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Manuel Valls : communication ou révolution ?

Publié le 09 avril 2014 par Sylvainrakotoarison

Exercice imposé à chaque nouveau Premier Ministre, le grand oral peut être considéré comme réussi : présenter son action, apporter un souffle nouveau, et réformer : « Vérité, efficacité, confiance ». Mais pour l’instant, toujours l’encéphalogramme plat sur les 50 milliards d’euros d’économie à réaliser sur les dépenses publiques.

yartiValls2014040801Avec un look très lisse de premier de la classe qui pourrait s'apparenter à celui de Thierry Le Luron, le nouveau Premier Ministre Manuel Valls a prononcé son discours de politique générale devant les députés le mardi 8 avril 2014 à 15h00 (texte intégral ici) et a obtenu sans surprise la confiance de la part des 306 députés de la majorité, contre 239 voix et 26 abstentions.

En l’écoutant, mon impression n’a cessé d’hésiter entre l’incrédulité et l’attraction. Incrédulité face aux nombreux signes qui montrent que Manuel Valls fait avant tout son métier, de la communication. Attraction car le dynamisme affiché ainsi que les objectifs définis me paraissent porteurs dans une France en crise qui a besoin de réformes profondes.

Agence de communication Valls & Cie

Les premiers jours du gouvernement Valls n’étaient pas forcément de bon augure. Rien n’était laissé au hasard. On n’avait pas nommé les secrétaires d’État tout de suite (c’est prévu pour mercredi 9 avril 2014 dans l’après-midi) pour au moins deux raisons : montrer une photo de famille, à l’issue du premier conseil des ministres le 4 avril 2014, qui fait apparaître un gouvernement réellement resserré et compact (mais il va vite atteindre la trentaine de membres quelques jours plus tard), et laisser une porte ouverte avec la majorité, l’aile gauche du PS et les écologistes d’EELV par rapport à leur vote ou pas de la confiance.

La communication est dans les détails, si bien que les caméras ont pu s’épancher sur les ministres, nouveaux (rares) ou anciens (très majoritaires), qui devaient traverser toute la cour intérieure de l’Élysée pour se rendre à leur premier conseil des ministres (normalement, leur voiture les amène jusqu’à l’entrée), avec une palme à Christiane Taubira qui, la dernière, est arrivée de la Place Vendôme, en vélo, comme d’habitude, tandis que son collègue Bernard Cazeneuve, le premier, est venu à pieds de la Place Beauvau.

Tout dans la communication aussi pour se faire passer pour Clemenceau (il faudra quand même relire les livres d’histoire au lieu de prendre pour argent comptant les éléments de langage qu’on veut marteler), et, parallèlement, pour Matteo Renzi. Pourtant, Manuel Valls est loin d’être un "jeune". Il a 51 ans (bientôt 52 ans), soit deux ans de plus que son prédécesseur Alain Juppé lorsque celui-ci était nommé Premier Ministre en 1995, soit encore …douze ans de plus que le nouveau chef du gouvernement italien. Manuel Valls a, à quelques mois près, l’âge qu’avait Raymond Barre quand ce dernier avait succédé à Jacques Chirac à Matignon en 1976.

Le discours, sur la forme…

Malgré ces petits rappels, les médias ont semblé aveuglés par tant de brillance qu’on venait de leur servir sur un plateau doré. En moins de vingt-quatre heures, oubliée la débâcle formidable du PS aux élections municipales, oublié que le centre droit dirige désormais 62% des villes de plus de 9 000 habitants, laissant peu d’espoir à la gauche de conserver sa majorité au Sénat en septembre prochain.
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Passons au discours qui a duré trois quarts d’heure. D’après Manuel Valls lui-même qui l’a confié à BFM-TV le 9 avril 2014, le Président François Hollande avait relu ce discours et « l’a rendu plus clair, plus net ». Ceux qui ont pensé qu’avec le départ de Nicolas Sarkozy, la France en aurait fini avec l’hyper-présidence se sont trompés bien évidemment. Comme tous ses prédécesseurs, François Hollande gouverne de manière très dirigiste le gouvernement. Il a d’ailleurs été élu pour cela. En revanche, je ne crois pas qu’avant Manuel Valls, un seul Premier Ministre n’ait osé avouer que le Président de la République avait retoqué son discours. De collaborateur à porte-parole, il y a à peine un pas…

Sur la forme, le discours a été prononcé de façon assez ennuyeuse, en lisant continuellement son papier. Manuel Valls n’est à l’évidence pas un grand orateur. Remarque personnelle : à part Jean-Luc Mélenchon, dont je n’ai pas vraiment les idées, je ne vois plus beaucoup de "tribuns" dignes des républiques antérieures. Autre remarque personnelle : cela fait donc une grande différence entre Clemenceau et Manuel Valls, puisque Clemenceau était justement capable de retourner une assemblée même hostile grâce à son seul verbe.

