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Petit bilan de la #museumweek

Publié le 11 avril 2014 par Aude Mathey @Culturecomblog

Article écrit à quatre mains par Antoine Courtin  et Aude Mathey.

Si vous lisez ces lignes et que vous êtes fondu(e) de musées, la semaine des musées (ou #museumweek) sur Twitter doit très probablement vous dire quelque chose.

La semaine des musées était au départ une initiative de Twitter France et de douze grands musées parisiens. L’action a ensuite rapidement fait des émules au Royaume-Uni grâce à l’action de Mar Dixon, puis en Italie et bien entendu dans le reste de la France.

Mar Dixon a également appelé les musées “hors-zone” (comprendre hors France, Italie et Royaume-Uni) à se joindre à l’initiative avec la mise à disposition d’un document d’inscription.

Aude Mathey sur ce blog avait par ailleurs listé les musées “étrangers” qui s’étaient inscrits de cette façon. Chose d’importance : un musée africain (Sierra Leone Railway Museum) était le seul de son continent à être présent lors de la semaine des musées et cette initiative est à saluer (quoiqu’on peut se demander si son objectif était de se faire connaître plus par les européens participant à l’opération que par son public local habituel).

#museumweek, c’était quoi ?

La semaine des musées, initée par Twitter France donc, avait pour mission de mettre en avant les musées français sur le réseau social et créer une catégorie “culture” qui puisse mettre en avant leurs actions – que la presse française semble souvent ignorer.

Il y avait donc un mot-dièse (#museumweek) générique pour toute la semaine, accompagné par un mot-dièse (ou hashtag) par jour selon une thématique bien spécifique :

Lundi 24 mars : #coulissesMV
Il s’agissait de mettre en avant un aspect caché du musée (on pense à #jourdefermeture, mais même quand le musée est ouvert)

Mardi 25 mars : #quizzMV
Le mardi, les musées avaient pour mission de poser une question à leur public (plus ou moins difficile) afin de développer leur taux conversationnel.
Mercredi 26 mars : #LoveMV
Cette fois-ci, le public doit dire pourquoi il aime le musée. Le Centre Pompidou avait organisé un flash mob à cette occasion.
Jeudi 27 mars : #imagineMV
Il s’agit dans ce cas d’inciter les visiteurs à imaginer du contenu autour des oeuvres dans le musée…
Vendredi 28 mars : #QuestionMV
Cette thématique ressemble fortement à #askacurator sauf qu’ici il était possible de questionner n’importe qui dans le musée.
Samedi 29 mars : #ArchiMV
La journée était consacrée à l’architecture du bâtiment.
Dimanche 30 mars : #CreaMV
Enfin, c’était l’heure du détournement. Bref, les twittos étaient invités à faire un peu ce qu’ils veulent ou à réagir à la thématique proposée par le musée.

Au total, l’initiative française avec douze musées parisiens a donné lieu à une opération mondiale avec plus ou moins 700 musées participants, en grande partie européens.

Il a été relativement complexe de calculer automatiquement le nombre de musées participants à l’initiative. Pour les différents calculs, nous nous sommes reposés sur les listes maintenues par les comptes Twitter de chaque pays (FR, UK, IT, ESP) ainsi que la liste des musées étrangers réalisée par Mar Dixon. Or, dans cette liste, on peut noter tout d’abord la présence des musées originaires des pays participant officiellement à l’opération, qui pour certains n’étaient pas dans la liste fournie par le compte Twitter de leur pays d’origine, et enfin certains doublons dans les inscriptions.

Carte mondiale des pays participants à la MuseumWeek © Antoine Courtin - http://museumweek.antoinecourtin.com

Carte mondiale des pays participants à la MuseumWeek © Antoine Courtin – http://museumweek.antoinecourtin.com

Ci-dessous, Antoine Courtin a dressé l’évolution de la répartition des musées inscrits à l’initiative #MuseumWeek, liste que l’on trouve sur les comptes officiels de Twitter pour chaque pays.

Évolutions des musées participants à la veille du lancement © Antoine Courtin - http://museumweek.antoinecourtin.com

Évolutions des musées participants à la veille du lancement © Antoine Courtin – http://museumweek.antoinecourtin.com

On peut noter un taux de progression variable, selon l’origine géographique et les jours de la semaine, que l’on peut facilement expliquer par l’origine des données (cf. la remarque précédente sur le comptage des musées participant à l’opération. La mise à jour a été réalisée manuellement).

