Nous avons affaire à un dénommé Breughel, interné dans un camp (un asile ?), lobotomisé, perdant le sens de la réalité. Il se situe aux avants postes de la guerre contre la Balkhyrie, contrée fantasmatique, image d’un réel devenu irréductible, imperméable à la folie latente du personnage. L’on suit les préparatifs d’une révolte à l’intérieur du camp, de la guerre, et les relations entre ses différents protagonistes et l’irrémédiable défaite, l’échec maintes fois répété et recommencé, inlassablement, devenant un mouvement naturel de l’existence, définissant cette « nuit blanche ». Résumer plus en avant l’intrigue relèverait de la gageure tant l’écriture de Volodine remet en cause permanente les notions traditionnelles d’intrigue et de narration.
Le style, syntaxiquement simple propose en réalité des combinaisons complexes, en décrochage constant avec une optique réaliste, créant un décalage permanent, tant au niveau des alliances lexicales que de l’économie générale des chapitres et du roman tout entier.
Cela est particulièrement flagrant pour ce qui est de la narration. On croit en premier lieu à un récit à la troisième personne, mais le personnage principal, Breughel, peut soudainement prendre la parole et se dédoubler en deux instances discursives, semant le trouble quant à la réalité de ce qui est raconté, jetant un doute permanent sur notre propre expérience de lecteur.
Volodine nous décrit un monde post apocalyptique, qui par certains de ses aspects pourrait s’agréger au notre, en en constituant une excroissance pourrissante. Volodine joue avec les codes du roman traditionnel pour les envoyer paître dès les premières pages. Dès lors le « roman » devient une sorte d’image fantasmatique et cauchemardesque de la réalité ; le monde décrit ne serait alors qu’une projection mentale de son narrateur comme cela semble être suggéré plusieurs fois au cours du récit. Mais rien de fixe.
La grande force du roman est de jouer en permanence sur la corde raide, ne donnant que peu de clés, ne démarquant jamais clairement la frontière entre la réalité et la fiction, entre le réel et le fantasme, entre la raison et la folie, créant une expérience de lecture difficile, complexe, invitant à une attention soutenue tant les strates du récit sont nombreuses. Cette invitation au déchiffrement, au tâtonnement donne sa grâce au roman.
Antoine Volodine - Nuit Blanche en Balkhyrie