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Lee Jeffries au Yellowkorner: Regarder droit dans la misère

Par Unionstreet

lee jeffries 1

On presse le pas, on accélère, on retient sa respiration dans un réflexe conditionné de défense quasi-organique. Parfois, même, certains n’hésitent pas à se pincer le nez, ultime mépris, preuve s’il en fallait encore qu’ils sont sortis du monde, qu’ils ne méritent pas même le plus rudimentaire des respects, eux, ces clochards, ces clodos, ces chard-clos, ces mendiants, ces gueux. Mais qu’on offre, dans un louable élan de mansuétude, une pièce rouge, un ticket-resto, une clope ou un Doo-Wap qui traîne au fond du sac, aucun d’entre nous ne semble se résoudre à regarder le clochard, le plus pauvre des pauvres, dans les yeux. A peine nous contentons nous de marmonner un lamentable «bon courage » dans un demi-sourire empreint d’une pitié dégoulinante de gène. Personne en effet, ne semble oser se plonger dans l’indécente contemplation de la plus criante des misères. De peur, sans doute de s’abîmer dans le regard de ceux qui ont tout perdu. De vivre ce vertige de néant absolu. Mais au fond, surtout, de réaliser que ce clochard puant et bavant, affalé sur ce banc de métro à 9h00 du matin est un homme. Un être humain. Une trajectoire. Une vie.

lee jeffries yellow korner

Il est un artiste qui les regarde, qui les magnifie dans toute la laideur qu’ils renvoient au monde. Au premier regard, on ne comprend pas vraiment. Les clichés sont beaux, parfois christiques, on hésite un instant. Avant de réaliser que les hommes et les femmes qui nous paraissent si beau sur papier glacé sont ceux qui nous dégoutaient ce matin à 9H00. Une bonne claque dans les dents, qui remet violement les idées en place. Cette claque, c’est Lee Jeffries qui nous l’inflige. Cela fait plus de 5 ans que l’artiste photographie les clochards, droit dans les yeux dans des portraits en pleine lumière, monochromes hyper-contrastés. Cette lumière qui met en évidence les aspérités de la peau et les cicatrices de la vie donne à voir des trognes fatigués, usées, des faces de troncs d’arbres anguleux et noueux, des pipes à crac et des ours en peluche pourris dans des bras d’enfants. Les personnes que Lee Jeffries photographie ne sont, et ici réside toute la force de l’œuvre, pas des sans-abris. Mais des gens. Des enfants aux regards tragiques, vies brisées avant même d’avoir commencé, des vieux briscards de la rue, clins d’œil complices noyés dans des océans de rides, des hommes, des femmes de tous les âges de tous les horizons, qui arpentent les rues de Los Angeles, de Rome et de Londres avec pour seul bagage, leurs histoires, gravée sur des fronts soucieux.

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C’est à Londres, il y a 5 ans, que tout à commencé pour Jeffries. S’éloignant un peu du marathon qu’il couvrait alors, le photographe tombe sur une sans-abri qu’il photographie. Scandalisée par le geste du jeune homme, la SDF lui passe un bon savon, histoire de lui apprendre que 1- le droit à l’image existe aussi chez les clochards, que 2- Les mendiants sont des Hommes comme les autres et que 3- cette femme est divinement belle, drapée dans sa dignité. Fort de cette expérience, Jeffries arpente les rues de Rome, de LA et de Londres et photographie au gréé de ses errances toutes les âmes de la rue qu’il rencontre. De ce projet, 35 clichés, 35 visages vous observent, vous grimacent à la figure et vous émeuvent. Vous attirent vers eux encore et encore, pour mieux vous projeter contre le mur d’en face. Car c’est fourbu et psychologiquement épuisé que l’on ressort de cette rencontre avec les modèles de Lee Jeffries. Bouleversants d’humanités.

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Ce mercredi, la galerie Yellowkorner mettait aux enchères certains des plus beau clichés de l’artiste. Des clochards aux enchères pour finir dans des salons de riches ? « Ultime cynisme », diront certains. Sauf que ! L’intégralité des fonds récoltés par la vente (plus de 20 000 euros) a été reversée à l’association L’un est L’autre, qui offre, chaque week-end, des repas chauds aux SDF. Présent lors de la vente aux enchères, Lee Jeffries affirmait mercredi  »Vivre dans la rue demande de la bravoure. Les sans-abri sont des gens courageux ». De cela, il semble au moins interdit de douter.


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