Magazine Animaux

Safari truite et Carpe diem

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

J'ai lu dernièrement dans un forum, un chasseur qui ne comprenait pas pourquoi les "anti-chasse" laissaient une paix royale aux pêcheurs. Il n'y a pas de raison qu'il n'y en ait que pour les chasseurs 

par Jacques Frier (frire?)

Avant de nous immerger dans le milieu halieutique et je pêcherais par omission de l'oublier par un saut de carpe, précisons qu'on trouvera entre les lignes d'utiles éclaircissements suggérés en noir et blanc dans les parenthèses (…) et points de suspension. Le lecteur détestant les pirouettes des auteurs, nous ne tournerons donc pas autour du pot et plongerons aussitôt dans le vif du tourbillon.
 
« Cueille le jour sans te soucier du lendemain », toutes les cigales qui sont passées entre les gouttes des Canadair (1) connaissent cette traduction d'une ode d'Horace ou, en plus contemporain « après moi le bobsleigh » dirait le badinguet voltigeur, skieur à combinaison fluorescentissime de Saint-Moritz parvenu sain et sauf en bas de son hors-piste avant de sortir sa raquette et aller faire un tennis incognito (un francophile égaré se contenterait de « après moi le déluge »), cependant qu'une avalanche généreuse dévalerait joyeusement se dégourdir les flocons (comme la lune, parce qu'il ferait nuit), abimant au passage quelques bonshommes des neiges, certains blancs de peur, les autres morts tout court.

Je parierais que ce même zigoto manifestait la semaine dernière à Saint-Pierre de la Réunion afin que lui soient mises à disposition des vagues à chevaucher sans requins dessous pour y faire le barbot et épater les bombasses. Et c'est bien le problème cette recherche d'hédonisme polymorphe à tout prix pour la simple évidente raison que l'humain est conscient que sa flamme s'éteindra un jour qu'il espère le plus lointain possible, ce qu'Alfred de Musset reprend avec son « qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse ». A noter l'esse finale à l'ivraie qui sous-entend un pluriel sans modération dans le volume du tonneau et le degré de fréquence des cuites.
 
Gros comme un nez au milieu de la figure, mieux, la bouche, se nourrir est un des grands plaisirs du quotidien, simple ou festif, la gastronomie ne venant qu'enjoliver un besoin vital. Mais savoir la source du contenu de l'assiette est platement rassurant, surtout quand il s'agit de champignons sauvages. Sont-ils frais, et à plus forte raison, le poisson ? Ce plaisir sera décuplé au centuple si un travail préalable, une participation, en sont à l'origine comme une belle jardinière du potager aux jeunes carottes dont l'orangé va si bien au vert des petits pois (les petits poissons rouges évoluant en bocaux).

Dans des campagnes échappant tant bien que mal à des législations aux contours brumeux, on ne cassera pas trois pattes d'un canard d'avouer qu'on mange encore « sa » poule, un luxe !, et un bout d'un Adolf (et son boudin), brave cochon qui n'a pas demandé d'être baptisé de ce prénom d'un vrai porc. C'est ainsi à la ferme avec le lait frais de cette vache, la « marquise », et celui de toute la hiérarchie à sang bleu en pied de nez à la grande révolution. Et la soupe aux choux, vous souvenez-vous seulement de la soupe aux choux  (2) ? Ces temps sont progressivement en train de s'évaporer du paysage chauffé par la mondialisation et l'épicurien ne sait plus trop à quel sein se fier.

Chasser et pêcher ont aussi accompagné l'homme dès qu'il a franchi le seuil de sa caverne poussé par la faim d'avoir peint des repas vivants, mais ces deux activités passionnelles devenues loisir-vert (de la couleur du sang) n'ont plus leur place dans l'alimentation du peuple, parallèlement au fait d'être dénoncées comme perturbatrices et calamités dans les écosystèmes (D ?). Elles restent pourtant le flacon d'une ivresse bien ancrée. Compréhensible pour le poilu dans sa tranchée était aussi la gourde du gascon embarqué sur un canot pour un face à face avec la baleine de Biscaye dans des creux de six mètres, avec son seul harpon en main, et le pauvre bougre devait éprouver la même pétoche que le chasseur de mammouth qui, sans défense, n'avait pas droit à la moindre rasade de potion magique.

Mais tout cela est définitivement enterré et il fallait bien manger. Quant à boire, évidemment l'eau coulait de source. S'y complaisaient en toute simplicité des poissons heureux et des grenouilles court vêtues. Ce ne serait pas pousser le bouchon très loin que constater l'indifférence de l'homme moderne devant l'anéantissement de son environnement puisque l'offre, la demande et la magouille mercantile le met à sa porte sous forme d'animaleries (les NAC !), spectacles (protégés par des dérogations) d'espèces protégées (!) et dégâts des zoos (j'ai eu des fuites !), jardineries du monde (invasives ou envahissantes ?), safaris et parcours bêtas etc... dans et avec lesquels il pourra voir, toucher ou posséder les derniers spécimens dégénérés par l'imprégnation, la captivité et les pérégrinations génétiques.

