Le film "La Belle vie", dont je vous ai parlé dimanche dernier a été une révélation à plusieurs niveaux, aussi bien celui du talent de cinéaste de Jean Denizot que celui des comédiens Zacharie Chasseriaud,Jules Pélissier ( que j'avais vu dans la Nouvelle Star il y a plusieurs années, puis dans Simon Werther a disparu) et peut-être surtout, dans le rôle du père, un acteur que je n'avais encore jusqu'à présent jamais vu sur grand écran.
Il s'agit de Nicolas Bouchaud, qui donne au rôle d'Yves ce père géolier et aimant en même temps une vraie densité de jeu, entre douceur et étrangeté. Bluffé par sa prestation, je me suis donc renseigné sur lui et je me suis aperçu que le type est avant tout un immense acteur de théâtre, très reconnu dans le milieu, et qui a notamment joué Le Roi Lear ou Le Misantrophe à Avignon et sur plusieurs grandes scènes nationales ou privées de France.
J'ai donc eu envie de lui poser tout plein de questions, etnon seulement j'ai pu le faire et il m'a répondu pratiquement dans la foulée... Je vous livre donc le fruit de ses passionnantes réflexions sur le rapport forcément passionnants entre le cinéma et le théâtre :
Baz'art : Nicolas Bouchaud, merci beaucoup de consacrer un peu de temps aux lecteurs de Baz'art et bravo pour votre éblouisante prestation dans la belle vie. Vous êtes un acteur de théâtre très reconnu, qui a notamment joué des rôles très prestigieux ( Le Roi Lear; Le Misanthrope ect...), mais avant cette année, vous n'étiez apparu au cinéma que de façon très sporadique. Etait-ce une volonté délibérée de votre part de vouscantonner exclusivement aux planches ou plutôt était ce lié à un manque d'opportunité en la matière?
Nicolas Bouchaud :J’ai effectivement toujours pratiqué le théâtre à haute dose. Par amour d’abord. Au départ le théâtre recelait pour moi une grande part d’utopie.
Le théâtre et en particulier « le théâtre public » reste à l’abri, bon an mal an, d’un certain nombre de contraintes marchandes comme celle, par exemple, pour les acteurs, de la réussite immédiate ou des effets de mode. Pour moi le théâtre était, au commencement, un endroit de recherche, d'expérimentation et d’interrogation. J’y trouvais un plaisir intellectuel et physique (je n’ai jamais séparé les deux). J’avais aussi la prescience qu’il fallait du temps pour devenir acteur. Le théâtre m’a donné ce temps-là. C’est un art qui demeure très exigeant, difficile souvent et qui demande beaucoup aux acteurs.
J’ai fait aussi des rencontres importantes avec Didier-Georges Gabily, Jean-François Sivadier ou d’autres. Ces rencontres m’ont toujours engagé au delà du rôle d’interprète. Chaque spectacle devenant une aventure à la fois collective et individuelle. Donc au départ j’ai suivi mon désir et ce désir passait par le théâtre et la scène comme un endroit d’apprentissage et d’expériences mystérieuses. C’était là que j’avais le sentiment que je pourrais me construire. Le cinéma est une passion encore plus ancienne. J’ai même joué un spectacle adapté d’une interview de Serge Daney: « La loi du marcheur ». Mais j’avais un tel amour des films que lorsque j’ai commencé à 25 ans à faire des castings et à les rater je me suis dit que j’allais sévèrement déprimer si je continuais. Aujourd’hui, ça va parce que j’ai tout a fait confiance dans le fait que ça puisse rater.
Baz'art : L'année 2014 marque un tournant pour vous puisque vous avez récemment tourné 3 films qui sortiront au cours de cette année. Est ce que cela est une simple coïencidence ou bien est ce que c'est une démarche assumée de votre part, influencée notamment par l'immense succès cinématographique de certains grands habitués des planches ( Guillaume Galienne, Pierre Niney, Laurent Lafitte…)
N B : Un peu les deux je crois. J’ai un désir plus fort de tourner aujourd’hui, plus assumé sans doute parce que j’y prends beaucoup plus de plaisir. Mais les trois films se sont enchainés un peu par hasard. Je pense qu’il y a toujours eu de grands acteurs de théâtre qui ont eu de grands succès au cinéma. On pourrait, en revanche,se poser la question inverse, ça serait amusant. Combien de grands acteurs de cinéma ont eu de grands succès au théâtre?
