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Rondeurs létales de Grandpetitplus

Par Mademoizela

Rondeurs létales de Grandpetitplus
Le titre peut paraître assez mystérieux au premier abord et on peut l'interpréter de diverses manières comme cela a été mon cas.

J'avais mis derrière ce titre la représentation d'une femme mortifère: les rondeurs féminines liées à l'adjectif "létales".

Ce titre pouvait aussi donner l'impression que le récit serait sous l'égide du symbole funeste et féminin: la Lune.

Rondeurs létales de Grandpetitplus

Je crois que la vision lunaire n'est en somme pas si éloignée de la véritable explication du titre: la rondeur est celle finalement de la Crêpe, pierre angulaire du double récit que nous propose l'auteur .

Rondeurs létales de Grandpetitplus

La nouvelle se compose de trois moments forts: un prologue et un épilogue qui sont une sorte de récit-cadre de la nouvelle au sein duquel on a un récit enchâssé fantastique.

L'histoire commence drôlement et gentiment . C'est une ambiance plutôt bon enfant, un jour de Chandeleur où Danny fait des crêpes pour des gosses. Jusque là tout va bien.

Le moment déclencheur va être l'interdiction par Danny de manger une crêpe au miel le jour de la Chandeleur . Le lecteur comme les enfants cherchent à savoir pourquoi.

Les enfants sont "mûrs" pour écouter l'histoire et le lecteur est prêt à la lire. Danny le narrateur (alter ego de l'auteur?) s'apprête à révéler à un public (désormais averti) et fin prêt et préparé à accueillir une histoire fantasque et surnaturelle.


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Ben, un restaurateur obèse, un "vilain petit canard" rejeté et moqué par beaucoup, a un accident de voiture. Il essaie d'appeler Mark, son "ami" mais lorsqu'il tente d'utiliser son téléphone portable, celui-ci émet un son étrange et lui claque entre les mains. Il s'assoupit et se fait réveiller par une voix étrange qui lui dit "d'entrer dans la lumière".

J'assume ma vanne aussi pourrie soit-elle...

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Il doit passer de l'autre côté... On a l'impression d'être dans Ghost Whisperer (la série avec Jenifer Love Hewitt) où Melinda Gordon est une sorte de passeuse d'âmes...

Ben refuse: il n'accepte pas l'idée d'être mort. Il est dans le déni le plus total et inverse les mondes. Il pense que cette voix n'est qu'un fantôme alors qu'en réalité le seul spectre dans la voiture, c'est lui. Il est dans un monde intermédiaire: les Limbes où il voit défiler sa vie et comprend qu'il est mort sans jamais avoir véritablement vécu. Il était déjà mort avant.

La Voix lui propose un marché: soit il entre dans la lumière et demeure en paix pour toujours, soit il investit le corps de son associé Mark qui l'a empoisonné avec "sa rondeur létale": périphrase assez macabre pour parler d'une crêpe au miel .

Je ne dirai pas la suite parce qu'il faut laisser la réflexion au(x) lecteur(s) suivant(s)...


L'épilogue se concentre autour du personnage de Danny, conteur d'histoires qui subjuguent les enfants mais qui irritent les parents. Il y a une véritable réflexion à la fin sur les raconteurs d'histoires, les faiseurs de Littérature. On a bel et bien l'impression que derrière Danny se cache la figure de l'auteur qui interroge la légitimité de l'écriture, qui cherche sa place dans ce monde assez cruel de faiseurs de fictions. Comment trouver sa place parmi des milliers? GrandDannyPetitPlus, un écrivain maudit?

Il y a également tout un jeu d'échos entre Danny, Ben et l'auteur qui sont autant de figures littéraires inhérentes et nécessaires à la fiction: l'auteur (réel dans la réalité), le narrateur Danny (fictif dans notre réalité mais Ben ( réel dans la fiction) et fictif dans notre réalité, fictif dans la réalité du narrateur, réel dans sa propre histoire mais devient fictif dans sa propre histoire dès lors qu'il devient fantôme).

Jean Bessière a théorisé toutes ces notions dans Pourquoi la fiction? Et Grandpetitplus les a réinvesties avec brio.


