A points mon cher, à points !
par Jacques Frier
Dans ce restaurant de rêve que l'imagination m'aidera à vous faire connaître mieux lorsque nous serons devenus amis, les primevères sur tables y seraient naturelles, l'entrecôte excellente et les «coniques» indécemment copieuses. En ce tout début d'avril frisquet, alors que je constaterais avec délectation anticipée que les morilles sont effectivement en place dans la ronde des mets sur la carte et que le maître d'hôtel (un gentil garçon) attendrait ma commande, la question m'envahirait subitement : quelles seraient les mesures à prendre si je devais occuper un jour la fonction de ministre des champignons ou, plus modestement, siéger autour d'une table ronde les cernant ? Difficile de me répondre à brûle-pourpoint sans faire poireauter le maître de séant qui me proposerait également la truite meunière aux girolles (congelées à cette époque).
Une priorité me sauterait immédiatement à l'esprit pour préserver la santé des personnes dont les espèces sournoisement toxiques empoisonnent l'existence, mais aussi sonder au plus vite l'état d'avancement de la connaissance populaire assise sur des rumeurs et légendes à ronfler debout et cela, malgré les efforts d'information prodigués par les maisons médicales, les laboratoires d'analyses et cliniques privées pour achalander leurs salles d'attente confortables et conviviales de lectures appropriées, c'est-à-dire rien, néant et noir tunnelliforme. Quant à celles des pharmacies, c'est réglé comme une ordonnance, il n'y en a pas, la station debout favorisant une bonne circulation sanguine (1).
Pris au dépourvu à l'idée de dresser un sommaire de ce vaste programme salutaire, j'en appellerais donc à la clémence dans la critique. Je pourrais par exemple profiter d'évènements naturels pour développer un mycotourisme (chanterelles cendrées, hébélomes échaudés, tricholomes brûlés, etc.) après une bonne éruption volcanique en Islande) mais cela resterait aléatoire, ou religieux (prospections de trompettes autour des cimetières et fosses communes pour la Toussaint, conférences sur l'amanite tue-mouches devant une bûche de Noël, recherche d'oeufs de Phallus pour Pâques), mais l'idée risquerait d'être déformée voire récupérée.
En revanche celle de donner un saint patron à la mycologie me semblerait boucher un trou insupportable et j'applaudis sans ciller à la suggestion de Guy Meunier (2) pour Saint-Tuber dont la date tombe à point nommé pour fêter le retour des chères melanosporum. J'y apposerais toutefois un bémol, mais un gros, à savoir le rappel de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. A ce titre, je ne tolèrerais voir aucun prélat, quel que soit son grade, fut-il d'Ubide (Espagne), brandir le goupillon pour bénir le moindre panier et l'Opinel émoussé, flagorneries courantes du clergé avec les meutes de cabots avant le départ pour une matinée-boudin à la messe d'un autre saint-homonyme. Et pourquoi ne pas bénir les croquettes, l'os à moelle ? Et les boîtes ? Et les boîtes… Et les puces ? Et les puces... (Au refrain : Alouette, gentille alouette...).
Pour revenir et en terminer avec ce choix crucial de nom patronal, je pourrais admettre que des bergères coutumières de glaner sous les chênes, essence hébergeant nombre d'espèces de champignons, soient fort déçues de ne pas se voir proposer Saint-Phalle qui, pour certaines, évoquerait immanquablement d'émoustillants souvenirs de jeunesse, mais ne refléterait en aucun cas une réputation de bon goût...
...Mon choix entre l'entrecôte/morilles et la truite/girolles étant long à prendre son élan, je commanderais une coupe de cet excellent champagne sorti du chapeau de Guy Moussy, mycologue et magicien des bulles, puisque ce restaurant aurait eu la pétillante initiative de le présenter sur sa carte (3).
Une autre évidence qui ne semble pas encore acquise pour le ramasseur de champignons occasionnels, et inversement d'ailleurs, celui-ci devenant alors mycopportuniste, serait utilement l'objet d'une autre mise au point : tout produit naturel du sol appartient à son propriétaire. Généralement tolérée sur des terres de l'état (forêts domaniales), la cueillette chez autrui est donc considérée comme du vol et peut se terminer dans l'amicale ambiance du tribunal pénal (4). Dans le cas où pareille désagréable aventure devait vous échoir, changez vite d'avocat si ce théâtreux évoquait l'absence de clôture, le béton de l'alibi serait désarmé par la jurisprudence (5).
