Le chara-design ou character design, l’un des métiers les plus connus de tous les fans de japanimation : celui de la création des personnages ou de leur adaptation à partir d’un autre support, le manga généralement. C’est aussi le métier le plus représenté parmi les invités de convention en France, sur Paris Manga par exemple qui en a accueilli pléthore.
Lors de la dernière édition, en février dernier avec monsieur Hidenori Matsubara, je me suis fait la réflexion que je commençais à avoir fait un premier tour de la question, et qu’il ne serait pas inintéressant de rassembler plusieurs de ces témoignages pour prendre du recul sur ce métier essentiel.
J’ai donc rassemblé le meilleur de 5 interviews et tables rondes de ces 3 dernières années auxquelles j’ai pu assister avec des chara-designers pur et dur et d’autres intervenants entre chara et mecha-design ou qui occupe aussi des postes variés dans l’animation. Vous trouverez donc : Toshihiro Kawamoto (Cowboy Bebop, Wolf’s Rain), Shoji Kawamori (Macross, Vision d’Escaflowne), Hidenori Matsubara (Ah My Goddess !, Gankutsuou), et Shingo Araki (Saint Seiya, Goldorak). A cette occasion, et pour vous proposer plus qu’une compilation, j’ai ressorti une double interview de mes cartons, inédite, celle de Yûsuke Kozaki (Kyoko Karsuma, No More Heroes) et Shigeto Koyama (Heroman, Neon Genesis Evangelion 1.0 à 3.0).
J’espère que vous apprendrez plus sur le métier de chara-designer et sur les grandes figures de la profession qui s’expriment ici. Pour retrouver l’intégrale des interviews concernées, leur date ou leur lieu, rendez-vous en fin d’article.
Bonne lecture ;)
Création : le chara-design original
Comme nous allons le voir dans cet article, le chara-design est tout un métier qui est tout sauf solitaire, il faut plutôt le voir comme le maillon d’une grande chaîne qui se réunit lors les réunions avec le staff. Des brainstormings préparatoires essentiels, surtout pour la création de protagonistes originaux. Toshihiro Kawamoto nous en dit plus : « On commence par des meetings avec le réalisateur puis on établit des spécificités de base : est-ce que le personnage est grand, petit, est-ce qu’il a une grande bouche, etc. On définit lors de ces réunions les traits physiques mais aussi le caractère du personnage. Donc il n’y pas de modèle précis…Mais il est possible que, lors de ces meeting, je m’inspire de mes collaborateurs pour définir certains personnages que je présente ensuite à l’équipe. Ensuite je propose 3 ou 4 design possibles et on choisit celui qui conviendra le mieux.»
Le principal interlocuteur reste donc le réalisateur. Toshihiro Kawamoto se souvient notamment de Shin’ichiro Watanabe, avec qui il a collaboré sur Cowboy Bebop. L’homme est réputé strict et méticuleux. Le qualificatif méticuleux fait d’ailleurs sourire notre interviewé qui se permet d’ajouter, un peu moqueur : « Méticuleux ? Ce n’est pas mon impression ! (Rires) »
Il continue en partageant ses souvenirs de l’époque : « La difficulté est qu’il n’exprimait pas trop ses sentiments, il était difficile de savoir ce qu’il voulait, ce qu’il aimait ou n’aimait pas. En fait il ne m’a jamais dit non, il n’a pas refusé les personnages que je lui ai présentés. Donc je me dis qu’il a aimé ce que je lui ai proposé mais j’aurais préféré qu’il me donne davantage ses impressions pour mieux définir les personnages.
