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La phrase musicale, limpide évidence

Publié le 11 avril 2014 par Bmgeneve

WandererJe l’avoue, j’ai toujours eu de la peine avec le genre du lied, comme j’ai toujours eu du mal avec Bob Dylan, par exemple. Je sais, c’est mal et je m’en bats la coulpe. La raison est pourtant simple : ne comprenant ni l’allemand ni l’anglais, les chansons à texte dont je ne comprends pas le sens, sont souvent pour moi creux, sans intérêt.

Bien sûr, quand on me prend par la main, quand on m’explique que dans le Erlkönig de Schubert il n’y a pas moins de 5 personnages : le narrateur, l’enfant qui voit terrorisé la mort sous les traits du Roi des Aulnes, le père qui fuit pour sauver son fils, le roi des Aulnes d’abord enjôleur puis de plus en plus impérieux, et enfin le cheval qui galope sans trêve dans la nuit, même quand l’enfant était déjà mort… Quand on m’explique tout cela lors d’un Salon musical par exemple, le lied devient limpide, ou plutôt d’une horreur foudroyante. Mais en général, quand je perçois chez l’interprète sa volonté de donner sens au texte avant tout, le musicien et mélomane que je suis s’ennuie vite, avec un vague sentiment de culpabilité en plus.

Alors quand j’entends l’album « Wanderer » d’Andreas Scholl, et que je ne peux plus arracher le casque de l’oreille, il faut que je comprenne ce qu’il se passe. Est-ce la voix de haute-contre de l’homme Andreas Scholl ? Est-ce l’évocation de la féminité de cette voix mais sans la présence possiblement dangereuse de la femme ? (Dr. Freud, pouvez-vous me fixer un RDV, c’est urgent !) ? Est-ce le brouillage des genres qui m’égare sur des pistes équivoques et possiblement délicieuses ? Non, je ne le crois franchement pas. La raison est à chercher ailleurs, chez l’interprète Andreas Scholl qui se définit d’abord comme un musicien ; puis en deuxième comme un chanteur, et enfin en troisième comme un haute-contre. La tessiture et même l’organe lui-même ne sont chez lui manifestement que les instruments d’une intension musicale. Là, je me retrouve dans mon élément intime : le son, le timbre au service absolu de la phrase musicale. Cette phrase dont le sens transcende tous les discours du monde.

Mais comment fait-il concrètement, Andreas Scholl, pour réussir à me faire aimer d’amour ces lieder de Schubert, de Mozart, de Haydn et de Brahms ? Bien sûr, il y a cette suprême intelligence de l’interprète dans la transmission. Mais je perçois encore deux autres éléments : Une absence de pathos, de mise en scène  du texte, une forme d’humilité qui laisse à la musique le soin d’exprimer ce qu’elle à dire, non comme l’illustration des mots mais en elle-même, dans toute sa noblesse. Nul besoin de jouer par-dessus la musique. Le deuxième élément, ou plutôt le deuxième ingrédient de cette merveille tient dans la balance entre le piano et la voix. Le piano ne tient aucunement le second rôle, le rôle d’accompagnateur qui joue forcément toujours trop fort. (Se rappeler le titre plein d’ironie de l’autobiographie de Gérald Moore,  l’accompagnateur attitré de Dietrich Fischer-Diskau : « Faut-il jouer moins fort ? » !). Ici les deux musiciens sont à pied d’égalité, absolument, se partageant la responsabilité du message musical. Au fait, le pianiste s’appelle Tamar Halperin.

Après cela, je ne dirai plus jamais que je n’aime pas le lied. Pour Bob Dylan, il reste encore un peu de chemin à faire!

Paul Kristof

SCHOLL, Andreas. Wanderer (Decca, 2012)    Disponibilités


Classé dans:Coups de coeur, Musique classique

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