Le thème de ce mois-ci:"lire le premier tome d'une saga". J'ai donc choisi:
qui inaugure la grande fresque de Mimile: Les Rougon-Macquart.
I. Quelques mots sur l'histoire
Dans ce roman, il n'y a pas forcément d'action romanesque comme c'est le cas pour les romans suivants. On sent bien qu'Emile Zola a vraiment cherché à faire de ce roman une base solide généalogique des personnages qui apparaitront dans toute sa fresque littéraire. On a à la fois l'histoire généalogique de cette famille décomposée et recomposée mais aussi l'Histoire des Français au XIXème. On voit évoluer nos Rougon et nos Macquart avec à l'arrière-plan toute la révolution de 1848.
Le premier chapitre évoque la rencontre entre Silvère , un jeune ouvrier et , une pauvre paysanne adolescente qui porte en elle un lourd secret ( comme toutes les héroïnes Zoliennes, elle a été abusée, maltraitée, mosquée, humiliée) et dont la " tare héréditaire" la suit et la suivra pour toujours: elle est fille de forçat.
Le forçat, au XIX°, représente le monstre, le paria, le type qui effraie et qui rebute (comme Jean Valjean dans Les Misérables). Par ricochets, elle endosse l'erreur de son forçat de père et apparaît au monde comme une personne méprisable.
L'histoire de Silvère est la plus chargée symboliquement en terme de politique mais c'est aussi la plus belle et la plus forte en matière de sentiments.
est un personnage attachant qui représente en quelques sortes les philosophes des Lumières et leur penchant pour la révolution, la liberté, l'égalité; on peut fortement le rapprocher de Gavroche des Misérables de Victor Hugo.
L'histoire de Miette et de Silvère est celle d'une passion amoureuse mais aussi celle d'un engagement politique et patriotique. La naissance du sentiment grandit tout aussi vite que la Révolution: les deux évènements sont totalement et merveilleusement synchronisés dans les deux pulsions antagonistes mais complémentaires: - la pulsion de vie , le désir d'amour, le désir charnel- et Thanatos - la pulsion de mort.
Miette devient également une allégorie de la République, de la Liberté.
Tout au long du traçage de leur histoire, la couleur Rouge sera permanente: symbole de la passion, du sang et de la Révolution. Miette portera en permanence les couleurs du drapeau français; son portrait portera la trace du -blanc-rouge; et ce jusqu'à sa fin. ("un fichu de couleur, le corset blanc, la jupe de cotonnade bleue".)
Le deuxième chapitre laisse en plan notre couple. Cette digression s'attache à décrire une autre famille. Ainsi, voit-on se profiler progressivement l'arbre généalogique des Rougon-Macquart.
Notre couple originel reviendra à la fin de la digression descriptive et s'imbriquera à merveille dans le cours de l'histoire des Rougon-Macquart.
"Ils vivaient dans une pensée nique: faire fortune, tut de suite, en quelques heures; être riches, jouir, ne fût-ce que pendant une année. Tout leur être tendait à cela, brutalement, sans relâche."
Toute une série de portraits aussi serrés que symboliques nait au fil de pages. Chaque personnage est représentatif d'une classe sociale, d'un type humain, d'un vice ou d'une vertu:
l'Avare, le Riche, le Pauvre, la Femme battue, la Mégère, le Stratège, le Rustre, l'Elégant, le Malin, l'Intelligent, le Sot, le Parasite.
On retrouve en permanence un type Zolien: l'homme est souvent rustre et alcoolique, la Femme est soit une mégère sournoise et violente ou une pauvre femme abusée et violentée.
Dans cette famille, il est toujours question d'un thème cher à Zola: la réaction des gens face à la mort et surtout face à l'argent . On comprend que dès qu'il est question d'héritage, le sentiment pour le défunt et le chagrin qui est censé en découler passent à la trappe au profit du gain.
"La race des Rougon, de ces paysans épais et avides, aux appétits de brute, avaient mûri trop vite; tous les besoins de jouissance matérielle s'épanouissaient chez Aristide..."
Pierre Rougon apparaît comme un tyran: il rend sa mère esclave, la ruine et se débarrasse des bâtards que sont Antoine et Ursule.
Mauvais fils , pire demi-frère, il sera encore mauvais mari et père indigne .
Par radinerie et par peur d'être dépassé, il refuse à ses enfants toute instruction.
Contrairement à son mari, Félicité souhaite le meilleur pour ses enfants et leur offre les études qu'ils méritent. Sur ces 5enfants, on ne parlera que très peu des filles. En revanche, les trois garçons sont en permanence en conflit.
Eugène l'aîné: c'est le physique de Pierre avec toutes les qualités morales de Félicité.
Aristide, le benjamin est son opposé: il a le physique de sa mère et la mentalité du père.
Entre les deux, il y a Pascal qui navigue entre deux eaux: ne ressemble ni à son père ni à sa mère, il mène une vie médiocre: c'est le Français moyen sans vices visibles, mais sans grandes vertus non plus.
décide de marier Aristide à Angèle espérant ainsi que la dot de cette dernière lui permettrait de rendre Aristide indépendant mais c'est l'effet inverse qui est ainsi créé: les deux vivent aux crochets de Rougon.