Mais, heureusement, nous étions de la même génération et nous étions fans des mêmes séries, je pense que ça permis une bonne collaboration. »
Ce travail a ainsi accouché de nombreux personnages célèbres, via des sources d’inspiration parfois inattendues. Sur Ed par exemple, la gamine loufoque de Cowboy Bebop : « M. Watanabe a commencé par me dire qu’on pouvait peut-être faire quelque chose pour le personnage d’Ed, en s’inspirant de Yôko Kanno. Il voyait à l’époque cette jeune femme comme quelqu’un de très doué, qui avait composé la très populaire musique de Macross Plus. Moi je trouvais que ce qui avait été écrit au sujet d’Ed ne correspondait pas vraiment à l’image que je me faisais de Yôko Kanno. Mais une fois que je l’ai rencontrée… j’ai compris ! (Rires)
Ce n’est pas tant qu’elle est puérile… mais plutôt qu’elle est dans son monde. Elle mange quand elle a envie de manger, elle dort quand elle a envie de dormir. Aux réunions, quand elle avait sommeil, elle se mettait parfois à dormir, d’un coup, ou bien elle avait subitement envie de prendre des photos de quelque chose, grimpait sur la table, et prenait ses photos (rires). Un peu comme un petit animal… C’est un peu pour ça qu’on a donné à Ed cette allure. Mais il ne faut surtout pas le dire à Kanno-san, elle n’aimait pas ça ! (Rires) »
Ein, le chien de la série, a lui aussi existé. Dans la nécessité d’un modèle monsieur Kawamoto a étudié la physionomie d’un vrai chien de la race Welsh Corgi, s’est pris d’affection pour lui et il est finalement devenu son chien. Par la suite, ce compagnon à quatre pattes est devenu une base pour une autre anime : « il m’a aussi inspiré pour Wolf’s Rain. Je n’avais pas de réelle expérience concernant les loups, et en plus je sortais tout juste de Bebop. J’ai du apprendre et m’adapter rapidement. Evidemment ce n’est pas ressemblant mais comme c’était mon chien j’ai pris ça à cœur (rires). Après j’ai du adapter quelques détails comme la queue inexistante ou la modification au niveau des pattes, vu que celles du Welsh Corgi sont beaucoup plus courtes. »
Certains personnages sont donc créés à partir de modèles particuliers, réels, tandis que d’autres apparaissent en étant griffonnés sur un coin de table. C’est un peu ce qui s’est passé pour Lynn Minmey, l’héroïne de Macross. Shoji Kawamori nous raconte : « À l’époque de la création de Macross, nous réfléchissions avec monsieur Mikimoto à l’histoire. Un jour où nous étions en train de manger dans un restaurant chinois, il a dessiné une Minmey en train de chanter. À la base, on se disait que ce serait intéressant de voir la progression de cette jeune fille vers le statut d’idol mais on ne pensait pas du tout l’inclure dans une série SF.Quand on l’a inséré dans l’anime par la suite, il n’y a pas eu de refus sur l’idée mais on a plutôt rencontré des difficultés pour la faire chanter correctement en terme d’animation. C’était plutôt ça le problème. »
Un personnage d’anime peut aussi servir d’inspiration pour un autre. C’est avec Minmey que le public français a découvert sa première idol et monsieur Kawamoto établit un lien avec une autre, beaucoup plus récente : « En ce qui concerne Hatsune Miku, je dirais qu’avec Macross Plus on a établit ce concept d’idol virtuelle car à l’époque on pensait qu’une simple idol n’aurait pas suffit. De plus, vu que la technologie était insuffisante, elle était manipulée derrière par Myung. On retrouve cette manipulation d’une idol par des hommes et par ses propres chansons dans Hatsune Miku. Je pense que quelque part nous avons déclenché tout ceci. »
Il arrive parfois que les réalisateurs n’aient qu’une vague idée sur le personnage, ce qui ne facilite pas forcément le travail du chara-designer. Yusuke Kozaki se souvient notamment de Travis, le héros du jeu vidéo No more heroes, créé à partir de très peu d’informations : « Travis devait être moderne, avoir un coté américain, être à l’origine un raté mais être tout de même un personnage classe. » Heureusement, comme l’explique monsieur Kozaki, le scénario apporte lui aussi son lot d’informations sur le personnage, grâce à son background et une cohérence nécessaire avec l’univers qui l’entoure. Pour Shingo Araki, c’est même l’histoire qui prime sur le reste «Il y avant tout un scénario. J’essaye de créer mon personnage et son univers à travers ce scénario. Je le présente ensuite au producteur et il peut ainsi naître. Mais tout commence par le scénario et la vision que je peux en avoir.»