Peut-être qu'il y a surinterprétation et extrapolation de ma part mais cette nouvelle demeure assez lunaire. Je m'explique: la Lune est un symbole sinistre qui évoque la Mort; elle est aussi la représentation féminine du Mal.

La Lune regorge également de symboles sexuels forts.

Elle attire mais elle est fatale ( un peu comme les sirènes, comme Diane/ Artémis ). Cette érotisation constitue un arrière-plan implicite d'un passage. On a l'impression que l'auteur allume dans un récit sombre et angoissant:

on nous parle de "", on personnifie la Lune avec sa "langue écumante" qui "prenait un plaisir ralenti à lécher le coin du haut du pare-brise". "Allait-elle s'engouffrer dans l'habitacle et l'aspirer vivant?"

La

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lune et la crêpe au miel sont évocatrices de plaisirs charnels et gustatifs. Le miel est assez suggestif et c'est surtout un aphrodisiaque. Autant dire que ces deux éléments ont une portée symbolique érotique forte évoquant en somme deux petites gâteries fantasmées...

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... qui ont des effets physiologiques sur le personnage qui devient:

"rigide, buté et absolument discipliné [comme un ] soldat au garde-à-vous".

Cette apogée du désir obscur retombe:

"Cette belle résolution se dégonfla en quelques secondes. Son regard se détacha des extrémités du capot et pointa à nouveau dans la direction de la lune."

C'est comme dans les Contes merveilleux: il y a toujours un arrière-plan très sexualisé.


C'est une nouvelle qui est très "inspirée" dans la mesure où elle fait appel à un imaginaire commun: des références à cette Bretagne légendaire et le mystère qui en découle, du fantastique Wildesque, on peut aussi y voir certaines réécritures de contes comme Pinocchio qui est explicitement référencé même si la comparaison est quelque peu surprenante, le rappel de l'allongement du nez évoque subtilement l'érection masculine. La scène expliqué précédemment met en valeur cet agrandissement d'une partie de l'anatomie masculine.

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On peut y voir la réécriture de Blanche-Neige , empoisonnée par une pomme appétissante. Blanche-Neige s'est réincarnée dans le personnage de Ben; elle a certes morflé mais l'histoire se répète. La pomme rouge (le fruit défendu auquel il ne faut pas goûter) s'est métamorphosée en crêpe au miel.

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Enfin, il y a la réécriture de récits bibliques notamment l'Apocalypse dont les Chevaliers arrivent en Harley Davidson. Je trouve la modernisation assez drôle et bien pensée.

  • Il y a toujours l'usage abusif de la parenthèse mais je crois qu'il faudra faire avec car c'est un tic qui semble encré dans le style de l'auteur.

  • C'est toujours très cash (on compare la générosité de Mark à un "furoncle éclaté sur le front d'une égérie de mode"). L'écriture n'est pas forcément ciselée dans la dentelle, c'est brut de décoffrage à l'instar des personnages qui sont assez rustres.

  • Pourtant, on a les prémices d'une description lyrique et subtile. C'est le passage-pépite de la nouvelle. Monsieur Grandpetitplus, creusez davantage ce filon poétique plutôt que l'idée de votre "furoncle éclaté". Le joli passage, le voici le voilà:

    "Dans cette clarté solaire qui succédait à l'aube, il vit en filigrane le désert de son existence. Quelque chose était en train de céder au fond de lui, entrainant dans sa chute un sentiment de solitude qu'il croyait pourtant bien assis, là, dans un coin de son cœur, à l'abri des bourrasques de l'émotion. [...] Une goute brûlante jaillit de sa paupière droite comme le premier grain d'un sablier qu'il sut retourner à temps pour refouler sa peine. "
  • Rondeurs létales de Grandpetitplus

    Rondeurs létales de Grandpetitplus
    En définitive, c'est une écriture assez désopilante par l'utilisation de bombes langagières ( les grossièretés), les répliques cinglantes et les onomatopées. Au lieu de tourner en rond avec des tournures bien ficelées, on nous colle une belle onomatopée: c'est direct, c'est clair, c'est efficace.


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