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La crème de la Crème : l’état d’esprit des grandes écoles passé au vitriol

Par Jessica Staffe @danmabullecultu

Le dernier film de Kim Chapiron est sorti au cinéma la semaine dernière dans les salles. La Crème de la Crème se passe dans l’univers des grandes écoles plus exactement des écoles de commerce. Cette production n’avait pas pour vocation de leur plaire mais  de critiquer le fonctionnement et l’état d’esprit de ces établissements qui forment une partie de l’élite de la nation.  Le résultat est réussi d’où les réactions plutôt négatives de ces grandes écoles qui ont vu leur si belle image écornée.

 La crème de la crème : portrait au vitriol des grandes écoles

Peu flatteur à leur égard, le film cherche à redonner de l’humanité à des personnes qui l’ont perdu à force d’évoluer dans un univers déshumanisé. Loin des brochures  promotionnelles vantant la promotion sociale et la mixité, ce film met en évidence une typologie particulière d’étudiants. Venant tous d’un milieu favorisé sauf une Kelly, ils représentent une classe plutôt blanche et bourgeoise.  La mixité sociale et économique apparaît donc quasiment absente. Tous les élèves  deviennent ainsi  interchangeables. Ils sont le miroir de leur école : bien éduqué, bien habillé et prêt à tout pour réussir. Comme tout les miroirs, ils ne reflètent pas forcément ce que nous voulons y voir. Ce portrait au vitriol ne s’attarde pas sur les clichés comme le disent volontairement les étudiants en écoles de commerce mais s’évertue à aller au cœur des problèmes et s’intéresse profondément à la mentalité et au formatage des esprits qui conduisent les élèves à appliquer les cours d’économie sans être conscients de l’immoralité de leurs actes et tout en restant innocents. Chacun des trois personnages demeurent attachants.  L’apparence glauque, révèle une profondeur.

Louis, Kelly et Dan expriment chacun leur sensibilité. Leurs faiblesses, leurs forces et leurs envies de réussite font d’eux des personnages complexes rongés par leurs doutes et leurs devoirs sociaux. De sujets, ils se transforment en objet. Ce changement est dû au fait qu’ils s’imprègnent du milieu  puis deviennent des archétypes. Moulés, ils n’adhèrent pourtant pas aux us et coutumes de leur école et n’appartiennent pas à un groupe particulier ou à une confrérie et se sentent en partie rejeté.

De la micro économie à la maquereau économie

Leur idée de départ se construit sur une expérience qu’ils jugent sociologique. Leur comportement et leurs objectifs se fondent uniquement  sur des théories économiques.. Ils se retrouvent vite prisonnier de leur réseau.

Cette expérience prend de l’ampleur et occupe  leur temps. La rentabilité devient leur crédo. Tout dépend de l’offre et de la demande. Ces principes font écho à l’économie de marché. Sans l’avoir voulu au départ, ils ont mis  sur pied une véritable petite entreprise qui leur rapporte.   Cette histoire glauque se fonde sur une amitié sincère.  Louis, Kelly et Dan évoluent à mesure que le film avance. Le réseau de prostitution qu’il créé les dépasse. Ils ne veulent pas faire le mal mais permettre à leurs amis de trouver enfin la fille qu’il lui faut. Humains, ils se font happés par le système de leur école et  tentent de développer leur réseau à une grande échelle.  La question de la prostitution n’est évoqué que tardivement et eux-mêmes ne le voyaient pas de la sorte. Pour eux ce n’était qu’un réseau de séduction entre gens consentants. Les rapports tarifés sont pour eux un moyen d’appliquer les théories économique qu’ils ont apprises. Ils mettent en pratique des principes dont la base est inculquée par les plus grands économistes.

Caricature ou simple miroir d’une vérité que l’on veut à tout pris caché ?