L'image du parasite est récurrente dans le roman: Angèle tente tant bien que mal à subvenir aux besoins du couple, elle crève la faim, travaille comme une forcenée... et le peu qu'elle gagne est dépensé par aux jeux et en alcool(s).
représente à la fois le pingre et le paria: les enfants ne sont pour lui que des bouches à nourrir qui lui coûtent "son pain". Les enfants lui deviennent merveilleux dès lors qu'ils travaillent et rapportent quelques sous. est un parasite qui vit aux crochets de sa femme, de ses enfants. Il n'hésite pas à les voler; il bat Gervaise (qui sera battue par ses deux maris...). Gervaise, cette " bancale de naissance. Conçue dans l'ivresse, sans doute pendant une de ces nuits honteuses où les époux s'assommaient, elle avait la cuisse droite déviée et amaigrie, étrange reproduction héréditaire [...]"
Ce cadre historique accentue les caractéristiques des personnages et agit comme un révélateur des êtres. Ce roman semble devenir au fil des pages un véritable manuel, un témoignage, un précis d'histoire. Petit résumé du contexte historique à la façon Mademoiselle A .
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Le peuple se soulève l'été 1830 à cause des excès des ultraroyalistes, d'un roi - Charles X- qui ne veut rien entendre... Suite à des élections, les libéraux sont largement en tête, ce qui inquiète fortement le roi. Pour asseoir son autorité et imposer sa présence, il va prendre des mesures radicales pour éviter d'être évincé ( dissolution de la Chambre, modification de la loi électorale, organisation de nouvelles élections...) Et là... c'est le drame. Il voulait sauver son petit derrière, mais il n'a fait qu'attiser la colère d'un peuple déjà bien remonté.
Les 28 et 29 juillet , le peuple est dans la rue: c'est une sorte de "mai 68"... Rues dépavées, violences, révoltes... Le régime de est renversé au profit de Louis-Philippe . (cela ne s'est pas passé aussi facilement!!)
Cette monarchie de Juillet se construit malgré tout dans l'adversité puisque trois camps sont visibles: les républicains, les bonapartistes, les royalistes (ou légitimistes).
Pendant 18 années, la France connaît une misère considérable: les pauvres s'appauvrissent, les plus miséreux en meurent, les riches redoutent les émeutes et le gouvernement ferme les yeux.
1848: la France est en crise (politique, économique, sociale...). Le gouvernement Guizot est fortement remis en question. Il faut savoir qu'à cette époque le parti bourgeois a la mainmise sur beaucoup de domaines; il surveille tout, ce qui exaspère l'opposition. Le 22 février , la foule se réunit entre la Madeleine et le Palais Bourbon. La manifestation initiale va vite connaître des débordements: violences, incidents. On réclame la démission de Guizot. Ils l'obtiennent. Mais, le pire reste à venir...
Des coups de feux sont tirés sur les manifestants qui crient au scandale et scandent à tout-va "on égorge le peuple!"
Le 24 février , Louis-Philippe abdique en faveur du Comte de Paris.
Pour les monarchistes, c'est le coup de grâce; pour les républicains, c'est une aubaine .
Le 25 février: la République est proclamée.
Le roman de Zola insiste bien sur la fulgurance et la violence des combats entre ces deux bandes rivales. Il montre d'une part l'angoisse montante des monarchistes de se faire dézinguer par les Révolutionnaires et d'autre part la communion et la force sanguinaire d'un peuple révolté qui se bat pour la bonne cause.
"La révolution de 1848 trouva donc tous les Rougon sur le qui-vive, exaspérés par leur mauvaise chance et disposés à violer la fortune, s'ils la rencontraient jamais au détour d'un sentier. C'était une famille de bandits à l'affût, prêts à détrousser les évènements. Eugène surveillait Paris; Aristide rêvait d'égorger Plassans; le père et la mère, les plus âpres peut-être, comptaient travailler pour leur compte et profiter en outre de leurs fils; Pascal seul, cet amant discret de la science, menait une belle vie indifférente d'un amoureux, dans sa petite maison claire de la ville neuve."
Les Rougon sont des conservateurs, des royalistes par obligation car ils désirent plus que tout s'enrichir.
Les personnages s'affrontent dans une lutte sans merci comme les Révolutionnaires républicains et les monarchistes l'ont fait à cette époque."Il s'était formé chez les Rougon un noyau de conservateurs qui se réunissaient chaque soir dans le salon jaune pour déblatérer contre la République."
font bonne figure et créent leur "Salon Jaune" qui sera leur QG de propagande monarchiste anti-révolutionnaire et antirépublicaine. "La haine s'accrut encore, lorsque les Rougon eurent groupé les conservateurs autour d'eux, et qu'ils prirent à Plassans, une certaine influence. Le fameux salon jaune devint, dans ses bavardages ineptes de café, une caverne de bandits, une réunion de scélérats qui juraient chaque soir sur des poignards d'égorger le peuple."
est pour la République, c'est un "Républicain féroce". On a la double "lutte des Rougon contre les Macquart: sur le plan familial (les bien nés et les bâtards) et sur le plan politique (les Républicains et les Anti-républicains)
Zola fait une sorte de puzzle avec son œuvre: il nous donne quelques indices à l'emporte-pièces et au fur et à mesure le lecteur rapièce le tout et la fresque familiale pernd forme. Puzzle ou bien peinture impressionniste: par petites touches, Zola nous donne à voir certains éléments et notre cerveau combine les fragments de façon à former un tout.
Un très bon roman pour comprendre la somme Zolienne mais aussi une façon ludique et plus claire d'envisager l'Histoire Française.
Et ce billet entre aussi dans le challenge du XIXème...
Dans le manoir aux livres...
Jeu de briques
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