De plus, il est intéressant de noter la différence du taux de progression des musées inscrits avant et pendant l’événement. En effet, des musées ont continué à s’inscrire dans le courant de la semaine des musées. Ainsi, l’évolution des inscriptions est allée comme suit :

  • du  10 au 17 mars : 245 nouveaux abonnés,
  • du 18 au 24 mars : 132 nouveaux abonnés,
  • du 25 au 30 mars : 49 nouveaux abonnés.

Enfin, peu de temps avant le début de la semaine (24 mars), les listes ont rapidement été mises à jour. Puis, le 24 mars – même, peut-être du fait du succès de la journée, d’autres musées sont venus rejoindre en masse l’opération (de 623 à 690 musées en deux jours) alors que la moyenne des nouveaux musées inscrits est de 29 par jour.

Récapitulatif de l’inscription des musées pour la semaine.

Alors, que s’est-il passé pendant la #museumweek ?

Comme nous l’avons vu précédemment, l’opération est partie d’une initiative francophone qui s’est rapidement étendue à (presque) tout le reste du globe (l’Asie faisant partie des grands absents, l’Amérique du Sud, l’Australie et même l’Afrique ont eu un/des musées participants). Faut-il en déduire que de type d’opération est culturellement très occidental ?

Les mots dièses ont donc été pensés en français (ou presque). En ce qui concernait les musées du Royaume-Uni, de l’Italie et les outsiders, les hastags ont été transformés en anglais et oooh surprise, ne correspondaient pas forcément à la même thématique que celle lancée en France. Rien de tel que pour lancer une petite cacophonie sur le réseau.

Heureusement que les musées québécois, qui font de la défense du français une priorité, ont utilisé les mots dièses de la version française. Cependant, cela ne veut pas forcément dire que tous les musées français ont utilisé les hastags “francophones”. D’où l’impression parfois de joyeux bordel.

Donc, les thématiques pour les non-francophones étaient donc :

Lundi 24 mars – A day in the life (#DayInTheLife)
Mardi 25 mars – Test your knowledge (#MuseumMastermind)
Mercredi 26 mars – Your story (#MuseumMemories)
Jeudi 27 mars – Buildings behind the art (#BehindTheArt)
Vendredi 28 mars – Ask the expert (#AskTheCurator)
Samedi 29 mars – Museum selfies (#MuseumSelfies)
Dimanche 30 mars  – Constraint drives creativity (#GetCreative)

On remarquera donc par exemple que l’on ne demande plus à l’internaute d’interpeller un employé du musée mais uniquement le conservateur (là, l’initiative est clairement collée sur celle de @askacurator) ou encore le hashtag #museumselfies (au lieu de #museumselfie qui existe aussi) qui remplace la thématique de l’architecture.

Ce choix différent est un peu dommage, car dans la plupart des cas, les mots dièses n’avaient absolument pas besoin d’être traduits (quizz, question, archi, etc.) ou pouvaient être transposés très facilement.

En plus de cela, Twitter étant ce qu’il est (du micro-blogging avec 140 caractères…), plusieurs remarques sont apparues notamment dans la communauté Muzeonum (un rassemblement informel de museogeeks, les passionnés du musée et du numérique) sur la complexité de l’opération : deux mots dièses, une mention de musée voire le partage d’un lien ou d’une photo, cela ne laisse guère plus beaucoup de place pour l’internaute d’écrire quoi que ce soit.

Enfin, la semaine des musées tombait on ne peut plus mal en France en terme de calendrier.

En effet, les 23 et 30 mars avaient lieu les deux tours des élections municipales. Grand enjeu politique pour le gouvernement socialiste français et quand on sait que Twitter est un excellent réseau de partage et de commentaires sur la politique, on eut craint (avec raison) que la semaine des musées aurait une portée plus faible que prévue.

Antoine Courtin ayant créé un robot (@Museumweekbot) et utilisé l’API de Twitter ainsi que Bluenod afin d’agréger toutes les données que vous voyez actuellement sur les infographies dans cet article (et qui sont disponibles ici) a soulevé quelques points très intéressants et qui peuvent, à terme éclairer les musées dans leurs choix éditoriaux.

Ainsi le mot dièse ou hashtag qui aura été le plus utilisé pendant toute la #museumweek aura été #LoveMV dans la partie francophone (7 210 tweets) et #MuseumMemories pour le reste des participants (28 262 tweets).