Sans le coup de pinceau de Claire Felloni qui m'a fait connaître et aimer l'ancolie, que saurait-on des fleurs des champs ? Les Monet, Van Gogh et Picasso dites-vous ? De vieilles croûtes oui, qui envoient le client chez les Interflora au vent en poupe et poussant comme des… lotissements aux noms suaves et botaniques plus agréables à l'oreille que « Cité des barbecues » ou « Clos des tondeuses ». Et une truite, c'était pourtant bon une truite, hein Schubert ? Mais une fario, la vagabonde des torrents bouillonnants de Corse où il en subsiste d'authentiques, sans maquillage. On blaguera encore une fois que sur l'Ile de Beauté même pêcher est fatigant et que sous un arbre, à l'ombre, les corses cravatent à la main. Et alors ? C'est peut-être par ce seul effort qu'elles survivent. Vite, vite, qu'on légalise un permis de braconnage contrôlé ! Le pêcheur professionnel quant à lui, épinglé à son propre vif pour gagner son leurre de pain doré, a amorcé sa noyade par la demande croissante, céphalopodifforme, tentaculaire, et des moyens inégaux et suicidaires. Il disparaîtra donc avec ses filets si rien ne l'arrête et les producteurs de citrons peuvent d'ores et déjà songer à l'amer recyclage, dans l'oignon par exemple, pour éponger leurs larmes (ou la culture de l'éponge, bouée pour que leur niveau de vie épouse celui de l'eau de mer qui monte, qui monte, comme la bébête).
 
Si la clarté de mon ru de roche vous sied et que votre moulin tourne à plein régime, voguons dans le courant de ma pensée. En eaux douces (3% des réserves d'eau sur terre), le problème de la pêche a été réglé avec la pollution globale. N'accusons personne puisque la balle rebondirait longtemps et que toutes les sèches et calamars réunis n'auraient pas assez d'encre pour dresser la liste.

De toutes façons, monsieur Roundup n'assisterait pas à la table ronde. Dans ces (mauvaises) conditions, consommer du poisson est souvent à risques et périls comme s'obstiner à tortorer les morilles issues de la décharge d'immondes indices pourtant et le bolet bai boosté aux becquerels.

Dechets-de-peche
C'est ainsi qu'on s'est replié sur la pêche en étang, tranquille comme Baptiste, où pour être in et écolo, on s'exerce au « No kill ». La pratique (catch and release = pas de mise à mort) est née aux Etats-Unis, terre de liberté et des grandes révolutions sociales (Coke, chewing gum, pop corn etc.), et consiste à rejeter la prise vivante à l'eau. Que penseriez-vous de ce demandeur d'asile original qui, ayant composé son plateau-repas aux Restos du cœur se ferait tirer le portrait avec son trophée (du couscous par exemple) et, parvenu au bonheur suprême, l'abandonnerait au comptoir et reprendrait son bonhomme de chemin de croix ? Qu'il a un grain et patine dans la semoule, je ne le fais pas dire à Henri Grouès et Michel Colucci qui là-haut, doivent manger du béret et de la salopette. N'ayant jamais accroché à ce loisir par manque de patience à affronter des sacs de nœuds dans la vase, et demeuré étanche à l'excitation d'embrocher un sandre qui ne m'a rien fait de mal, je ne juge pas une activité qui, radicalement, pouvait viser à tester la qualité des eaux et étudier des âges et sex-ratios suite à des lâchers de repeuplement, ou encore dans le souci louable de préservation des espèces.

J'apprends à l'instant que R.A. Fisher, érudit du sex-ratio, reste muet à l'étal du poisson et du No kill dans ses études. Et c'est bien dommage, fisher en anglais signifie pêcheur. Mais après tout, peut-être s'en fichait-il ou avait-il d'autres morues à fouetter ? Je veux bien admettre également que le taux de survie des poissons graciés atteigne 97% (in litt.) mais combien de pêcheurs aplatissent-ils les ardillons (crochet pointu d'un hameçon) et utilisent-ils des leurres artificiels comme le préconise l'éthique ? D'ailleurs, dans des pêches privées, qui effectue des contrôles, qui ? Et je ressers le Qui ? Qui ? La réponse risque de coincer dans le siphon.
 
Le temps de remonter à la surface prendre une bouffée d'air, je citerai ensuite une bulle de Lee Wulff, grand pêcheur sportif pour certains, spécialiste en sodomie de mouches selon d'autres : « le poisson que vous remettez à l'eau est un cadeau que vous faites à un autre pêcheur, tout comme il s'agit peut-être d'un cadeau qu'un autre pêcheur vous a fait ». J'émets la réserve qu'appliquée à la pêche sous-marine, et raison de plus à la chasse, le seul emballage soit encore présentable au troisième relais... et ce que voient mes yeux sur le pourtour de ces arènes associatives est loin d'être aligné sur la même onde, jonché de cadavres de carpes et fretin ne convenant pas à la maille d'une marque de moutarde. Mais j'ai fini par repêcher l'explication qui vient soit de la pollution soit de la pullulation des hérons, patapons et cormorans, raisons à digestibilité proche d'une cassolette de russules émétiques : à vomir !

