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Eloge de "La Colère" contre Sénèque

Par Sergeuleski

   Victime de la colère de Caligula puis de son successeur, Claude, dans le livre III de « La Colère » (titre original : De ira), Sénèque, exilé en Corse, ne pourra que condamner cette colère chez les Césars, empereurs de Rome (il en aura connus ou « subis » cinq) ; mais pas seulement chez ces derniers : il déconseillera la colère à l’esclave car, en bon stoïcien qu'il était, Sénèque était d’avis que « … l’on ne se révolte pas pour le seul bénéfice d’une souffrance plus grande encore », refusant même d’accorder à l’amour-propre la moindre considération.

   En revanche, Aristote vantait la colère comme un aiguillon nécessaire et efficace. Aussi, qu’il soit permis ici de faire l’éloge de La Colère : celle des humbles, des sans-grades et des humiliés contre la colère d’un notable aux ambitions sociale et politique contrariées, comme ce fut le cas de Sénèque.

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   On aura beau chercher à nous expliquer comment on extirpe la colère, à défaut, comme on y met un frein et comment on la réprime... la combattre à outrance, la refouler quand son torrent menace de tout emporter, pour la juguler, d’aucuns comptent sur le temps qui guérit bien des maux, d’autres jugent ce remède trop lent car la colère, impétueuse, emportée par elle-même, avance à pas de géant.

Si nul âge n'en est exempt, néanmoins, rien n’est plus difficile que de cultiver cette colère - de « rester en colère » -, jusqu’à un âge avancé car plus on vieillit plus on est tenté de baisser les bras : la résignation puis la soumission guettent,patientes : en effet, tôt ou tard...

Et c’est déjà la mort, cette résignation et cette soumission ! Son anti-chambre, pour sûr ! car la grande faucheuse n’est alors, elle non plus, jamais bien loin.

   La colère n’est pas une manifestation de faiblesse. Élan, ardeur, elle croît du fait des obstacles : ceux dressés par l’injustice et l’arbitraire. Elle sévit là où la loi commande aussi bien que là où la force fait le droit. Des foules ont marché en masse sous son drapeau sans rien craindre, se jetant au devant d’innombrables périls.

La colère est la plus constructive des frénésies. Sans elle, aucune victoire n’est permise, ou bien alors... que l’on nous cite un Peuple,un seul, qui ait renoncé à la colère et qui n'ait pas été livré à un arbitraire plus insoutenable encore ? Humiliation accrue pour toute victoire et pour toute récompense.

Aussi…

Malheur aux Peuples qui n’ont pas connu la colère ! Esclaves ils sont, esclaves ils demeureront !

   Vertige effréné, flétrir la colère, cet utile auxiliaire de tous les combats, c’est faire l’éloge de la servitude.

Rien de ce qui relève de l’humain n’est étranger à la colère ; la colère est le propre de l’homme, et le rire n’est que la manifestation de son triomphe. Se priver de la colère, c’est désarmer l’âme, lui ôter son élan et c’est se condamner à l’inertie.

Dard enfoncé dans le flanc de la conscience humaine et de sa condition, la colère ne confie sa vengeance à personne d’autre qu’à celui qui la porte : l’exécuteur.

Feux autour des places, supplices, rien n’est comparable à la fureur de la colère, et rien ne réjouit autant que son visage menaçant ; visage pourpre, d’une teinte sanglante, impatient de dévorer une proie qui déjà exhale les restes de sa vie : en seconde et en poids de chair humaine.

Respiration entrecoupée, agitations, exclamations, des hommes les plus sages, les plus éclairés l’ont cultivée et entretenue jusqu’àl’embrasement.

Sans la colère, pas de liberté. Vertu tournée contre tous les vices, la colère ne coûte cher qu’à celui qu’elle prend pour cible. On ne peut la ramener qu’à une seule raison : frapper encore plus fort.

Voyez ! Par la colère, un père est fier de son fils, un enfant fier de ses parents, un époux fier de son épouse.

   La colère surpasse toutes les vertus.Si les guerres sont l’expression de la force des oppresseurs, la colère d’essence plébéienne est l’explosion de la révolte des humiliés.

Soulèvement de l’amour-propre, la colère est le plus haut des sentiments : elle rassemble les nuages, éclate en tempêtes, tourbillonne en un cyclone.Rien au-dessus car la majesté l’accompagne.

Où trouver une telle majesté chez l’homme résigné et soumis ? Ne cherchez pas ! Vous ne trouverez rien, sinon... l'abaissement et la laideur de la soumission.

Aucune vertu à souffrir par humilité ni à tolérer l’outrage par humanité donc.

   Adapter ses forces aux obstacles, et ses moyens au but, la colère ne s’épuise alors jamais. Laissons à la colère le plus de liberté possible sans chercher à modérer son intempérance. 

Jaillissant en traits de flamme, bouleversant toute la condition humaine, avec la colère, l’intention est tout, et l’acte n’est rien.

La colère n’ignore aucune injure. La colère vient à nous, tout comme nous qui venons à elle... elle qui nous attendait, qui nous espérait comme aucune autre. C’est la plus fervente et la plus chaleureuse des maîtresses. Quand elle survient, impossible de la repousser. Elle nous attire, tout comme nous la charmons.

La colère appelle aux armes. La colère n’amortit rien ; elle éclaircit le nuage qui offusque la bienséance.La colère n’abandonne rien au temps car seul le flux et le reflux du présent importent.

De colères, n’en refoulons aucune. Permettez tout à la colère car tel est son souhait. Contentez-la !

   Vaincre la colère c’est refuser de vivre debout, en homme libre ; c’estse soumettre à l’oppresseur.

A la fois ordre et commandement, face à la colère, ne réclamons le secours de personne. Bien au contraire : accompagnons-lajusque dans ses dernières témérités…

   La colère est une plainte qu’arrachent les grandes injustices. Seule la colère ouvre la voie à la liberté, jamais la servitude. La colère est courage. Succédant à la réflexion sans l’inspirer entièrement - même s’il est bon que la colère puisse être à la source de tous les questionnements -, la colère n’accroît aucun tourment car elle est bel et bien l’unique allégement des souffrances les plus vives.

Seul le complot frappe de nuit ; la colère, elle, frappe en plein jour.

La colère ne connaît le pardon qu’une fois l’adversaire terrassé.

La résignation est un vice qui encourage tous les vices. La colère est une vertu qui se propose de donner l’exemple : celui d’une « saine colère » car la colère n’est ni rancune ni vengeance, elle est jugement. Face à la surdité de la tyrannie, la colère est donc bien la meilleure des conseillères.

La colère n’est pas ébranlement de l’âme mais sa résurrection et son affermissementcar elle sert à la fois la nature et la raison. Transformation intérieure, la colère doit être contenue dans un seul cas : lorsqu’elle sert l’ennemi.

Lacolère n’est pas une maladie mais un symptôme : celui d’une prise de conscience qui n’admet plus l’infamie.

   La colère est libération. Pensons à tous ces hommes illustres dont l’Histoire retient le courage de leur résistance ! Et gardons à l’esprit que seuls les pleutres résignés, les classes dominantes et leurs larbins condamnent la colère aussi bien individuelle que collective, et plus encore lorsqu'elle les prend pour cibles.

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Pour prolonger, cliquez : Porter la crise au coeur du PS


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