On ne la pose jamais parce qu’il semble évident que la reconnaissance doit passer par le cinéma plus que par le théâtre. Ce constat repose sur de nombreux préjugés. L’un d’eux serait qu’il est plus difficile pour un acteur de passer du théâtre au cinéma. Or c’est l’inverse qui est vrai. En terme de jeu, le théâtre est souvent beaucoup plus difficile que le cinéma.
BA : Quelle a été votre première réaction lorsque Jean Denizot vous a proposé le rôle d'Yves de "la Belle vie" : plutôt des doutes quant à l'ampleur du challenge à accomplir ou au contraire une immense excitation face à ce nouveau défi?
NB : Le doute bien sur. mais le doute est pour moi une forme d’excitation. Je crois que j’ai dû demander à Jean s’il était sûr de son coup en me proposant le rôle. Et il m’a rassuré sur son envie. Dés la lecture du scénario, j’ai senti la difficulté liée à la place d’Yves. Il est à la fois très présent avec ses fils et en retrait par rapport à l’histoire, au scénario. Dés que je vois le défi, ça devient un moteur.
BA : Qu'est qui vous a le plus séduit dans le discours de Jean Denizot pour vous convaincre de faire ce film: Est ce lié à sa volonté manifeste d'aller à l'encontre du naturalisme-inhérent à un certain cinéma français, une volonté qui pourrait s'apparenter à ce que vous essayer également de faire au théâtre, où, vous aussi, avez parfois cherché à briser ce carcan du naturalisme?
NB : Ce qui m’a le plus séduit c’est ce que j’ai senti chez lui de force et de fragilité. Ce qui m’a séduit c’est le rapport qu’il avait avec son film, plus qu’un discours sur les personnages. Je ne sais pas si Jean veut aller à l’encontre du naturalisme. Tous les acteurs du film jouent sur ce mode-là, il me semble. Là où Jean se démarque d’un certain cinéma français c’est plus dans son rapport à l’espace, à la nature, aux paysages. C’est son dialogue intime avec le cinéma américain. Mais il ne le copie pas. Il cherche à mettre en rapport deux géographies, à les confronter. Comme si le Mississipi se mettait à rêver des bords de la Loire, comme si les Rocheuses rêvaient des Pyrénnées.
BA : Jean Denizot affirme dans le dossier de presse avoir été convaincu que vous étiez l'acteur idéal pour jouer le rôle du père en vous jouant le Roi Lear à Avignon il y a quelques années. Savez vous exactement quelles correspondances il a pu trouver dnas votre inteprétation du classique de Shakespaere et sa propre vision du rôle d'Yves?
NB : La question de la paternité peut-être. Les pères dans le film de Jean sont en bout de course jusqu’à devenir parfois comme les enfants de leurs enfants. C’est un aspect de l’histoire du film qui rejoint un thème du Roi Lear. Ce moment où les les enfants se séparent de leurs pères et où les pères demandent la protection de leurs enfants. Etrangement chez Shakespeare et dans le film, les mères sont absentes. Cette absence ouvre un espace très riche pour l’inconscient.
Baz'Art : Connaissiez vous, avant de lire le scénario, le fait divers à l'origine du film,? Et si oui, avez vous eu tendance à vous documenter sur le "vrai" Xavier Fortin, ou avez vous préféré, et j'imagine, en concertation avec le metteur en scène, vous écarter du modèle de base et offrir une composition qui n'a rien à voir avec lui?
NB : Oui, j’avais suivi de loin cette histoire. Et non, je ne me suis pas documenté. Et jean ne m’y a pas encouragé. L’histoire « vraie » des Fortin est juste un déclencheur. Le thème principal du film c’est cette entrée dans la vie qui concerne l’un des deux fils. Si Jean avait voulu écrire vraiment à partir de l’histoire des Fortin, il aurait fait un tout autre film.
