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Billet de Québec, par Jean-Marc Ouellet…

Publié le 21 mars 2014 par Chatquilouche @chatquilouche

 

La Lune éclairait la Terre.  Démasqués, arbres et buissons amarraient leurs ombres sur la neige.  C’était une nuit d’hiver, une nuit de pleine Lune.  La dernière.

Des mois auparavant, l’alerte avait été lancée.  Un météorite filait droit sur les hommes.  Un monstre de roc, une bête gigantesque.  100 kilomètres de diamètre.  On prévoyait une explosion effroyable, 10 000 fois Hiroshima et Nagasaki réunies.  Là où l’Homme avait échoué, un vulgaire caillou du cosmos réussirait.  La fin du monde.  L’apocalypse.

Ce fut le chaos.  Les pleurs succédèrent aux cris et à la consternation.  La vie disparaîtrait.  Sous les lamentations, on

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enlaçait les proches.  Employés et patrons boudèrent les bureaux, les usines, les magasins.  À quoi bon travailler, à quoi bon penser à demain ?  Les pulsions s’affranchirent.  Pourquoi respecter la vie, ce non-lieu prochain ?  On s’enivrait, se droguait, jouissait, vivait ses ultimes fantasmes, tuait, se tuait.  Malgré l’espoir.  Un mince espoir.

Car il y avait une option.  Détruire le monstre.  Ou le chasser.  Unir les nations, lui lancer une pluie d’ogives nucléaires, un tir groupé, un gigantesque boom sur la pierre, une chiquenaude de côté, qu’on espérait suffisante pour le détruire, ou à tout le moins, le dérouter vers les ténèbres de l’espace.

Certains y ont cru.  Les prières foisonnèrent, au cas où Dieu y serait pour quelque chose.  Le jour du lancement, on retint son souffle.  Du moins un instant.  Le choc adviendrait des jours plus tard.  Alors, on scruta l’azur le jour, la voûte étoilée la nuit.  Dans l’espoir…

La déflagration eut lieu.  À des centaines de milliers de kilomètres du sol terrien.  Un tir parfait.  Certains l’observèrent à travers un télescope.  La télé annonça la nouvelle, les réseaux sociaux surchauffèrent.  « La cible avait été atteinte !  Le monstre était maté !  Les calculs le confirmaient.  Le météorite échouerait, raterait la Terre !  Le monde était sauvé ! »

L’humanité en liesse célébrait son génie.  Et sa chance.  Jusqu’à cette langue de feu sur la pleine Lune par une nuit d’hiver.  Obnubilés par les réjouissances et complaisants de soulagement, les savants n’avaient pas prédit le danger.  Consternés, ils constatèrent leur imprévoyance.  Le monstre vivait encore, rageait, se vengerait sur une victime plus petite, mais ô combien précieuse.  La Lune.

Elle décrocha, l’ampleur du choc la propulsant dans l’infini.  Elle devint un point lumineux fuyant une Terre agonisante.  Les poètes pleurèrent son départ, mais minimisèrent l’effet de sa défilade.  Tout de suite, les savants comprirent.  Trop tard.

Lune nuit
Sans lumière lunaire, les tortues s’égarèrent, les chouettes se turent, les prédateurs connurent la famine.  En l’absence de la gravité de son satellite, la rotation de la Terre devint chaotique, elle oscilla, se désaxa, le soleil se leva et se coucha à des heures imprévisibles.  Les rayons solaires heurtèrent la Terre sous des angles différents, le climat se désorganisa.  En solitaire, le Soleil influa sur le mouvement des eaux.  Tous les jours, à midi et à minuit, les grandes marées inondaient les terres.  Les courants marins se bouleversèrent.  L’eau de l’équateur remonta aux pôles qui s’alignèrent dans l’axe du Soleil.  Leurs températures furent démentielles.  La moitié du globe se couvrit de glace et plongea dans le noir six mois durant.  L’autre moitié devint un désert aride.  Des tempêtes et des ouragans spectaculaires balayèrent le côté glace.  La civilisation du côté désert se recouvrit de sable et de poussière.  Chaque année, aux six mois, les pôles s’échangèrent l’hiver et la chaleur.  Le magma visqueux sous la croûte terrestre ne subissant plus le passage du satellite, des séismes inimaginables ébranlèrent la surface du globe.  La première, la flore disparut.  Les espèces animales s’éteignirent à sa suite.  L’Homme n’y échappa pas.  Sans la Lune, le Soleil domina la Terre, l’attira dans son abîme.

Issue d’un cataclysme, de la collision de la Terre avec un corps céleste, la Lune avait accompagné la planète pendant quatre milliards et demi d’années, la stabilisant, lui attribuant des conditions uniques.  Une atmosphère s’était développée, les océans l’avaient recouverte, la vie avait germé, avait prospéré.  Mais une nuit d’hiver, bouclant la boucle de la fatalité, une insipide pierre anéantit un monde grandiose, la Planète bleue, la Terre, entraînant dans le néant la vie qui y florissait, avec son joyau, l’Homme, sa raison, et sa vanité.

Inspiré de

http://www.radioh2o.ca/vivresanslune/

http://www.futurasciences.com/magazines/espace/infos/actu/d/astronomie-exobiologie-lune-ne-serait-pas-necessaire-stabiliser-terre-34980/

Notice biographique

Billet de Québec, par Jean-Marc Ouellet…
Jean-Marc Ouellet grandit dans le Bas-du-Fleuve. Médecin-anesthésiologiste depuis 25 ans, il pratique à Québec. Féru de sciences et de littérature, de janvier 2011 à décembre 2012, il a tenu une chronique bimensuelle dans le magazine littéraire électronique Le Chat Qui Louche. En avril 2011, il publie son premier roman,  L’homme des jours oubliés, aux Éditions de la Grenouillère, puis un article, Les guerriers, dans le numéro 134 de la revue MoebiusChroniques d’un seigneur silencieux, son second roman, paraît en décembre 2012 aux Éditions du Chat Qui Louche.  En août 2013, il reprend sa chronique bimensuelle au magazine Le Chat Qui Louche.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

© Jean-Marc Ouellet 2014


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