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Bon anniversaire, Raymond Federman !

Par Florence Trocmé

Federman_1 Ce 15 mai, le poète Raymond Federman a 80 ans. Occasion pour Poezibao de rappeler deux livres tout récemment parus, deux livres que pour des raisons différentes, je qualifierai d’extraordinaires, hors de l’ordinaire.

Le premier, La Voix dans le débarras, paru aux Impressions Nouvelles est le récit que Federman est parvenu à tirer de l’expérience terrible de son enfance, lorsque en 1942 alors qu'il a 14 ans, il est poussé par sa mère dans un placard lors d’une rafle. Toute la famille sera embarquée par les allemands, nul n’en reviendra, père, mère, sœurs. Raymond survivra mais toute sa vie et son œuvre seront marquées au sceau de cette expérience et de cette survivance.
Dans La voix dans le débarras, écrit simultanément en anglais et en français, ce qui frappe c’est le contraste entre la forme matérielle du texte et ce texte.
Casse à l’intérieur – intérieur du placard | enfant dans le placard – syntaxe phrases, narration, chaos, turbulences mais enserrés orthonormiquement, blocs quasi carrés, cadrés, justifiés, lignes impeccables, parois de la tombe-issue. Inside, déconstruction de la raison et court-circuit du principe temporel de la narration. Et cette double rédaction en français et en anglais par le poète même. Des différences ; elles sont éclairantes. Double langue pour la dichotomie, adultes/enfant, sauvé/exterminés, pour aucun centre stable, deux voix, la sienne, la leur, fondues
Raymond Federman, La Voix dans le débarras, the voice in the closet, Les Impressions nouvelles, 2008

Federman_3 Dans le second livre qui paraît aujourd’hui même aux Editions Cadex, A la queue leu leu, The Line, si le ton est plus léger (mais l’est-il vraiment, ou que cache le ludique, je vais y revenir), on retrouve un travail très poussé sur la disposition du texte. Je rends hommage au poète-compositeur mais aussi à l’éditrice, Hélène Boinard, de Cadex Editions, pour l’époustouflant travail typographique réalisé pour ce livre. Tout ici semble métaphore, le livre, la disposition, le récit, la phrase, la queue elle-même, qui déploie tout son symbolisme latent, image de la condition humaine (théorie, procession, file d’attente, danse macabre, etc.), la phrase et ses mots qui se pressent au portillon. Le texte coule comme un filet, comme la file, se déploie, bordé par la foule des caractères. En diptyque superbe, première partie, le texte français à l’avant-plan, encadré, inclus sur le fond du texte anglais, traité dans une couleur pâle, mais très présent comme agent de construction des jeux typographiques. Puis au mitan du livre, cela s’inverse, c’est le texte anglais qui devient la longue file qui se faufile entre les fourrés denses du texte français.

« Dans ce long calligramme ondoyant, le texte est mis en perspective par une mise en page mimétique et surprenante où pas à pas, page après page, des interventions graphiques et typographiques l'accompagnent.Ainsi, la présentation de cet ouvrage épouse les méandres d'une tradition avant-gardiste dont l'auteur de Quitte ou double (Al dante) s'est fait, outre-Atlantique, le héraut. » (Texte de présentation du livre par les éditions Cadex)

Federman_5 Raymond Federman semble ici donner, sur un mode donc apparemment ludique, toute sa place à cette image clé de la condition de l’homme moderne (il suffit de songer à ce qui se passe en ce moment en Birmanie, en Chine, à ce qui s’est passé hier en Europe), la queue. Attendre pour. Partie d’une myriade, perdu dans l’infinité de la masse humaine et attendant pour du pain, de l’eau, un peu de viande, des médicaments, du sens. Ce sont toutes ces foules pressées et désespérées qui surgissent à la lecture. Et pourtant on rit et on se souvient que le blog de Raymond Federman est sous titré the laugh that laughs at the laugh..., on se souvient aussi que Federman est un grand spécialiste de l’œuvre de Beckett (il a notamment dirigé le cahier de l’Herne consacré à son ami).

Raymond Federman, A la queue leu leu, the line, adapté et traduit de l’anglais (U.S.) par Stéphane Rouzé , Cadex editions, 2008, 18 euros.

voir aussi sur le site des Impressions nouvelles

Federman_2 Raymond Federman dans Poezibao :
Bio-bibliographie,
in le Matricule des Anges n° 68,
in Fusées, n° 9,
extrait 1,
La voix dans le débarras (parution)

Les images, agrandissables par simple clic, sont toutes des reproductions de pages de A la queue leu leu


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