Cela dit il y a des exceptions à toutes règles et nous évoquons avec monsieur Kozaki, qui a pour habitude d’ancrer ses personnages dans le réel, d’où vient l’anomalie Donyatsu, ce chat en forme de donuts : « Ça vient d’un gribouillis, c’était pour m’amuser à l’origine. Mais finalement je me suis dit que ce serait intéressant de le plonger dans un univers très réaliste et de jouer sur l’écart qu’il y entre lui et le monde qui l’entoure. »
En dehors des réunions préparatoires, il semble donc qu’il n’y a pas vraiment de règle ni d’inspiration spécifique pour faire naître un personnage. Et lorsque l’on demande à messieurs Yusuke Kozaki et Shigeto Koyama quand est-ce que ce dernier prend forme et acquiert son âme, on obtient deux réponses assez différentes. Kozaki multiplie les brouillons jusqu’à sentir que l’un d’entre eux sera le bon alors que, pour Koyama, tout se joue avant le premier coup de crayon : « c’est au moment de la réflexion que se forme mon personnage, grâce aux éléments qui le constituent. C’est comme au poker quand on a les cartes en main, on sait ce qu’on va pouvoir faire et où on va. Là je peux dessiner mon personnage. »
Enfin il est amusant de comparer le processus de création entre chara et mecha designer. Koyama explique qu’il s’inspire « plus de choses que d’œuvre. » Il sort ensuite un briquet de sa poche et ajoute : « par exemple je peux partir d’un briquer pour fabriquer un vaisseau spatial. Ce sont les formes qui m’inspirent principalement ». Il nous dévoile ensuite une astuce assez simple lorsqu’on débute dans le mécha-design : « Ne pas trop forcer sur le réalisme. Tout ceux qui bloquent sur les méchas, comme moi dans le passé, évitent de représenter trop de détail, comme les engrenages par exemple. Si je caricature un peu je dirais que si quelqu’un peut dessiner un cube correctement, aussi bien largeur, hauteur que profondeur, il sait dessiner un mécha. C’est la vision en 3 dimensions qui est le plus importante. »
Les méchas n’ayant pas de point de comparaison avec notre monde réel, il est donc plus facile de ruser pour leur représentation. Mais c’est aussi un désavantage, comme conclut Koyama : « pour les êtres humains on arrive plus facilement à les dessiner car on sait ce que c’est, on en voit tous les jours dans notre vie. Mais pour les mechas, on doit se représenter tous les éléments, du plus grossier au plus détaillé, dans notre tête et en trois dimensions. C’est ça qui est parfois difficile. »
Epurer mais garder l’équilibre : le chara-design d’adaptation
Une grande partie des œuvres d’animation japonaise sont des adaptations de mangas à succès. Dans ce cas précis le personnage existe déjà et il s’agit alors de l’adapter pour la télévision ou le cinéma, de simplifier le trait sans perdre l’essentiel du personnage. Le cas d’Asuka dans les nouveaux films d’Evangelion illustre bien ces contraintes et monsieur Koyama nous explique comment il se l’est réapproprié : « c’est monsieur Anno (Hideaki Anno, le créateur de la série, NDLR) qui m’a demandé de changer le design et le costume. Mais il ne s’agissait pas seulement de changer ce costume pour le rendre plus moderne, il y a une histoire derrière. Ce vêtement c’est le test type plugsuit qui est connecté et prend les données en temps réel. Il sert de modèle expérimental. Normalement sur ce costume il y a plein de connectiques, plein d’instruments de mesure qui ne sont pas forcément jolis, donc j’ai beaucoup réfléchi sur la façon de donner une meilleure esthétique. Je voulais aussi le faire un peu plus érotique (Rires).Pour monsieur Sadamoto (Yoshiyuki Sadamoto, le character designer original NDLR) le plugsuit est quelque chose qui existe réellement et il y est très attaché, donc il y a quelques règles qu’il faut respecter. C’est un combat entre ces contraintes et un rendu visuel satisfaisant, c’est ça mon travail. Je voulais aussi un design que les fans pourraient reprendre à leur compte pour des doujinshis, des choses comme ça. »
