Magazine France

Perdu dans la traduction

Publié le 16 mai 2008 par Roman Bernard
(Bis : je n'ai pas encore acces a un clavier francais, ce qui ne saurait tarder. En attendant, il faudra se passer des accents, ces epices de la langue francaise.)
J'ai a dessein traduit litteralement, "a la quebecoise", le titre du film de Sofia Coppola, auquel je pense depuis mon arrivee en Chine. Ma situation linguistique est d'ailleurs probablement plus compliquee que ne l'est celle de Bill Murray, qui se contente, dans un Tokyo sans doute plus anglicisant que ne l'est ShanghaiďźŒ de frequenter des Occidentaux dans un grand hotel reserve a leur effet. Je n'ai pas, fort heureusement, cette facilite, puisque je dois rencontrer, tous les jours de la semaine et du matin au soir, de jeunes Chinois dont la plupart ne parlent que le mandarin, en compagnie d'un interprete chinois avec lequel j'echange en anglais.
Comme je le disais dans mon premier billet, passer par une langue intermediaire n'est pas chose aisee. C'est une source d'erreur, d'incomprehension et de banalisation. Bien que l'anglais soit comme le francais une langue indo-europeenne, qui doit une large part de son vocabulaire au francais qui l'a longtemps influence, de la bataille d'Hastings au Traite de Versailles, que je le parle couramment pour l'avoir pratique pendant huit mois a l'Universite d'Ottawa ou j'ai etudie en echange il y a deux ans, son usage professionnel me demande des efforts de clarification et de simplification qui compliquent sensiblement le perilleux exercice de l'interview.
Cet usage est rendu difficile par le fait que mon interprete doit reformuler mes questions qu'il ne comprend pas toujours (ce dont je suis autant responsable que lui), puis me traduire les reponses de la personne interviewee alors que, dans un sens comme dans l'autre, il n'y a parfois pas d'equivalent de certaines expressions chinoises en anglais, et inversement. Et il m'est impossible, evidemment, de l'aider.
Sans compter que je dois, en dernier lieu, m'approprier les elements collectes en anglais pour les synthetiser en francais, car le magazine que je vais contribuer a ecrire sera, bien entendu, ecrit en francais. Cette ultime operation, comme l'enonciation des questions, est inconsciente, mais difficile, d'autant que je vais beaucoup moins dans le detail que si je m'exprimais dans ma langue maternelle.
Bien sur, mon effort n'est rien a cote de celui de l'interprete, qui doit faire la jonction entre deux langues et cultures si differentes, et aussi, ce qui n'est pas rien, faire le lien entre deux personnes qui ne pourraient se comprendre autrement.
Les interviews sont donc plus longues, plus dures, et les propos recueillis plus sommaires, plus superficiels. Le caractere difficile de cet exercice est source pour moi d'une profonde reflexion sur la profitabilite, voire la possibilite, de la mondialisation des hommes, des langues et des cultures. Les discours convenus sur l'avenement du "village global" ne prennent guere en compte l'aspect linguistique des echanges transnationaux. Sauf a considerer qu'il faille renoncer a sa culture regionale, nationale, continentale, au profit d'une culture mondialisee ayant pour traits principaux l'usage d'un anglo-americain simplifie et l'adhesion a des valeurs economiquement liberales et culturellement cosmopolites, on ne voit guere en quoi le melangisme que les mondialistes et leurs freres ennemis mais complices que sont les alter-mondialistes nous promettent peut deboucher sur autre chose que sur une incomprehension mutuelle des peuples. On redoute d'ailleurs que cette culture globalisee, en poussant les cultures localisees a s'effacer a son profit, ne conduise a un appauvrissement culturel, intellectuel et scientifique du monde.
Et pourtant, le besoin d'echanges intracontinentaux et intercontinentaux est une donnee de base du developpement des civilisations. L'ouverture aux autres cultures est une necessite, mais faut-il confondre echanges et melange ? L'histoire, depuis l'Antiquite, nous enseigne que les civilisations n'ont jamais cesse d'echanger.
Il faut toutefois rappeler que jusqu'aux dernieres decennies, ces echanges ne concernaient qu'une elite, politique, economique, scientifique ou culturelle.
L'immigration de masse, le bouleversement des modes de vie par l'intrusion de la mondialisation, veritables chevaux de Troie de la culture anglo-saxonne dans le monde, sont des phenomenes recents, et surtout sans precedent dans l'histoire de l'humanite. Ils different considerablement des echanges anterieurs, qui impliquaient des hommes savants et polyglottes, qui partageaient des usages, sinon des valeurs.
C'est donc dans une optique quelque peu elitiste que j'envisage l'entretien de relations internationales, constatant que la globalisation integrale, source d'appauvrissement culturel, est egalement un facteur de confrontation des hommes, de "choc des civilisations". S'affirmer dans son identite, consentir a la restriction de l'immigration et au retour a un protectionnisme economique partiel, confier aux elites du monde entier le soin d'echanger au niveau mondial, voila les conditions que j'estime necessaires a la fecondite des echanges entre civilisations.
Le monde, devenu subitement multipolaire a la faveur de l'effondrement du Bloc sovietique, apres avoir ete bipolaire pendant un demi-siecle et fragmentaire avant cela, gagnerait a etre davantage organise, en prenant pour cadre essentiel de la vie en societe la nation, concept que le choc des nationalismes de la premiere moitie du XXe siecle semblait condamner, mais dont le redressement spectaculaire de la Russie poutinienne, au terme de la douloureuse experience socialiste, prouve la necessite.
La nation, qui n'est pas plus synonyme de nationalisme qu'elle n'est de sens contraire a l'internationalisme (lequel ne signifie pas disparition des nations mais fraternite des nations), n'interdit pas des formes d'union d'echelle intermediaire.
C'est ainsi que l'Union europeenne, pour peu que celle-ci se construise au profit des nations constitutives de l'Europe et non a leur detriment comme c'est malheureusement le cas aujourd'hui, ou la Francophonie, qui permet de reunir des peuples de cultures diverses autour d'une meme langue a defendre et a promouvoir, sont des instances, parmi d'autres, grace auxquelles la mise en commun des richesses du monde qu'est la mondialisation peut s'averer fructueuse et surtout durable. Avec, en Europe, la substitution programmee de la culture anglo-saxonne aux cultures nationales, et en Chine l'acculturation des classes moyennes, et bientot des classes populaires, a cette meme culture superficiellement americaine, il est permis de redouter les effets devastateurs sur le patrimoine culturel et la potentielle radicalisation de peuples se sentant menaces dans leur identite que cette evolution peut provoquer.
Roman Bernard

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Roman Bernard 428 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte