui ne cesseront de revenir tout au long de sa filmographie ( « A Bord du Darjeeling Limited » , « Moonrise Kingdom » ).
Bill Murray, en explorateur “has-been”, miné par la disparition de son meilleur coéquipier, trouve dans la figure de son fils récemment retrouvé (interprété par Owen Wilson) une planche de salut et un soutien moral. Il se surprend lui-même dans le rôle d’un père qu’il n’a jamais été et qu’il n’a jamais voulu être.
Pourtant le film ne convainc jamais vraiment, probablement à cause du rythme. Interminablement long, le montage du film, assuré par David Moritz est une véritable catastrophe (monteur responsable des illustres « P.S. I love you » et « Hannah Montana-le film » – ceci explique cela), et le style visuel d’Anderson semble toujours pris au piège. Hors, sans un total contrôle sur son image, le cinema de Wes Anderson n’est rien.
Si le réalisateur ne peut pleinement s’exprimer à travers son cadre et son montage si particulier, il ne peut developer son propos. C’est là que réside tout le problème du film.
Il ne serait pas surprenant qu’avec un budget aussi conséquent accordé à un si jeune réalisateur (Wes Anderson à 31 ans à l’époque), de plus qualifié d’indépendant, de nombreuses contraintes aient été imposées au metteur en scène.
Le film semble n’en jamais finir, et l’empathie, pourtant recherchée, est atrocement absente. On se surprend à rester de marbre face à la mort de certains personnages.

Et ce n’est pas la bande-originale, constituée presque entièrement de reprise acoustique de David Bowie, ou la prestation éclatante de Bill Murray, qui suffiront à sauver ce film, oeuvre hybride d’un metteur en scène pris au piège dans son propre cadre.

La famille Tenenbaum

81993

S’il n’y avait qu’un film à retenir aujourd’hui de la filmographie de Wes Anderson, c’eut été celui-ci.
La famille Tenenbaum est un parfait résumé de l’essence du cinéma d’Anderson : un style visuel fort, un cadré ultra travaillé, géométrique, des travellings latéraux, la question de la famille et de la filiation, le regard porté sur les inadaptés, l’univers fermé dans lequel évolue les personnages… Le film est une sorte d’introduction édifiante de ce que sera le cinéma d’Anderson dans les années à venir.

Chez les Tenenbaum, les enfants ont toujours été des génies. Tout jeunes, Chas était déjà un maître de la finance, Margot une dramaturge exceptionnelle et Richie un joueur de tennis hors pair. Mais un jour, Etheline, leur mère, demande le divorce. Elle ne supporte plus le caractère égoïste de Royal Tenenbaum, son mari. Cette crise familiale a une influence négative sur le développement personnel de leurs progénitures.
Vingt ans plus tard, Royal écume les palaces, Etheline s’adonne à l’archéologie, Chas tente d’élever ses deux fils après la mort de son épouse, Richie est un champion déchu et Margot s’est marié avec un psy. Le père Tenenbaum annonce bientôt à ses enfants qu’il ne lui reste plus longtemps à vivre. Il souhaite se réconcilier avec eux et s’invite dans la maison familiale en prétextant une grave maladie.

Aucun des films de Wes Anderson, si ce n’est Moonrise Kingdom, exprime avec une telle force l’intérêt particulier qu’accorde le réalisateur aux inadaptés.
Ici, absolument tous les personnages sont des marginaux. C’est d’autant plus frappant lorsque l’on sait que les trois Tenenbaum, véritables « enfants génies », sont désormais des adultes dévorés par la peur, la solitude, et l’incompréhension du monde qui les entoure.
Ils ne cherchent qu’un refuge, qui sera représenté par le domicile familial lorsque leur père leur apprendra qu’il est atteint d’un cancer (mensonge pour rassembler sa famille et se racheter auprès d’eux).
La famille Tenenbaum est très probablement à l’heure actuelle le film de Wes Anderson qui parvient le plus à traverser l’artifice visuel pour atteindre quelque chose de vivant, de réel, de bouleversant, à l’instar de Moonrise Kingdom. Mais à la différence de ce dernier, le récit et son traitement sont parfaitement adaptés au style du metteur en scène.
Une forme de cinéma ultime où la magnificence de la forme n’empiète en rien le récit, et vient au contraire le sublimer.

the-grand-budapest-hotel-26-02-2014-3-g

L’œuvre de Wes Anderson, dans son ensemble, divise. Comme tout metteur en scène à l’identité visuelle forte, il s’attire les louanges de certains et les foudres d’autres.
Cependant, il n’en reste pas moins un des derniers jeunes réalisateurs qui ont su se faire une place de choix dans l’univers cinématographique, et ce non sans raisons.
Cinéaste autodidacte, Wes Anderson a su créer son propre style visuel, fort, géométrique et coloré. Il a créé son propre langage cinématographique. Il fait parti de ces jeunes réalisateurs qu’il est nécessaire de découvrir pour comprendre l’évolution du cinéma indépendant américain depuis ces 15 dernières années.

Pour appréhender la filmographie de Wes Anderson, mieux vaut aborder ses œuvres sur la longueur, comme de légères friandises sucrées, et non pas ingurgiter ses 9 films en une semaine et risquer l’indigestion. Mieux vaut prendre le temps, et ainsi admirer ce style par touches, ce style si unique qui lui a permis de devenir le cinéaste reconnu qu’il est aujourd’hui.

Comments

comments


Retour à La Une de Logo Paperblog