Hidenori Matsubara, spécialiste du chara-design d’adaptation, explique lui aussi qu’il doit faire le tri dans les dessins d’origine, voir retravailler les traits eux-mêmes comme sur Ah My Goddess ! : « afin que les animateurs puissent redessiner le plus efficacement possible les personnages, je m’évertue à trouver des traits que je pouvais épurer tout en restant le plus proche possible de l’original. Si je les avais envoyés tels que sont les personnages dans l’œuvre originale, le résultat n’aurait pas été exploitable. »
Il faut dire que, dans ce manga de Kôsuke Fujishima, les 3 héroïnes sont trois déesses aux grandes ailes et longues chevelures, des points habituellement épineux pour tout animateur. Il se souvient notamment de l’une d’entre elles : « c’est Uld qui m’a donné le plus de mal, à cause de ces cheveux ondulés qui étaient difficiles à reproduire simplement. Heureusement elle a eu des cheveux plus raides par la suite, c’était beaucoup plus facile. J’étais très content quand c’est arrivé ! (Rires) »
Il est donc nécessaire d’apprivoiser le trait du mangaka mais, une fois que c’est fait, le duo mangaka – character designer peut durer un certain temps. Ce fut le cas entre monsieur Fujishima et monsieur Matsubara qui ont continué de travailler ensemble sur Ah My Goddess ! et ses nombreuses adaptations mais aussi sur la saga Sakura Wars. On peut aussi citer les célèbres Chevaliers du Zodiaque, issus de la collaboration entre Shingo Araki et Michi Himeno. Là aussi la première armure ne fut pas la plus simple : Il y a une armure qui nous a posé beaucoup de problème, celle de Seiya. En fait l’armure du manga ne pouvait pas être transposée tel quelle en anime. Donc j’ai du retravailler et réfléchir beaucoup pour l’adapter… »
Mais ce genre de saga avec autant de protagonistes à inventer laisse forcément des traces : « J’ai créé des personnages tout au long de ma vie, et on peut dire qu’ils se retrouvent tous dans Saint Seiya, qu’ils sont tous regroupés dans cette série. »
Néanmoins, est-ce qu’adapter sans arrêt le travail des autres ne serait pas un peu frustrant ? Monsieur Matsubara nous donne son point de vue, tout en humilité : « En fait j’ai un défaut : j’ai été animateur avant. Donc j’ai l’habitude de copier, de faire de la copie. Ça peut être frustrant de toujours reprendre le travail de quelqu’un d’autre et on a envie d’un peu plus de liberté, mais la vérité c’est que je ne me sens pas capable de créer vraiment un personnage. J’ai trop l’habitude d’avoir un modèle, et je pense que ça me prendrait vraiment trop de temps de créer un personnage. Par exemple quand je travaillais sur To Aru (To Aru Hikuushi he no Tsuioku, NDLR), comme je travaillais sur les films d’Evangelion en même temps, mon trait avait naturellement tendance à partir sur le style Evangelion même si To Aru était une œuvre originale. Je reviens naturellement à ce mimétisme de toute façon. »
Lorsqu’il est interrogé sur son style, Kawamoto explique que sa caractéristique est justement qu’il n’en a pas : « On me dit que ma principale qualité est d’arriver à animer une production sans qu’on voit ma patte justement. Quand je travaille sur une adaptation, comme The Cockpit par exemple, on ne va voir que du Leiji Matsumoto. Pareil pour Golden Boy, on ne voit que du Tatsuya Egawa. Je m’adapte complètement à l’identité de l’auteur original. Je deviens l’œuvre elle-même. On m’a même donné un surnom pour ça, mais je ne vous le donnerais pas ! (Rires) »