Plus insidieuse est la mauvaise foi lorsque le sportif vous annonce avec aplomb du haut de son ponton benhurien que le poisson ne souffre pas. Et il a bien raison de noyer le dialogue puisque, de même, le ridicule ne tue pas. D'ailleurs, s'il frétille de la queue, c'est qu'il est bien content, regardez les chiens ! Mieux, il ne se plaint jamais, combien d'ouies humaines ont-elles entendu le cri du cœur du poisson-chat percé ?
 
Un dernier crochet avant de prendre la route comme il se dit au bar : avoir faim et soif sont des besoins physiologiques indépendants et tirer la bobinette de l'un ne fait pas choir la chevillette de l'autre, aussi suis-je groggy de constater que dans mon secteur géographique, jouer avec la nourriture ouvre grandement la pépie à en juger par les cadavres qui se joignent à ceux des carpes défuntes et tanches détruites. Les associations gestionnaires de ces plans d'eau de mort organisent peut-être des agapes patronnées par Bacchus (ou Dyonisos), et certains jours, alors que rien de particulier ne ride la surface, il semblerait que s'est déroulée une orgie romaine (ou grecque), une fête du tire-bouchon ?

Une course de Côtes du Rhône ? Quelle bande de... (mais là, je ne mâche pas mes mots !). Les poissons crevés feront le festin des charognards, de son poignard le héron piquera peut-être une tête, mais j'ai du mal à digérer cet art contemporain de décoration des rives sur lesquelles se fixent les flacons, et pis s'y collent. Monsieur Fisher, grand statisticien, successeur de Darwin et fondateur de la génétique moderne, se serait régalé d'éclaircir ce mystère.
 
Je prends en marge beaucoup de plaisir à feindre un intérêt pour les prises du carpiste lorsque je passe à son niveau et lui adresse un cordial « Alors, ça mort ? », l'oral autorisant de belles fautes d'orthographe. Vous faisant cadeau des droits, je vous offre la formule et, à voir son groin, vous aurez la preuve que mes lignes ont tapé la cible et fait une touche. Il y a dans le No kill le même côté répugnant que le viol d'une petite fille passée au moulinet d'une tournante et cet aspect pervers de jouer sans fin et sans faim avec une vie qui ferait rugir de honte le plus salopard des jeunes félins apprenant à occir son premier en-cas. Et peut-on concevoir enfin Ginette (appelons-la Ginette) sur le paillasson de sa grotte voyant revenir son étalon bras ballants et queue de cheval au vent (la coiffure, cochon!), anticipant de la voix Herman's Hermits (3) :
 
- Et alors, pas de mammouth aujourd'hui ? Et lui (bilingue) :
- No kill today, mammouth has gone away !
Raffinement dans l'indécence des dernières décades où la décadence remet le piercing à la place de l'os en travers du nez, on assiste impuissant au spectacle de mort-loisir de nouveaux amoureux de la nature, leur soleil vert, leur ivresse de l'inutile égoïste. A une époque charnière où tout est provisoire et plus que jamais incertain, où le moindre défaut de fabrication est minimisé en euphémisme, pudiquement, on dira d'un bigleux qu'il est malvoyant et malentendant d'un sourdingue. Comme si pour sauver sa peau il suffisait à l'homme de se coller un tatouage (un cœur ou un poisson), je serais rassuré qu'un psychiatre, fut-il bleu dans la profession, ne fasse pas d'objection à considérer les apôtres de ces amusements sadiques comme de simples malades mentaux. J'espère seulement que l'auteur de « Indignez-vous ! » (4) ne noyait pas ses idées noires à No killer la gaule à la main, en gardant sainement à l'esprit que parmi les tueurs silencieux se trouve peut-être un... psy ! Ou, qui sait, un vétérinaire ?
 
Saint-André comprendra que j'aie pu laisser déborder mon ire sans filet, mais ça, il fallait que je l'écrivisse. Et puis zut (5), point à la ligne !

Jacques FRIER
"plus ornithologue que mycologue, naturaliste généraliste plus contemplatif que scientifique et poète activiste". Mycocéramiste, membre de la Fédération Mycologique et Botanique Dauphiné-Savoie

  1. Me suis-je seulement enflammé en laissant suinter que tous les pompiers étaient pyromanes ?
  2. Dans vingt ans ou quelques lunes plus tard, on ira sur Mars. Il est possible qu'on y déniche des hygrophores (H.marzuolus), apportant la preuve que l'homme descend bien du champignon. Mais nous avouera-t'on aussi l'existence d'oeufs du Diable (P.impudicus) ?
  3. No milk today, tube du groupe Herman's Hermits. 1960.
  4. Indignez-vous ! Stéphane Hessel. Indigène éd. 2010.
  5. Déformation de l'esprit, le butor au verbe précis abondera dans le sens d'épuisette. Vous voyez bien que les humains n'ont pas le même langage et qu'ils ne se comprendront JAMAIS bien que partageant les mêmes maux. Au passage de cette écluse facile, ne pas confondre No kill et No kil qui fait le joint avec l'abstinence d'autres malades remis à l'eau...

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