Amour pour la France et apaisement affiché

Le seul passage vraiment convaincant sur la forme, celui qui pourrait faire date, c’est sa dernière partie sur son amour de la France, ses dernières phrases où il a montré un réel attachement à la France, pays qui n’était pas le sien quand il est né. Que la France est l’un des rares pays au monde qui permet à une personne née à l’étranger d’occuper les postes les plus importants au sommet de l’État (ce passage n’était pas prévu au départ et aurait pu déjà être prononcé lorsqu’il est devenu Ministre de l’Intérieur) : « La France a cette même grandeur qu’elle avait dans mon regard d’enfant, la grandeur de Valmy, celle de 1848, la grandeur de Jaurès, de Clemenceau, de De Gaulle, la grandeur du maquis. C’est pourquoi j’ai voulu devenir Français. ».

Et surtout, il veut différencier nationalisme et patriotisme : « La France, c’est cette envie de croire que l’on peut pour soi et pour le reste du monde. La France, ce n’est pas le nationalisme obscur, c’est la lumière de l’universel. La France, oui, c’est l’arrogance de croire que ce que l’on fait ici vaut pour le reste du monde. Cette fameuse "arrogance française" que nos voisins nous prêtent souvent, c’est en fait cette immense générosité d’un pays qui souhaite se dépasser lui-même. (…) Ne rétrécissons pas la France, ne rétrécissons pas ses rêves ! ».

N’hésitant pas à vouloir réduire les clivages (qu’il a contribué à créer entre autres avec le mariage gay), Manuel Valls a parlé souvent d’apaisement : « Je souhaite l’apaisement, et c’est la volonté du Président de la République. (…) La gauche est fidèle à elle-même et à ses valeurs quand elle sait s’adresser à tous et rassembler. ».

Mais paradoxalement, cela n’a pas empêché de vouloir une nouvelle loi sur l’euthanasie active alors que la loi Leonetti n’est toujours pas assez appliquée, prenant le risque de diviser une nouvelle fois les Français sur un sujet non prioritaire mais très sensible. Tout comme cela ne l’a pas conduit à retirer la réforme des rythmes scolaires qui a profondément désorganisé l’emploi du temps des élèves et des parents, et a entraîné l’éviction assez prévisible de Vincent Peillon du gouvernement.
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C’est cependant dans cet esprit d’ouverture que Manuel Valls, quelques minutes après le Président de l’Assemblée Nationale Claude Bartoloné et les députés debout, a rendu hommage à Jean-Louis Borloo en lui souhaitant un bon rétablissement. Cette chaleur transpartisane vis-à-vis d’un collègue parlementaire avait également réconforté feu Patrick Roy qui était revenu courageusement le 14 mars 2011 dans l’hémicycle, durement éprouvé par la maladie (qui l’a finalement emporté le 3 mai 2011).

La peur lancinante du déclassement

Bien entendu, ce sont sur les questions économiques et sociales que Manuel Valls était attendu au tournant. À la fois sur sa droite et sur sa gauche.

Dans son introduction, Manuel Valls a admis que la confiance avec le peuple serait difficile à reconstruire, en faisant un constat sévère dont il a accepté de prendre la part : « Disons les choses simplement : beaucoup de nos compatriotes n’y croient plus. Ils ne nous entendent plus. La parole publique est devenue pour eux une langue morte. Le présent est instable, l’avenir est illisible. Peu de Français se sentent à l’abri. Ils se disent qu’il ne suffirait pas de grand-chose pour perdre ce qu’ils ont construit pour eux et pour leurs enfants. Voilà la peur lancinante du déclassement. ».