Enfin, il est intéressant de souligner la différence d’intérêt des communautés :

Diffusion des hastags © Antoine Courtin - http://museumweek.antoinecourtin.com

Diffusion des hastags © Antoine Courtin – http://museumweek.antoinecourtin.com

Bref, au final la semaine des musées a représenté 206 540 tweets (hors doublons). Un beau score, sans compter que du 31 mars au 10 avril, il existe encore une traîne de 12 525 tweets avec la mention #museumweek. Il semblerait donc que la semaine ait eu de belles retombées…

Twitter est-il un support de médiation culturelle ?

A cette question, à laquelle Aude Mathey avait déjà apporté un début de réponse, Antoine Courtin a mis en évidence le fait que si on écarte les profils d’institutions qui répondent à d’autres institutions (oui, oui), il faut aussi penser à écarter #museogeeks du mode de calcul. Ces derniers étant en effet un public déjà acquis aux musées, on s’en doute, et maîtrisant très bien les nouvelles technologies et les réseaux sociaux. Par exemple, pour le seul hashtage #ArchiMV, plus de 80% des utilisateurs du hashtag étaient justement des personnes avec la mention #museogeek dans leur profil. De là à dire que la semaine des musées est une belle opération de communication, il n’y a qu’un pas.

Cependant, de la communication peut-être, mais certainement pas de la fidélisation de son public. En effet, uniquement 0,57 % des comptes d’utilisateurs non institutionnels ont tweeté avec les 7 hashtags francophones pendant toute la semaine (Pour obtenir cette statistique, Antoine Courtin a simplement comparé la liste des utilisateurs de chacun des hashtags pour identifier les utilisateurs communs aux 7 jours. Il est arrivé à un total de 122 comptes communs à chacun des 7 hashtags auxquels il faut retirer 70 institutions). C’est à dire, si on prend la statistique par l’autre bout que près de 99% des utilisateurs non institutionnels n’ont pas tweeté pendant les 7 jours de l’opération autour de la semaine des musées, en ce qui concerne le milieu francophone.

Mais ces remarques sont assez logiques si on connaît le fonctionnement de Twitter. En effet, les réseaux sociaux tels Twitter ou encore Facebook sont très adaptés au marketing de permission. C’est grâce au potentiel viral de Twitter voire de Facebook que l’on peut toucher son/ses public(s) cibles. Faire interagir la communauté avec l’institution est un bon départ, mais cela ne doit pas se limiter à une semaine. Et la fidélisation demande énormément d’investissements de temps et de ressources que les musées ne sont pas toujours en mesure de pouvoir fournir. D’ailleurs un très bon article explique pourquoi Facebook et Twitter ne sont pas des plateformes de fidélisation. En effet, il ne faut pas prendre pour argent comptant le fait que l’on multiplie ses abonnés, c’est l’engagement qui est important.

On a pu remarquer d’ailleurs pendant la semaine des musées une participation très importante les premiers jours (43538 tweets avec #museumweek) mais qui a malheureusement conduit à un essouflement rapide (14881 tweets le dimanche) (chiffres récupérés par l’API Twitter sur une place horaire 00h-00h) par manque de temps ? Thématiques compliquées ? Opération trop longue ? Abandon de ce hashtag au profit des hashtags quotidiens ?

Bref. A notre sens, la semaine des musées – qui d’ailleurs n’a pas été présentée comme une opération de médiation culturelle par Twitter mais bien comme une campagne de visibilité – a atteint son objectif. Une belle campagne de notoriété pour les musées présents sur Twitter lors de la semaine, avec de jolies retombées presse parfois un peu navrantes, une belle effervescence autour de certains musées (nous n’avons pas compilé les données musée par musée) et un gain d’un certain nombre d’abonnés pour certains (mais on ne connaît pas le profil de ces abonnés).

Cela laisse donc de nombreux autres champs d’analyses  explorer et à systématiser pour l’ensemble des musées participants, comme par exemple des statistiques sur le rapport entre nombre moyen d’accroissement d’abonnés durant la #museumWeek et une semaine normale, mais également des analyses plus qualitatives (analyses des sentiments, taux d’échanges, etc.).

Finalement, une opération très probablement à renouveler mais à notre sens de façon plus simple, avec moins de thématiques définies par des hashtags à tire-l’arigot et un programme de façon concerté et pourquoi pas en cross-media cette fois-là ?


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