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Her, bijou anxiogène et nerd

Publié le 27 mars 2014 par Wtfru @romain_wtfru

La bande-annonce avait ravi et attisé la curiosité de nombreux spectateurs. Spike Jonze est de retour. Le réalisateur du Maryland – réputé pour la beauté de ses clips musicaux – nous offre deux heures de plaisir gênant et touchant. Le titre du cadeau ? « Her ».

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Theodore Twombly – interprété par Joaquin Phoenix – est un trentenaire menant une existence dénouée de soucis matériels. Dans un futur proche (2025 à Los Angeles), l’homme à la moustache velue et la cambrure si personnelle rédige oralement des lettres numériques sur commandes. Des missives destinées à des proches, amants, familles, enfants. Une sorte d’écrivain public à la sensibilité exacerbée.

Theodore Twombly

Theodore Twombly

Dès le 1er plan du film, l’intensité du personnage est perçue. Face caméra, Joaquin déclame avec passion et émotion une lettre d’un américain lambda. Le personnage de Theodrore Twombly est la symbiose parfaite de l’homme de ce XXIe siècle, fort et sensible à la fois. Une vraie performance pour Phoenix. Toujours surpris par son succès au cinéma, l’américain a dû travailler son intensité tout au long de sa carrière. Touché par la mort de son frère acteur – River Phoenix —, il a très vite perçu ses lacunes dans le jeu au contraire de son cadet et sa facilité déconcertante. Dans la vraie vie, Joaquin est un loup solitaire. Le personnage de Her aussi. Seul après un divorce douloureux avec Catherine (Rooney Mara), Theodore déambule dans les rues de Los Angeles. Gagnant bien sa vie, il vit dans un immense appartement dans un building typique. De grandes baies vitrées, un intérieur soigné. La photographie est une douceur exquise. Hoyte Van Hoytema – directeur de la photo – arrive à entretenir le lien graphique entre le personnage principal, son caractère et son environnement.

Dans un état de déprime permanent, la vie sociale de Theodore est inexistante ou presque. Il passe ses soirées à se souvenir de son mariage, jouer dans des univers immersifs. Avant de s’endormir, il tente de nouer des relations érotiques en ligne. Absorbé par un univers multi connecté, le héros du film tient en haleine le plus vieux et grand pouvoir de l’Homme: son imagination. Une représentation très actuelle livrée par Spike Jonze sur la société d’aujourd’hui et nos rapports avec l’autre.

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Spike Jonze et son équipe technique avec les acteurs  Crédit photo : Wmagazine

Spike Jonze et son équipe technique avec les acteurs
Crédit photo : Wmagazine

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Son quotidien va changer le jour où il découvre le programme artificiel OS. Le point d’ancrage du long-métrage. Pourtant, l’idée a quelques années. Il y a environ dix avant la concrétisation du projet, Spike Jonze découvre sur le net un article évoquant un programme d’intelligence artificielle. « Cela parlait de la messagerie instantanée générée par intelligence artificielle. Je me suis connecté à ce système (…) Nous avons discuté pendant un moment, et j’ai alors pris conscience que j’étais en train de parler à un ordinateur qui m’écoutait et qui me comprenait ».
Néanmoins, ce dispositif est bien moins perfectionné que dans le film. Le système découvert par le réalisateur n’est pas intelligent. Il ne fait que répéter ce qu’il a entendu. À partir de là, la réflexion du film semble logique. Spike Jonze se questionne sur la possibilité d’entrevoir un tel système avec des sentiments. OS est un système très discret et intelligent. Le propriétaire peut choisir entre une voix masculine ou féminine. Évidemment, Théodore s’oriente vers le second choix. La voix d’une sensualité naturelle est interprétée par Scarlett Johansson. L’OS devient son seul lien social. Samantha – baptisée par elle-même – va le suivre tout au long de sa journée. Sa perception du monde, son intelligence supérieure et sa douceur en font la compagne idéale pour sa vie de solitaire.

L’homme et l’ordinateur deviennent éperdument amoureux. La force du film réside en la faculté de son réalisateur de dépeindre cette relation sans cruauté ni moquerie. Le monde futuriste dans lequel vit Theodore est utopique. Absence de violence, de pollution. Le fantasme nerd est poussé à l’extrême. Les robots ont pris une grande importance dans la vie quotidienne. Elles régissent la vie de nombreux habitants de Los Angeles. Alors que le spectateur tend à penser que les émotions disparaissent, absorbées par la robotisation de la société, c’est bien le contraire. Elles sont la substance du film. Le spectateur découvre un Joaquin Phoenix au bord de la dépression. Son personnage décuple son émotivité lorsqu’il s’amourache de Samantha. Il devient accro à son OS et donc à la technologie. Le réalisateur réalise un vrai tour de force en prenant à contre-pied l’idée que Samantha n’est qu’une entité technologique. Elle devient – au fil du film – un personnage quasi humain. Avec Skype, les iPhone ou encore les moyens de communication de maintenant, le spectateur s’identifie à cette relation amoureuse impossible. Qui n’a jamais vécu une histoire d’amour réel, mais quasi impossible dû à une distance entre vous et votre âme sœur ?

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Samantha et Theodore, une relation agréable

Samantha et Theodore, une relation agréable

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Her interpelle, gêne et questionne sur les relations amoureuses et peut-être un futur possible. À chaque rendez-vous avec son ex-femme (Catherine), Theodore Twombly est dans le doute. La perfection numérique, mais dénuée de corps ou l’imperfection humaine tant réelle. Justement (petit spoil), la scène avec l’escorte – non vénale – spécialisée pour les couple humain et OS va dans ce sens. Samantha – autonome — n’hésite pas à demander son aide afin de lier physiquement et par l’esprit les deux corps. Mais Theodore n’y arrive pas. Avec cette scène, Spike Jonze décrit les limites de cette relation irréelle. L’illusion d’une plénitude quasi parfaite est gommée dans la seconde partie du film. Les sentiments et les problèmes de couple sont effectifs ici. Comme quoi, malgré la soi-disant perfection numérique, le bonheur n’est qu’éphémère. Un conte futuriste au plus près de notre quotidien. Et si c’était ça le futur ?

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