Baz'Art : Vos rôles au théâtre sont souvent marqués par une langue très prolixe, un accent fort mis sur l'aspect littéraire du texte. Or, votre personnage d'Yves est quand même très peu loquace et son discours passe plus par le langage corporel. Comment avez vous réussi à juguler cette difficulté potentielle?
NB : Il n’y a eu aucune difficulté. Le langage corporel est un fondement de l’art du théâtre. Aucun texte n’est littéraire à partir du moment où il s’incarne sur une scène. On pourrait dire que l’âme du théâtre c’est d’avoir un corps, justement. Quand on joue Molière par exemple, on comprend très vite qu’il n’y a aucune visée littéraire dans ses pièces mais d'abord le génie d’une efficacité scénique qui passe forcément par le corps. Plus c’est physique, plus je suis ravi.
Baz'Art : Quel a été le challenge le plus difficile pour vous lors du tournage de la Belle vie? Avez vous notamment réussi à gommer facilement certains réflexes liés au jeu théâtral , notamment dans la diction, évidemment bien différente d'un art à l'autre?
NB : Mais la diction n’est differente que parce qu’au théâtre on doit parler un peu plus fort. Sinon dans une salle de 900 places les derniers rangs n’entendent pas. Là encore il existe un préjugé du cinéma à l’égard du théâtre. On n’apprend plus à faire du théâtre un crayon entre les dents quand même!. Quand j’entends sur un tournage « Alors toi, tu viens du théâtre? » je sens bien la vision poussiéreuse qu’il y a derrière la question. Elle est due à une forme d’ignorance. Elle vient aussi du fait qu’au cinéma il faudrait parler d’une façon « naturelle » . Mais qui dans la vraie vie parle de façon naturelle? Pour moi, les grands acteurs, les grandes actrices du cinéma ne sont pas dans un code de jeu naturaliste. Est ce que Gena Rowlands joue de façon naturaliste?
Alors , j’ai parlé moins fort mais sans me dire « ha oui ! n’oublions pas d’être naturel! » . Les mots sortent comme ils peuvent, avec leur musique singulière.
Baz'Art : Comment avez vous réussi à appréhender ce personnage d'Yves, un père à la fois aimant mais également castrateur parce que géôlier? Quel était pour vous le plus important à faire passer par votre jeu pour faire bien faire comprendre l'ambivalence de ce personnage?
NB : Je regarde chaque scène. J’essaie d’en comprendre la situation. Dans quelle situation sont les personnages à ce moment là? J’essaie ensuite de laisser la caméra capter le présent de cette situation. Chaque situation amène un éclairage singulier sur les personnages. Je ne construis pas un personnage à l’avance à coup de théories. Ce qui ne veut pas dire que je n’y pense pas mais si chaque situation est jouée pleinement, l’ambivalence apparait d’elle-même.C’est la vie, telle qu’elle s'écoule qu’il faut laisser passer dans chaque plan, c’est l’instant présent porté à une certaine incandescence.
En fait, je ne veux pas relier de façon rationnelle ces petits bouts de présent. D’ailleurs, plus je tourne, plus je sens que la réussite d’un plan est liée à un travail collectif, le cadre, la lumière, le jeu, l’ambiance, les regards des uns sur les autres. Il doit y avoir une conjonction, une rencontre un peu merveilleuse de toutes ces choses-là.
Baz'art : Après ces 3 expériences cinématographiques successives, avez vous le sentiment d'avoir suffisamment épanché votre soif de caméra pour vous consacrer de nouveau à 100% à la scène ou bien au contraire, cela vous a t il rendu boulimique de cinéma?NB : Non, je n’ai pas le sentiment d’avoir épanché ma soif de caméra comme vous dites. J’ai de la marge sachant que je n’ai toujours pas épanché ma soif de scène. Il faudra conjuguer les deux.Eh bien, cher Nicolas, à la vue de votre prestation dans la Belle vie, et en espérant vous applaudir bien vite sur une scène de théâtre lyonnaise, j'espère que vous aller effectivement pouvoir conjuguer les deux pendant de bien longues années !!