Revoilà notre chronique de l'avant première du dimanche soir autour d'un film dont les médias vont peu parler, alors qu'il vaut largement le coup. Ce dimanche, j'aimerais vous toucher quelques mots sur Une histoire banale, le troisième long métrage d'Audrey Estrougo qui a notamment tourné « Toi, moi, les autres », une jolie comédie musicale avec Leïla Bekhti et Benjamin Siskou, et qui a eu toutes les peines du monde à financer son troisième long, dont le sujet a visiblement fait peur à tous les financeurs éventuels.Il faut dire que le sujet a effectivement de quoi faire peur aux producteurs qui cherchent tous avant tout la nouvelle poule aux oeufs d'or du cinéma français, bref un sujet qui fait fonctionner les zygomatiques en premier lieu. Et force est de constater que tenter de réaliser un film autour des conséquences psychologiques d'une victime de viol a de quoi effrayer n'importe lequel de ces producteurs et investisseurs potentiels.Du coup la jeune cinéaste de même pas 30 balais a tourné ce film avec un budget totalement misérable-("je savais meme pas qu'on pouvait tourner un long métrage pour cette somme, à savoir 8 000 euros ,juste de quoi, payer les tickets de métro et nourrir l’équipe du film pendant les trois semaines de tournage »), avec également une équipe de 10 personnes maximum, et un tournage etalé sur trois semaines seulement.Mais qu'importe les moyens si, au final, le film existe bel et bien et pourra être proposé sur grand écran, même si le nombre de copie risque de ne pas être très grand. Car un film sur ce sujet là, on en voit vraiment peu dans le cinéma francais.Je me souviens bien ( si on passe sous silence le "Irreversible" de Gaspard Noé car le viol était plus un effet de scénario que le vrai sujet du film) avoir vu à la TV quand j'étais jeune "L'amour violé" de Yannick Belon - qui traitait frontalement de ce sujet, mais comme ce long métrage a été tourné en 1977, on ne peut pas dire que cet exemple soit des plus récents.
Bref, on comprend tout à fait la perservérance d'Audrey Estrougo qui s'est battu corps et âme pour qu'"Une histoire banale" existe et puisse contribuer, comme "L'amour violé" en son temps avait pu le faire, à aider à faire bouger les mentalités, un changement nécessaire à une époque où le viol n'est peut etre pas aussi tabou qu'en 1977, mais reste encore très souvent passé sous silence par la victime ou son entourage.
Cela dit, par rapport au film de Yannick Bellon- dans lequel la scène de viol était à la limite du soutenable, la jeune metteur en scène ne cherche pas à choquer en nous montrant le viol dans toute son horreur; la scène en question ne dure que quelques instants ,et sera filmé avec pas mal de pudeur.
L'important pour elle est plutot de s'attarder sur les conséquences morales d'un tel crime, comment une jeune femme qui avait confiance en elle, bien dans sa peau et sa sexualité peut, du jour au lendemain, basculer dans le mutisme et l'automutilation tant elle a été brisée par cette terrible tragédie.
La seconde partie du film, pratiquement un huis clos à un seul personnage, nous montre parfaitement à quel point son rapport aux hommes et à la vie s'est désagrégé du jour au lendemain, suite à cette tragédie.
Par rapport à la première partie, plus enjouée et plus classique, cette dernière heure est parfois éprouvante à regarder, avec un côté parfois anxiogène, mais reste singulière et tout à fait salutaire, et surtout permet de nous montrer l'exceptionnelle prestation de Marie Denarnaud (que j'avais adoré dans Les Corps impatients » ou les adoptés de Mélanie Laurent), plus que convaincante en fille en pleine descente affective et sociale, qui tentera de se raccrocher à une illusoire mais nécessaire bouée de survie.
Bref, malgré quelques maladresses, notamment dans l'interprétation de certains personnages secondaires, et une radicalité parfois un peu rédhibitoire, Une histoire banale est un portrait intime captivant et original largement réhaussé par la performance de son interprète principale et qui surtout échappe au côté simpliste et didactique, très "Dossiers de L'écran "dans lequel le film aurait pu tomber, vu le sujet en question.
La preuve que même avec un budget dérisoire et plein de batons dans les roues, Audrey Estrougo avait tout à fait raison de s'accrocher autant à son projet.