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Balbutiements chroniques, par Sophie Torris…

Publié le 09 avril 2014 par Chatquilouche @chatquilouche

Cher Chat,

Ma fille est candidate à la majorité. Elle cumulera très bientôt dix-huit mandats. Confiante, elle pense donc gagner son référendum pour l’indépendance. Mais permettez-moi, le Chat, de prendre le parti d’en rire, car si elle obtient peut-être la souveraineté absolue, elle découvrira rapidement que sa liberté est relative.

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Moi aussi, à l’aube de ma vie adulte, j’ai pensé que je pourrais enfin faire tout ce que je voulais. J’avais l’insouciance qui me démangeait et à l’époque, tandis que le régime familial était assez conservateur, j’aurais même voté mes 18 ans par anticipation pour accélérer la dissolution de mon gouvernement parental et ainsi accéder au pouvoir exécutif plus rapidement.

Mais aujourd’hui, alors que l’éducation est devenue libérale et que les forces d’opposition sont plutôt puissantes, on peut se demander pourquoi les mineurs plébiscitent toujours autant la majorité.

On veut jouir de tous ses droits, mais quand on acquiert enfin l’autonomie tant convoitée, on se rend compte qu’elle vient avec tout un tas de responsabilités qui viennent avec tout un tas d’obligations et on se retrouve sous le joug de sa propre indépendance. Affranchi, mais paradoxalement moins libres.

Ma fille aura bientôt 18 ans et enfin tous les droits, dont celui de choisir sa voix. Se lèvera-t-elle du pied gauche ? Quand on vote par procuration depuis la naissance, n’est-il pas probable que face au recensement des possibles, on angoisse à l’idée d’assumer l’émancipation pour laquelle on a pourtant milité ? N’avez-vous pas eu peur, le Chat, au moment de prendre les décisions indispensables et nécessaires à votre insertion culturelle, professionnelle et sociale ?

Si le dépouillement des tout premiers scrutins fait état pour certains d’un fort taux d’abstention, peu désirent vivre de façon précaire. Et comme il y a peu d’élus, il faut faire campagne. Mais comment est-ce que je deviens « Moi » ? Est-ce que j’ai envie d’être conforme à la majorité ?

Ma fille, à l’aube de l’indépendance, n’est pas insouciante. Saura-t-elle être présidente de conseil de son Trésor, ministre de son développement durable, et ce dans toutes les circonscriptions de sa vie ? Comment se positionnera-t-elle face aux affaires étrangères ? Dans l’isoloir de sa majorité, saura-t-elle faire les bons choix ? Évidemment, il ne s’agit pas de noircir toutes les cases, pouvoir faire des choix, c’est déjà être libre. Mais, on est loin de la vie de bohême quand même.

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Et puis, après sa majorité civile, à moins qu’elle ne se décide à voter blanc et à se dissocier du quorum traditionnel, viendra la majorité matrimoniale avec son cortège de nouveaux devoirs conjugaux et maternels. Il lui faudra donc adopter quelques motions de censure pour dissoudre la rébellion de sa progéniture, les mêmes peut-être que celles que j’aurais adoptées quelques décennies auparavant. Il ne s’agira plus seulement de vivre en citoyen libre, mais également de former ceux de demain, de subvenir à leurs besoins afin qu’ils deviennent d’honnêtes candidats à la majorité à leur tour. Je n’ai jamais élevé ma fille par obligation, mais j’ai vite compris que j’avais des obligations à son égard.

Je pense avoir voté utile. Ma candidate semble prête à mener à son tour sa propre campagne dans le meilleur des mondes possibles.

Elle aura 18 ans sous peu et curieusement, alors qu’elle entame sa majorité, c’est plutôt sur moi que souffle un nouveau vent de liberté.

Mais, je ne serai pas loin. Libre d’accourir quand bon lui semblera.

Sophie

Notice biographique

Balbutiements chroniques, par Sophie Torris…
Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


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