Déclaration d’amour aux entreprises

Pour en finir avec cette peur, Manuel Valls n’a qu’un seul mot d’ordre, celui de renforcer les entreprises pour une raison simple : « Si nous voulons que la France reste une nation maîtresse de son destin, nous devons lui rendre la force économique qu’elle a perdue depuis dix ans. Il faut donc produire en France, créer de la richesse en France, créer des emplois durables en France. Pour faire reculer le chômage de masse. ».

Pour cela, il lui faudrait lever quelques archaïsmes, dans un concept plus rocardien qu’hollandien, à l’intention de son aile gauche : « Je le dis sans détour : nous avons besoin de nos entreprises (…). Entreprendre, créer, prendre des risques, embaucher : c’est cette démarche positive que je veux encourager parce qu’elle fait du bien à notre pays. Sortons des défiances, des postures, des caricatures. (…) Soutenir les entreprises, c’est soutenir l’emploi, l’investissement, les exportations. (…) Ce sont les entreprises qui font la richesse de notre pays. ».

Plusieurs mesures intéressantes, mais…

Manuel Valls a proposé des réformes relativement importantes. Par exemple, il a parlé de réduire d’ici 2016 à zéro les cotisations patronales sur le SMIC (mesure déjà prise en 2009 qui a engendré la création de 30 000 nouveaux emplois). De réduire les charges pour les salaires inférieurs à 1,6 fois le SMIC (4,5 milliards d’euros). De réduire d’ici 2016 de 1,8% les cotisations famille pour les salaires inférieurs à 3,5 fois le SMIC, qui concernent 90% des salariés (4,5 milliards d’euros). En tout, c’est 30 milliards d’euros de baisse du coût du travail.

Il a parlé aussi de renforcer l’investissement en supprimant une taxe pour la production (la contribution sociale de solidarité des sociétés), pour 6 milliards d’euros et en ramenant à 28% l’impôt sur les sociétés en 2020.

De plus, pour améliorer le pouvoir d’achat, il a présenté un plan de baisse des cotisations salariales, de telle manière que pour un SMIC, en 2015, le gain correspondrait à 500 euros par an. En tout, 5 milliards d’euros en 2017 seraient consacrés aux foyers les plus modestes.
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Ces mesures sont, en elles-mêmes, intéressantes, mais à côté de l’effet d’annonce qui peut être positif et encourager l’activité, il y a trois questions cruciales.

La première, c’est le délai. 2020 est un horizon très lointain et Jean-François Roubaud, président de la CGPME, expliquait dès le lendemain que les PME n’ont même pas une visibilité d’un an, alors, six ans ! Ce dernier critiquait d’ailleurs les mesures fiscales qui font la part trop belle aux grandes entreprises et pas assez aux PME.

La deuxième question concerne bien sûr leur financement, et là, tout est flou, tout est vague, tout est hollandien. Par exemple, sur la politique familiale, Manuel Valls a juste déclaré, sans rien préciser : « Cela ne pénalisera en rien le financement de la politique familiale, qui se verra affecter d’autres recettes pérennes. ». Lesquelles ? Mystère.

Le troisième problème, c’est que le gouvernement ne semble miser que sur la réduction du coût du travail pour augmenter l’activité, or, si le coût du travail est un frein, le réduire ne crée pas pour autant d’activités supplémentaires, cela empêche seulement d’en perdre.

Comme l’expliquait le soir même l’ancien Président du Sénat Gérard Larcher dans l’émission "Preuve par 3" sur Public-Sénat, rien n’a été prévu pour renforcer la recherche et développement ainsi que l’innovation industrielle, pierre angulaire de toute nouvelle activité, ni pour encourager la formation professionnelle, seul levier pour valoriser les savoirs et être plus compétitif.

Le financement ?

Car il y a une réelle "arnaque" intellectuelle qui se développe de la part du pouvoir exécutif. Il est sans arrêt dit qu’il faut trouver 50 milliards d’euros d’économie alors qu’il en faut au moins 100. 50 milliards d’euros pour financer le pacte de responsabilité et de solidarité (défini précédemment), et 50 milliards pour réduire le déficit public. Or, on a l’impression que ces 50 milliards comptent pour 100 dans toutes les déclarations depuis le 31 décembre 2013.

