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Billet de L’Anse-aux-Outardes, par Claude-Andrée L’Espérance…

Publié le 30 mars 2014 par Chatquilouche @chatquilouche

Une mansarde avec une fenêtre. Comme un œil ouvert sur le ciel. Une fenêtre où elle n’a jamais pu se résoudre à poser un rideau. Refusant de soustraire à sa vue l’infini et le mystère.

Il fait chaud dans la mansarde. Elle a choisi d’y habiter. Le plus souvent alitée sur un matelas posé au sol. Le jour, la nuit. À n’en plus faire la différence. Lumière trop vive, obscurité. En un précaire équilibre entre le vertige et la chute. Entre l’extase et la douleur. Elle vit.

Les autres. Depuis longtemps ils ont déserté sa maison. Pourtant elle se surprend encore parfois à les entendre chuchoter. Et à s’entendre leur répliquer. Qu’il ne lui reste que peu de temps. Que la douleur est un exil. Qu’elle voulait tant leur épargner. Et qu’il lui était devenu oppressant de les voir, chaque jour, s’affairer autour d’elle. Et de lire dans leur regard un peu de sa propre détresse.

Le ciel se mire dans les eaux

ma tête s’invente des voyages

dans l’ombre des oiseaux de passage

viennent parfois effleurer ma peau

Drogues licites ou illicites. Il faut bien apaiser le corps. Et de surcroît, ravir l’esprit. Au risque de devoir, au retour, résister à l’envie. D’ouvrir bien grand toutes les fenêtres. Pour y laisser entrer l’hiver. Ces nuits où il gèle à pierre fendre.

Sur un matelas posé au sol. Le jour, la nuit. Le plus souvent, elle git. La bouche muette, le corps alangui qu’à intervalles réguliers une vive douleur vient ranimer.

La gorge sèche, les comprimés et à nouveau l’engourdissement…

Dans les eaux le ciel s’obscurcit

voilier d’oiseaux au-dessus de ma tête

le jour décline

j’entends leurs cris

 

Sa tête a beau s’inventer des voyages. Il lui faut chaque fois revenir. À regret reprendre son souffle, retrouver ses rythmes familiers. Dans le noir, une fois encore, elle tend l’oreille. Dehors le vent s’est calmé. La neige tombe, lourde et mouillée. Dans la mansarde, c’est le silence. Ponctué de quelques bruits discrets. Derrière les murs, une présence. Souris sylvestre, souris à pattes blanches ?

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Elle se dit qu’il lui faudrait poser des pièges. Mais, depuis peu, sacrifier des vies lui répugne. Aussi insignifiantes soient-elles. Et lui répugne davantage l’idée de devoir dégager du mécanisme meurtrier des pièges les corps rigides des petites bêtes. Et puis il fait si froid dans la mansarde. Il fait si froid qu’elle en frissonne. Mais ce n’est pas seulement pour ça.

En enfilant son chandail de laine, ses bas et son bonnet, stupéfaite, elle se demande ce qui la pousse, bien malgré elle, à s’accrocher, à résister. Quand il lui est chaque jour plus difficile de se lever, de bouger, de poser ses pieds sur le sol, d’avancer jusqu’à l’escalier. Puis une main agrippée à la rampe, descendre une à une les marches et au milieu de la cuisine, pour la centième fois peut-être, hésiter entre allumer le feu dans l’âtre ou risquer quelques pas dans la nuit…

Notice biographique

Claude-Andrée L’Espérance a étudié les arts plastiques à l’Université du Québec à Chicoutimi. Fascinée à la fois par les mots et par la matière, elle a exploré divers modes d’expression, sculpture, installation et performance, jusqu’à ce que l’écriture s’affirme comme l’essence même de sa démarche. En 2008 elle a publié à compte d’auteur Carnet d’hiver, un récit repris par Les Éditions Le Chat qui louche et tout récemment Les tiens, un roman, chez Mémoire d’encrier. À travers ses écrits, elle avoue une préférence pour les milieux marins, les lieux sauvages et isolés, et les gens qui, à

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 force d’y vivre, ont fini par en prendre la couleur. Installée aux abords du fjord du Saguenay, en marge d’un petit village forestier et touristique, elle partage son temps entre sa passion pour l’écriture et le métier de cueilleuse qui l’entraîne chaque été à travers champs et forêts.  Elle est l’auteure des photographies qui illustrent ses textes.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


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