Par ailleurs, l'inventeur (celui qui découvre) d'une récolte ne doit pas se mentir : la règle de « un an et un jour » est aussi fausse à l'oreille qu'un canard et bien mal venue pour des champignons qui n'attendraient pas ce laps avant de rendre l'âme. Egalement, si de passage automnal dans les Cévennes, vous feignez d'ignorer la différence entre marrons et châtaignes, les ardéchoises qui ne sont pas toutes des dindes, du nord au sud et de l'huile au beurre, vous l'expliqueront sans prendre de gants si vous vous avisez à chiper leurs oursins forestiers, avec le rappel que champignon se termine par gnon.
Il y a même des régions entières où de lâches pneumatiques sont réputés se dégonfler sans raison apparente. Quelques scientifiques n'ont pas hésité à faire le rapprochement, sans l'explication rationnelle, entre la présence de cèpes et celle, incongrue, de pneus à plat. Entre parenthèses, j'ai lu dans une revue épineuse que l'Ardèche était trop belle pour les ardéchois. Il ne faut pas exagérer, parmi les gredins qui ont vendu montagne et garrigues à nos amis des plats pays, on doit bien pouvoir compter quelques requins dégourdis du bec d'Oc (prononcer bedot).
Résolument convaincu de l'utilité de la répression pédagogique sans laisser sur la touche la pédagogie répressive, j'imaginerais à titre expérimental l'aide de la télé-surveillance dans des biotopes accidentogènes connus (tricholomes tigrés, entolomes livides...). Non seulement l'image affichée sur le panneau avertirait le néophyte de sa méprise sur l'espèce, mais transmettrait celle-ci à l'administration compétente (laquelle ?) qui pourrait verbaliser le délinquant ou braconnier ne respectant pas le quota (plan de chasse) autorisé, et la maille bien évidemment.
Concernant le cueilleur ivre ne mettant pas la vie d'autrui en danger avec son seul panier, contrairement au fusil qui reste dangereux jusque dans des mains sobres, aucun dépistage d'alcoolémie ne serait à l'ordre du jour, y compris lors de fortes poussées nocturnes bien arrosées. A l'inverse, l'emploi de sacs plastiques deviendrait lourdement taxé après la pose de panneaux implantés le long des bords des routes dans des zones à clitocybes blancs et, de ce fait, éclairant le maraudeur sur ces teignes. D'ailleurs, on ne fauche pas de champignons le long des routes, ils sont truffés de plomb ! Et accessoirement gorgés d'herbicide généreusement répandu par la voirie.
Bien malin ou gros menteur est celui aujourd'hui qui peut prédire, même vaguement, à quoi ressembleront demain les rivages marins si l'on se réfère à la fonte de la banquise, plaisanterie innovante du IIIème millénaire. La réponse est probablement à décrypter dans une prophétie de Nostradamus adaptée d'une gravure en braille maya. En attendant et dans un souci de précaution, je proposerais de planter le long des côtes des abricotiers, ne serait-ce que pour m'attirer la sympathie des mycologues, des fois qu'ils se regroupent un matin en parti politique avec le soutien des pêcheurs et autres féodaux de la ruralité. En effet, l'abricot sent la chanterelle qui elle-même sent l'abricot, et ces plantations odorantes et mellifères seraient une juste réparation esthétique d'une France défigurée (j'ôte les points dans quelques pages). D'autant que les centaines de milliers de fûts radioactifs immergés un peu partout ne devraient pas tarder à vomir leurs pépins, alors mieux vaut prévoir les noyaux. C'est pourquoi j'insiste : des abris oui, mais des abricotiers monsieur Péricard, sinon rien !
Emporté dans mes studieuses pensées, j'en aurais oublié ma commande et les racines naissantes aux semelles du maître d'hôtel. La truite aux girolles me tenterait mais raisonnablement, ferait trop avec l'entrecôte aux morilles, copieusement servies comme dit plus haut. J'opterais donc sagement pour la viande et, laconique, reviendrais à vous.
Ainsi, êtes-vous en train d'aller imaginer que je souhaiterais instituer le permis pour champignonner, n'est-ce pas ? Beaucoup en rêvent, leurs arguments se tiennent la main, j'y réfléchis certes, mais je ne voudrais surtout pas que cette nouvelle disposition soit un prétexte pour le mycophage ou peu importe l'usage qu'en ferait le récolteur, de « rentabiliser » son papier rose. Et cette crainte serait la même, ou pire, d'envisager un permis à l'année, la saison ou la journée. Bien entendu, l'idéal imposerait une ANCER (Association Nationale des Champignophiles Ecologiquement Responsables) mais je crois que dans cette optique, il vaut mieux, par expérience et se référant à l'histoire de l'humanité, songer à d'autres rêves (6).
