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« Cette nuit je l’ai vue » de Drago Jancar : le roman de l’âme slave …

Par Alyette15 @Alyette1

« Cette nuit je l’ai vue » de Drago Jancar aux Editions Phebus littérature étrangère

"Mais hélas, Les vents, Les tempêtes, Ces fougueux enfants de l’hiver, Bientôt vont gronder sur nos têtes, Enchaîner l’eau la terre et l’air" Pouchkine

Drago Jancar, une fragrance de Transylvanie ombrageuse et symphonique. Avec un nom tel impossible d’être le plumitif du roman de gare. Avec un nom tel, seul le grand roman imprévisible s’envisage. Et c’est très exactement ce que s’autorise Drago Jancar en s’aidant de la fougue maîtrisée de ceux qui portent haut les tours et détours de la littérature. Pour les incarner : une femme insolente et libre, Véronika. Pour les rythmer une phrase tel un refrain nostalgique et fiévreux : Cette nuit je l’ai vue, Véronika.

Au cœur de l’histoire, la grande histoire, celle de l’épouvante nazie à laquelle la Slovénie ne put se soustraire. Peu avant la barbarie, pourtant, la vie fut douce et propice aux rapprochements des corps. Stevo est un excellent officier destiné à un bel avenir et lorsqu’il doit enseigner l’équitation à Veronika sur la demande de son mari, affable et courtois notable, il ignore encore où le mènera cette initiation. Bien plus loin qu’il ne faudrait … aux confins d’une passion en roue libre que la jeune femme de nature indocile éclaire de son sourire et de sa gourmandise à découvrir le monde. Mais en littérature comme dans la vie, les gens heureux n’ont pas d’histoire. Véronika reprend le sage chemin du manoir aux côtés d’un époux qui sut fermer les yeux sur son infidélité. Elle retrouve une vie légère et bourgeoise qu’elle ponctue de sa luminosité et d’un certain goût pour les arts. Une existence ouatée et aveugle des aléas de la guerre dont elle tenta le temps d’un long baiser sans souffle de s’affranchir…

Ainsi débute ce roman, au plus près d’une liaison sensuelle qui viendra tourmenter sans répit le malheureux officier qui en fut l’objet. En habile meneur du relais narratif Drago Jancar n’en reste pas là et c’est un concerto de quatre voix qui vient étoffer l’aventure pour former un chœur obsessionnel invoquant cette seule et même femme : Veronika, tragiquement disparue avec son époux au moment des règlements de compte de l’après-guerre. Parmi ces voix : celle de la mère, fluette et égarée qui face à une fenêtre vide de l’absence de sa fille fredonne ses amours passées …

Si la Slovénie est un minuscule pays, Drago Jancar lui confère la grandeur que sa géographie n’a pas su lui donner. Styliste de la limpidité, admirable conteur aux envolées sauvages, l’écrivain Slovène est passé maître dans le dressage des mots, de ces mots qui convient le lecteur au cœur d’une épopée romanesque à plusieurs niveaux d’analyse. Au-delà du portrait d’une femme que tout homme sensé rêverait de capturer dans ses bras, en vain, l’auteur livre une sensuelle et farouche partition de l’âme slave, de cette âme qui ne s’apprivoise ni ne s’asservit. Observant sa feuille blanche comme on évalue la race d’un pur-sang, le grand romancier de l’est dresse également tout en acuité le bilan d’une histoire Slovène complexe rythmée par l’éternelle faiblesse de l’âme humaine. Ou quand la tragique histoire de l’intime conduit à  l’irréparable …

Un roman polyphonique admirablement traduit dont l’intensité de haute lignée viendra se nicher au plus près de votre émotion, pour longtemps.

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Astrid Manfredi, le 09/04/2014

Informations pratiques
Titre : Cette nuit je l’ai vue
Auteur: Drago Jancar
Editeur : Phebus, littérature étrangère
Nombre de pages : 224
Prix France : 20 euros
Traduit par : Andrée Lück-Gaye


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