Et rien n’a été précisé pour "trouver" ces 50 milliards d’euros. Manuel Valls a seulement indiqué les proportions : d’ici 2017 l’État devra faire 19 milliards d’euros d’économie, l’assurance maladie 10 milliards, les collectivités locales 10 milliards. « Le reste viendra d’une plus grande justice, d’une mise en cohérence et d’une meilleure lisibilité de notre système de prestation. ». Concrètement ?

Il a par ailleurs promis de ne plus augmenter les impôts malgré la dette qui a explosé et qui atteint maintenant 30 000 euros pour chaque Français : « Il faut en finir avec l’inventivité fiscale qui génère une véritable angoisse chez nos concitoyens. ».

Pourtant, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait augmenté les prélèvements de 30 milliards d’euros au lieu de baisser la voilure de l’État. Pourquoi avoir attendu deux ans alors que la situation actuelle était prévisible dès 2012 ? Mystère.

La transition énergétique

Manuel Valls a semblé tendre la main aux écologistes en confirmant la réduction à 50% d’ici 2025 de la part de l’énergie nucléaire dans la production de l’électricité.

Là encore, rien n’est précisé sur le chemin concret pour y parvenir… mais surtout, rien n’est dit sur la raison pour laquelle il faudrait diminuer la part du nucléaire alors que c’est actuellement la seule énergie propre, fiable et stable.

La révolution du millefeuille territorial

Mais de toutes les annonces du Premier Ministre, la plus révolutionnaire est sans doute la réforme de territoire. Nouvelle réforme. C’est la quatrième annoncée en vingt-deux mois ! François Hollande ne craint pas l’overdose.
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Elle se déclinerait en quatre étages.

1. Réduire de moitié le nombre des régions pour leur donner une taille critique comme soutien à la croissance. Les élus de 2015 seront chargés de faire des propositions de regroupement, et sans cela, une loi l’imposera pour le 1er janvier 2017.

2. Renforcer l’intercommunalité, avec une nouvelle carte « fondée sur les bassins de vie » qui sera appliquée au 1er janvier 2018. Étrangement, il y a déjà une précédente carte qui devait déjà entrer en vigueur en 2016.

3. Supprimer la clause de compétence générale en différenciant les compétences des régions et celles des départements. Nicolas Sarkozy l’avait déjà supprimée en 2010 mais François Hollande l’avait remise en 2013.

4. Supprimer les conseils départementaux (nouvelle appellation, à vocation éphémère, des conseils généraux), pour 2021 sans remettre en cause le maillage territorial des préfectures et des sous-préfectures.

Ces réformes sont ambitieuses, qui peuvent se résumer à trois éléments : supprimer les départements, diminuer de moitié les régions et renforcer les intercommunalités, mais leur succès dépendra de la manière de s’y prendre. Or, il semblerait que Manuel Valls veuillent le faire à l’arraché, contre les élus, alors qu’il est nécessaire que ces réformes soient consensuelles pour être durables. Les délais sont si (nécessairement) longs que ces réformes peuvent toujours être remises en cause par les majorités suivantes. Comme cela a été le cas pour la réforme de 2010.

Le Vallsisme est-il un réformisme ?

L’avenir dira si le discours de Manuel Valls a été fondateur (comme celui de Jacques Chaban-Delmas le 16 septembre 1969)ou simplement une belle opération de communication comme il a su en faire depuis trois ans.

Sur le fond, rien ne le distingue vraiment de son prédécesseur à Matignon. Si ce n’est un dynamisme prêt à inquiéter jusqu’à l’Élysée qui vient de décider un changement majeur avec la nomination, prévue pour le 15 avril 2014, de l’ancien ministre Jean-Pierre Jouyet, actuel président de la Caisse des dépôts et consignations et ancien directeur adjoint de cabinet de Lionel Jospin, au poste stratégique de Secrétaire Général de l’Élysée.

Sans illusion, laissons à Manuel Valls le bénéfice du doute…

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (9 avril 2014)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Texte intégral du discours de Manuel Valls du 8 avril 2014 (verbatim).
Nomination de Manuel Valls à Matignon (31 mars 2014).
Nomination du gouvernement Valls (2 avril 2014).
Les relations entre l’Élysée et Matignon.
Élections municipales (30 mars 2014).
Élections européennes du 25 mai 2014.
Valls sera-t-il Premier Ministre ? (15 mars 2014).
François Hollande.
Jean-Louis Borloo.
yartiValls2014040806
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/manuel-valls-communication-ou-150498




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