Comme vous peut-être, j'ai parfois entendu l'écume des bruits de coursives laissant déferler l'hypothèse vague d'un pompeux Office National du Champignon et de la Fonge Sauvage. Je m'empresse de couper très court, le siège étant déjà occupé par l'Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage. Si l'on tolère que la faune sauvage soit prisonnière comme une fève dans les pognes des seuls chasseurs, alors autant livrer la mycologie à un producteur de champignons de Paris associé à un négociant de pleurotes ! Mais ne sortez pas les mouchoirs, nous n'en sommes pas là et la chasse à du plomb dans l'aile (7).
Ensuite, je n'en entrevois pas la moindre ombre d'utilité, la science mycologique, même et surtout fédérée en Société Mondaine de France, ne barbotant pas dans les mêmes dictionnaires que ses contemporains; le grand public, quant à lui, étant composé majoritairement d'ignares pour lesquels il existe deux champignons : le bon et le mauvais (trois si l'on ajoute le faux), et les regrouper au sein d'ACCA (Association Communale de Champignophiles Agrées) ne les ferait pas avancer d'un iota ni dans la connaissance ni dans tout ce qu'on peut mettre dans un panier de crabes.
Alors, ainsi que toute bonne chose comme la patience a une fin, le maître d'hôtel, qui aurait beau être un brave garçon, se raclerait la glotte pour me remettre au rail du plancher des génisses charolaises :
- Pour votre entrecôte, monsieur Frier, quelle cuisson ?
Quelle question ! Accroché à mon permis-champignons comme la truite au menu de ce 1er avril, je répondrais :
- A points mon cher, à points !
Mais je n'en penserais pas un mot, parole de Saint-Tuber !
- En 2005, plus de 5000 contrôles de paniers ont été effectués en Suisse romande. Sur ce nombre, un tiers des récoltes contenait des espèces impropres à la consommation (mais non vénéneuses) et une sur dix des espèces toxiques voire mortelles. La quantité de champignons contrôlée était proche de six tonnes. 44 intoxications ont été signalées par 10 officines de contrôle (Source : VAPKO. Association suisse des organes officiels de contrôle).
- Champignons en rondels. Enluminés par R. Sabatier. Ed. Des Longères. 2000.
- « Cuvée des Césars ». Guy Moussy, viticulteur. 51190 Oger.
- Code civil, articles 583 et 549, 311 et 635.
- Le propriétaire du sol n'a aucune obligation de clôturer ou d'interdire l'accès par voie d'affiche ou autres moyens pour conserver son droit sur les produits de la terre (TGI de St-Gaudens, 1981, et Cour d'Appel de Bordeaux, 1986).
- «... Il ne faut pas se leurrer. Le développement du tourisme en milieu rural ne fera qu'aggraver les incidents entre ramasseurs de champignons, chasseurs et population locale » (Jean Pisot. Conférence Annuelle des Fédérations et Associations Mycologiques. 2005).
- L'anti-chasse loisir se structure : quatre indispensables pour comprendre l'organisation de la chasse en France et sa mainmise sur les espèces et les espaces.
Pour en finir avec la chasse. G. Charollois. Imho éd. 2009
Livre blanc sur la chasse. CORA éd. 2011.
Livre noir de la chasse. P. Athanaze. Sang de la terre éd. 2011
Manifeste contre la chasse de divertissement. FRAPNA 26 éd. 2012
Certains peuvent l'ignorer, mais le vieil Hugo a beaucoup dessiné et peint, y compris le champignon, en attendant l'inspiration entre deux vers. Lui qui ne portait pas les chasseurs très haut dans son estime aurait donné lieu à un débat d'idées intéressant avec un porteur de pétoire bien connu des mycologues, Maurice Bigorre, qui a eu le courage de tenter un dialogue avec les détracteurs, notamment du ROC (Rassemblement des Opposants à la Chasse). Fondateur de l'ANCER (Association Nationale pour une Chasse Ecologiquement Responsable) en 1989, son mouvement n'a pas obtenu l'écho souhaité d'où interrogations ! Quant au ROC, après la disparition de Théodore Monod, chasseur d'utopies dans un désert moderne, il s'est peu à peu enlisé sur d'autres rives où la présence d'eau dans son vin lui assure son existence pépère.