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Rétrospective 2013 : une année « loup » mouvementée

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

Article paru dans « Mammifères sauvages » n°67 (mars 2014),
le bulletin de la Société Française pour l’Etude et la Protection des Mammifères (SFEPM)

2013 était la première année du troisième plan national d’action (PNA) sur le loup. Un plan globalement désapprouvé par la SFEPM ainsi que par l’essentiel des associations de protection de la nature.

Comme les années précédentes, 2013 n’a pas manqué de déclarations fracassantes dans la presse et de couverture  médiatique des brebis égorgées. Et plus encore que les années précédentes, il y eut cette année des batailles juridiques entre les associations de protection de la nature et l’Etat. Après l’actualité « loup » du printemps-été 2013 relatée dans le précédent « Mammifères sauvages », on peut retenir quelques faits ayant marqué l’automne et le début de l’hiver.

En septembre, une lettre du ministre de l’écologie autorise le tir de loup par les chasseurs au cours de leurs battues « au gibier » dans le cadre des « tirs de prélèvement », sans obligation d’encadrement sur le terrain par les agents de l’Etat. Cette possibilité offerte aux chasseurs n’était pas prévue dans le plan loup ni dans les arrêtés ministériels issus du plan. Il s’en suit une série de déclarations contradictoires et de cafouillages entre le ministère et les services décentralisés de l’Etat. Et il s’en suit surtout des arrêtés préfectoraux autorisant ces battues... attaqués au tribunal par les associations de protection de la nature (ASPAS, FERUS, LPO). Des premiers arrêtés sont suspendus.

Pendant ce temps, début octobre, des éleveurs hostiles au loup manifestent durant plusieurs jours en marge d’un symposium « Vivre avec le loup » se tenant dans le Mercantour, à Saint-Martin-Vésubie. Parallèlement, un sondage réalisé pour les associations ASPAS et One Voice indique que les français sont majoritairement très favorables à la conservation du loup. Le 14 octobre à l’ouverture de la réunion du Groupe national loup (GNL), pour la première fois, FERUS et le WWF se retirent en déclarant que le fonctionnement et l’utilisation de cette instance consultative par l’Etat relève désormais à leurs yeux d’une mascarade. Le seul autre représentant de la protection de la nature au GNL est France Nature Environnement, qui reste siéger cette fois.

Le 27 octobre à Paris, FERUS organise une action médiatique sur le pont de l’Alma : des banderoles en faveur de la protection du loup sont déployées dans le calme, au nom d’un ensemble d’associations partenaires. L’ambiance est bien plus violente le 8 novembre dans les rues de Gap lors d’une manifestation d’éleveurs contre le loup, organisée à l’appel des syndicats FDSEA et Jeunes agriculteurs : des manifestants s’en prennent à la vitrine des locaux de la Société alpine de protection de la nature (SAPN), dégradant la façade avec des viscères de mouton, tandis que les salariés de l’association présents se cloitrent, apeurés et choqués. La SAPN a simplement eu la malchance d’être pour ces éleveurs le symbole « écolo » du moment. Retour au calme le 15 novembre à Lyon, pour une première réunion inter-associative de travail qui regroupe la SFEPM, l’ASPAS, Animal Cross, FERUS, la FRAPNA, la LPO, Mille Traces et le WWF. Après la brochure « loup » réalisée en 2012 par la SFEPM et cosignée par les autres associations, l’objectif est encore d’unir nos forces pour œuvrer collectivement à protection du loup.

Début décembre, le Conseil général des Hautes-Alpes s’illustre en annonçant qu’il refuse désormais de travailler avec la LPO PACA suite à la suspension d’un arrêté préfectoral de « tir de prélèvement » obtenue auprès du tribunal par cette association avec l’ASPAS et FERUS. En tout, pas moins de 17 arrêtés préfectoraux ont été suspendus par les tribunaux administratifs en 2013 suite aux actions des associations, ASPAS en tête. Pourquoi ces arrêtés de tir ont-ils été suspendus ? Parce qu’ils étaient illégaux, dans la mesure où ils ne respectaient pas les conditions d’autorisation des tirs prévus dans les arrêtés ministériels.

Plafond 

Manifestement, ces préfets font tout pour réaliser ce qui semble être pour eux un plan de chasse à mettre à œuvre, avec l’objectif d’abattre 24 loups dans l’année. Les termes de « régulation », de « quota », de « nombre de loups à tirer » reviennent sans cesse dans les propos de certains responsables politiques et de représentants agricoles et cynégétiques. Pourtant, ce nombre de 24 individus en 2013 fixé suite au PNA loup n’est officiellement pas un objectif à atteindre, mais bien un « plafond », un nombre maximal de dérogations pouvant être accordées, théoriquement pour remédier à des problèmes locaux de prédation sur le bétail. Mais la confusion est entretenue en permanence : d’une part, l’objectif de « protection des troupeaux » est systématiquement invoqué dans les arrêtés préfectoraux d’autorisation de « tir de prélèvement » (c’est une condition réglementaire pour que ces arrêtés puissent être pris), et d’autre part, on affiche de façon non officielle mais très virulente une volonté de « régulation » de l’espèce. En réalité, chacun sait qu’abattre un loup dans une zone où existent des problèmes de cohabitation entre le pastoralisme et les prédateurs ne résout rien, si les pratiques pastorales ne sont pas adaptées. Qui plus est, une « régulation » des populations de loups en France serait évidemment insensée pour une espèce en début de recolonisation naturelle et qui n’est encore présente que sur une portion très minoritaire du pays.

Et les loups dans tout ça ?