Néanmoins monsieur Kawamoto tient à faire une précision : « Je veux quand même éviter un malentendu… Je ne m’adapte pas à toutes les œuvres non plus. Je ne peux pas dessiner ce que je ne ressens pas. Il ne s’agit uniquement de prendre un original et tenter d’en faire une copie. En fait je choisis les œuvres sur lesquelles je veux m’adapter. »
Et puisqu’il parle d’adapter nous lui demandons d’ailleurs les différences notables entre ses travaux d’adaptations et les créations originales auxquelles il a participé : « On dispose de plus de libertés dans les œuvres originales mais par contre je dois me demander comment intéresser le public. C’est ça la grosse différence avec les adaptations. »
Cohérence, équilibre et curiosité
Monsieur Kawamoto offre une bonne définition du métier de chara-design : « Le chara-design peut sembler facile, mais il faut être capable de créer un dessin qui soit simple à bouger, mais pas non plus trop grossier sinon il perd de sa saveur. C’est toute la difficulté de ce métier, trouver l’équilibre. »
Contrairement à un mangaka, le chara-designer doit donc penser plus loin que son propre dessin et réfléchir au personnage animé qu’il va devenir. Comme le design se doit d’être plus simple qu’un manga l’important est donc de réussir le personnage dans son ensemble comme l’explique monsieur Kozaki : « le point le plus important est que l’on puisse reconnaitre le personnage au premier coup d’œil, même si on n’aperçoit que sa silhouette. C’est sa forme générale qui doit être reconnaissable. On doit aussi pouvoir l’identifier grâce à une couleur qui lui est propre comme dans Evangelion par exemple. »
Inutile donc de s’arrêter à certains détails. Monsieur Koyama renchérit sur ce point : « en plus de ces éléments j’ajouterai qu’on retrouve une différence entre les animes et les jeux vidéo : les pieds. Les plans des animes cadrent souvent sur le haut du corps et c’est donc sur cette partie que l’on va mettre le plus de détail. C’est une différence avec le cinéma également qui exploite davantage cette partie du corps tandis que le jeu vidéo utilise pas mal de vue d’ensemble donc dans ces deux cas on peut se permettre de mettre plus de détails. Mais c’est inutile en animation »
Et puisqu’on évoque l’anatomie, il y a certaines parties du corps qui sont plus difficiles à dessiner mais aussi plus décisive dans le résultat final selon monsieur Koyama : « les mains et les doigts en général car il y a beaucoup de choses à prendre en compte : les nombreuses articulations, les très nombreuses rides. C’est aussi ce qui bouge de manière la plus complexe. En plus c’est une des parties du corps qui est la plus visible donc cela se remarque tout de suite lorsqu’on les dessine mal.»
Cela dit l’anatomie ne fait pas tout et la difficulté se situe parfois ailleurs, comme le dévoile monsieur Matsubara : « disons que c’est difficile quand on a besoin de faire des recherches à coté, sur la musculature par exemple, pour dessiner quelque chose de réaliste. Mais c’est aussi difficile de ne pas se laisser emporter. Lorsqu’on réalise un manga ou une illustration, on se laisse parfois aller dans le dessin, on va exagérer certains traits et même en faire un peu trop. On s’éloigne parfois de la réalité, mais ça permet aussi de s’exprimer plus clairement vis-à-vis du lecteur ou du spectateur ».