Le discours d’entrée nous met dans l’ambiance et nous plonge dans cet univers où l’humain devient une valeur économique. L’individu n’est pas reconnu pour ses qualités humaines mais pour ce qu’il va rapporter à l’école puis plus tard à la société. Il est noyé dans la masse. Le discours est clair net et précis,  par sa seule évocation, il formate les étudiants d’embrée.  Pour être un bon élément, il faut être  à l’image de l’école. Policée, belle, élitiste de l’extérieur, l’élève représente sa promotion et plus largement son école. En théorie, il ne doit pas faire un pas de travers pour s’assurer un bel avenir. Après, il connaît sa valeur monétaire plus que sa valeur humaine

La Crème de la Crème dérange les discours bien pensant. Ce film révèle une réalité qu’on ne veut pas voir. La future élite de la nation ne peut pas s’adonner à tous ces excès   Il pose donc de vraies questions. Ce regard à la fois pervers et malsain est un moyen pour dévoiler des secrets bien gardés. Il est impensable de dire que dans les soirées prestigieuses d’écoles de commerce, l’alcool coule à flots, que la drogue circule sous le manteau et que le sexe se pratique librement. Ces soirées d’ivresse et de débauches seraient une caricature. Honnêtement la majorité  du film ne parle pas de ça. Ses détracteurs le juge caricatural parce qu’ils se sentent visés. Certaines blagues du film s’adressent particulièrement aux étudiants de ces établissements que s’y reconnaissent.

Le contenu de cette production ne les valorisent c’est peut-être  ça qui les dérange au fond.  Ils n’apprécient de se voir représenter de la sorte. Les administrations elles se sont senties diffamés.  Les écoles de commerces sont très peu médiatisée, peu de journalistes ont le droit d’y pénétrés. Pour y entrer il faut montrer patte blanche et surtout de pas ne pas critiquer le fonctionnement de ces écoles. Si diffamation il y c’est oublier le film est construit sur des témoignages d’élèves et à fait relire le scénario par un professeur de marketing reconnu  Laurent Maruani .

Politiquement incorrect, Kim Chapiron a dénoncé l’envers du décor. Il a souhaité appuyer là où ça fait mal. Pourtant il est toujours difficile de s’attaquer à ces écoles prestigieuses. Il existe une certaine omerta sur le sujet. Il n’est pas bon de remettre en cause des écoles dont le rayonnement est international et valorise l’image de la France à l’étranger. Peu importe, le rôle du cinéma est aussi d’explorer des territoires qui au départ paraissent hostiles pour questionner la société,  son évolution, les relations sociales qui en découle et son avenir. Ces étudiants ont  eux un avenir tout tracé c’est en tout cas ce qu’on leur rappelle continuellement. Tout en ayant un rapport au monde de l’entreprise, ils semblent déconnecté de la réalité et du monde auquel ils appartiennent.

Il a pointé du doigt les disfonctionnements, les excès et la déshumanisation. Il a aussi voulu montrer  qu’elles fonctionnaient en circuit fermé.

Un jeu d’acteur  particulièrement bien mis en valeur

 

  Chacun des personnages évoluent  au cours du film.  Louis, jeune étudiantarriviste est au début détestable. Il mériterait des claques.  Cette apparence demeure trompeuse. Prétentieux, il demeure attachant. Au cours du film il se dévoile, on découvre ses failles, ses déchirures et ses peines. Il n’est finalement pas si fort que ça. Son image  d’archétype d’étudiant  en école de commerce imbu de lui-même s’efface pour laisser place à un jeune homme en proie à ses doutes et aux questionnements amoureux. Promis à un avenir autant professionnel qu’amoureux. Petit à petit, il crève l’écran. Il finit par se rapprocher inéluctablement d’Alice. Pourtant tous les opposent. Ils ne viennent pas du même milieu social et ne comportent pas du tut de la même façon. Chacun des deux personnages donnent une certaine image des étudiants. Au final ils s’apprivoisent, apprennent à se connaître et se ressemblent plus que nous aurions pu le penser. Louis, Dan et Kelly font état de leur doute, leurs craintes et leur ressentis. Dépassés par leurs sentiments, ils n’en demeurent pas moins humains. Jean Baptiste Lafarge, Alice Isaaz et Thomas Blumenthal nous proposent un jeu juste et n’en font jamais trop. Ils ont su  donner de l’humanité aux personnages qu’ils incarnent  et sont passé au dessus des clichés.

 La crème de la crème n’est pas forcément à percevoir comme on l’entend souvent  comme un portrait de la génération Y. Il n’est pas fnon plus à comprendre comme un teen movie. Kim Chapiron a voulu  montrer qu’au delà de l’image policée, les étudiants en école de commerce ont les même préoccupations que les autres. Ce film sulfureux est avant tout une aventure humaine pleine de vie.

Jessica Staffe



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