Et les loups dans tout ça ? La progression spatiale de l’espèce au niveau national reste encourageante en 2013. Il y eut quelques nouvelles observations en dehors des zones de présence permanente connues, en particulier dans le Massif Central (Puy-de-Dôme, Lozère, Aveyron) et dans le nord-est de la France. Dans cette région, en plus de la zone connue dans les Hautes-Vosges, Canis lupus a été identifié dans l’ouest vosgien. Dès les premières prédations constatées sur le bétail dans ce secteur aux confins des départements de l’Aube et de la Haute-Marne, la gestion du dossier par les deux préfets a été expéditive : arrêtés de « tirs de défense » (= possibilité de tuer un loup à proximité des troupeaux). Pas question de réfléchir à l’organisation d’un pastoralisme pouvant cohabiter avec le loup.

Heureusement, aucun loup n’est tué dans le cadre de ces arrêtés. Mais le 31 janvier 2014 dans la Marne, le cadavre d’un loup mâle adulte est découvert dans la campagne au sud de Châlons-en-Champagne, victime d’un tir plusieurs jours plus tôt.

Au 15 mars 2014, on connait au moins 13 cas de loups tués par l’homme en France depuis 2013 et le début du 3ème plan loup :

  • 6 loups tués dans les Alpes-Maritimes,
  • 2 dans le Var,
  • 1 dans les Hautes-Alpes,
  • 2 en Savoie,
  • 1 dans l’Aveyron
  • et 1 dans la Marne.

Sept de ces loups ont été abattus par « tir de prélèvement ». Cinq ont été trouvés morts par collision routière, dont une louve du Mercantour pour laquelle les analyses ont pu établir qu’elle avait été préalablement empoisonnée. Une autre louve a été trouvée morte empoisonnée, et un loup trouvé mort par tir illégal… Il ne s’agit bien évident là que des cas de braconnage connus. Le total avéré de 13 loups tués par l’homme en moins d’un an en France est porté à 17 si on ajoute les louveteaux orphelins condamnés par l’abattage d’une louve allaitante dans les Alpes-Maritimes en juin 2013 par « tir de prélèvement ».

En fait, rien de vraiment nouveau dans toute cette effervescence : le loup embête les éleveurs, les incite à modifier leurs pratiques, tout en étant une aubaine pour certains politiques et des syndicats agricoles qui peuvent crier à la bête en oubliant d’examiner le fond du problème de la filière ovine, problème qui est plus globalement celui de tout un modèle agricole. Il serait intéressant d’évoquer plus souvent:

  • les troupeaux beaucoup trop grands et pas assez gardés,
  • le pâturage intensif néfaste pour la biodiversité,
  • les systèmes de primes au nombre de brebis,
  • la mortalité énorme dans les troupeaux sans aucun rapport avec le loup, en particulier la mortalité des agneaux (régulièrement comprise entre 10 et 20 %), mortalité que la filière ovine n’a jamais vraiment cherché à réduire notablement. Il y a encore de vrais progrès techniques possibles, dans de nombreux domaines.

Il serait utile de rappeler que la consommation de viande de mouton en France est en chute continue, que les éleveurs ne peuvent plus vivre que grâce à l’argent public. Il serait utile de rappeler que la société, qui paye les éleveurs, est en attente de protection des grands prédateurs et de la biodiversité. Il serait intéressant de montrer le travail des éleveurs responsables, car ils existent bien sûr, ceux qu’on ne voit pas crier au loup dans la presse, ceux qui conduisent leur élevage de façon pérenne pour un pastoralisme compatible avec la biodiversité.

Les français sont majoritairement pour le loup, mais il a beaucoup d’ennemis et il a besoin d’être protégé. La SFEPM continue son action, en informant le public et en travaillant pour un regroupement le plus efficace possible des associations de protection de la nature concernées. Il est à craindre que 2014 ne soit pas plus calme que 2013 pour le loup.

Voir

Pour vivre heureux…

Photo de loup © Pierre Rigaux
Aux confins des Hautes-Alpes et de la Drôme, la présence du loup est connue depuis longtemps. Début octobre au petit matin, je croise un berger gardant son troupeau de brebis, dans des prairies en lisière forestière. Comme souvent, la conversation commence par les considérations météorologiques avant de passer… au loup.

Ce berger plutôt sympathique m’explique qu’il travaille « dans le pays » depuis une quarantaine d’année. En journée, il garde son troupeau. La nuit, il le laisse là, avec en guise de gardiennage un petit chien de conduite, type Border, sans parc de regroupement ni chien de protection. « Le loup ici ? Non, il ne vient pas par ici. Je connais, depuis le temps ! ».

Dans mon sac à dos, un piège-photo que je viens de récupérer à 300 mètres de là, en forêt. Dans la carte-mémoire, les photos prises par l’appareil en fin de nuit. Deux loups. Les empreintes suivies indiquent qu’ils sont passés à côté du troupeau, probablement à quelques dizaines de mètres des brebis. Il n’y a pas eu d’attaque. Les brebis n’ont pas bougé, le chien semble-t-il non plus. Coup de chance. Les loups n’auraient eu qu’à se servir. Je ne l’ai pas dit au berger. Il prévoyait de toute façon d’enlever ses brebis dans deux ou trois jours. Et puis surtout, à quelques kilomètres de là avaient lieu des battues « au grand gibier », avec autorisation pour les chasseurs de tuer un loup.

Cette fois là, les battues au loup n’ont rien donné. L’arrêté préfectoral qui les autorisait a été suspendu la semaine suivante par le tribunal. Ah, si les loups pouvaient se faire toujours aussi discrets…

Pierre Rigaux

Photo : Un des deux fantômes © Pierre Rigaux

Les intertitres sont de la Buvette, ils ne font pas partie du texte original.


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