Mais en animation on ne peut pas se le permettre, et il faut un ensemble uniforme : « Par exemple Uld et Belldandy sont de vraies beautés, mais d’une beauté un peu surréaliste quelque part. Je veux dire que, en les voyant, on peut se demander « qu’en est-il des autres femmes dans la série ? ». Il faut garder les pieds sur terre, car si on ne garde pas ça en tête il sera très difficile de garder une homogénéité dans l’ensemble de son travail. »
L’homogénéité, la cohérence. Un certain équilibre finalement, comme l’évoquait monsieur Kawamoto plus haut. C’est sans doute ça la clé de voute de ce travail… Cet équilibre doit bien sûr ce faire sur le plan artistique, lors de la création mais aussi entre son travail, celui de l’auteur original et enfin le travail de staff et des animateurs. Nous demandons à monsieur Matsubara ce qui, finalement, caractérise un bon character designer, et il compare son poste à celui d’intermédiaire clé : « Pour moi il est important d’avoir deux choses… Tout d’abord il faut savoir que beaucoup de monde compte sur le chara-designer au sein du staff. Il faut donc que ce dernier s’efforce de proposer un design qui soit dessinable par le plus grand nombre. Mais, d’un autre côté il faut respecter aussi bien l’auteur que sa patte graphique, donc c’est tout un équilibre à trouver. Je pense qu’un bon character-designer c’est celui qui réussira à trouver un équilibre qui puisse satisfaire tout le monde et le satisfaire lui, car ça a aussi son importance. »
Enfin, pour être un designer accompli, il manque une dernière chose : la curiosité ! Monsieur Kawamori l’explique ainsi : « Qu’il s’agisse d’un designer ou d’un réalisateur il est important d’expérimenter un maximum de choses et rencontrer pleins de personnes, surtout lorsqu’on veut créer une œuvre originale. C’est ce qui permet de faire naître des idées et de réussir à en faire quelque chose de concret.
Pour faire quelque chose d’original il ne faut pas se limiter à ce qu’on peut voir dans les romans, les mangas et les films, car on sera forcément limiter à un moment ou un autre. Il est important de vivre ses propres expériences. C’est grâce à ces expériences personnelles que nait l’originalité créative, qui peut permettre la singularité d’une nouvelle œuvre. »
Il faut dire qu’un designer cumule un nombre impressionnants de création. Avec messieurs Koyama et Kozaki nous essayons de comptabiliser le nombre de personnages qu’ils ont mis sur pied. Les deux hommes commencent à comptabiliser ce qu’ils ont chacun fait et le nombre monte en flèche :
Kozaki : euh… C’est vraiment dur de savoir. Avec Fire emblem par exemple j’en ai fait plein. Je dirais que j’en ai fait dit 200.
Koyama : tu rigoles, tu en es bien à 500 !
Kozaki : Oui remarque, facilement. Et toi tu arrives à compter ?
Koyama : Oh la c’est impossible. Sur Hero man par exemple je crois que j’en suis déjà à 300 !
Avec un nombre d’échec assez faible (10 % de personnages refusé pour monsieur Koyama) il est parfois difficile de ne pas se répéter. Il nous en dessinerons tout de même deux inédits pour l’époque :
Lorsque je demande à monsieur Kawamoto ce qui lui reste à apprendre après 25 ans de carrière il répond, avec autant humilité que d’envie : « Des choses à apprendre il en existe à l’infini ! (Rires)
Maintenant ce que je dois essayer c’est surtout de ne pas me répéter, ne pas re-piocher dans ce que j’ai déjà fait. J’ai eu la chance d’avoir pu être libre et instinctif dans mes créations, j’ai eu de la chance que tous les projets où j’ai proposé mes idées aient pu voir le jour.
Je souhaite donc continuer sur cette voie et me renouveler, encore et encore. »
C’est tout ce qu’on peut souhaite à monsieur Kawamoto, et aux autres aussi bien sûr.
Voilà donc ce qu’on pouvait dire sur le métier de chara-designer, j’espère que tous ces témoignages vous ont plu, et en inspireront certains pour des prochaines interviews, qui sait ?
Vous trouverez comme promis tous les liens vers les intégrales de ces rencontres, ci-dessous. Les intervenants sont cités directement dans ces papiers mais je tiens à remercier personnellement E. Bochew, avec qui j’ai réalisé la plupart de ces rencontres ou qui a permis leur mise en place. Lui et le staff de PM ou de JE également. C’est toujours un plaisir et j’espère qu’il y en aura encore beaucoup d’autres
Interviews sources :
Toshihiro Kawamoto pour Total Manga : portrait – 2012
Shoji Kawamori pour Journal du Japon : conférence de presse à Japan Expo 2013
Hidenori Matsubara pour Journal du Japon : interview à Paris Manga 2013
Shingo Araki pour Total Manga et Paoru.fr : interview à Paris Manga 2011
Yusuke Kozaki et Shigeto Koyama – inédit : interview à Paris Manga 2012.