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Les vestiges du jour - 9/10

Par Aelezig

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Un film de James Ivory (1994 - UK, USA) avec Anthony Hopkins, Emma Thompson, James Fox, Christopher Reeve, Hugh Grant, Peter Vaughan

Une merveille de film.

L'histoire : James Stevens était majordome au service de Lord Darlington depuis des décennies. Lors du décès de celui-ci, la propriété est rachetée par un Américain. Le train de vie est beaucoup moins somptueux qu'autrefois et il convient de réorganiser le personnel. Stevens propose de recontacter Mme Kenton, avec laquelle il a travaillé de nombreuses années et qui a quitté Darlington pour se marier. Elle lui a écrit à l'occasion de la mort de leur ancien patron, lui demande des nouvelles, lui annonce qu'elle est divorcée et manifeste l'envie de retravailler. Avec l'accord de son nouveau maître, Stevens prend quelques jours de congé pour aller voir Sarah et lui proposer. le job.

Mon avis : Mise en scène habile pour l'évocation de toute une vie de labeur, avec un fil rouge : le mystère d'un amour, né il y a bien longtemps et jamais avoué : que va-t-il se passer ? que vont-ils se dire, après tant d'années ? comment cela va-t-il finir ? Mais Les vestiges du jour, malgré cette magnifique romance inachevée, toute en non-dit, n'est pas qu'une histoire sentimentale ; c'est beaucoup plus.

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Nous découvrons l'incroyable métier de majordome, dans un pays et à une époque où ils se dévouaient totalement à leur métier, à la maison et à la famille auxquels ils étaient attachés. Un contrôle de tous les instants, pour que tout soit parfait, une éducation et une dignité tout en discrétion, une vie passée dans l'ombre, alors même que les talents que doivent avoir ces domestiques "hauts de gamme" sont si nombreux... Ils en oubliaient, volontairement ou involontairement, leur vie privée : Monsieur Stevens et Miss Kenton sont éperdument amoureux l'un de l'autre, mais ne se l'avoueront jamais, bien trop occupés par leurs devoirs, bien trop soucieux de la bienséance, bien trop craintifs d'empiéter sur l'intimité de l'autre... Et puis les sentiments sont chose fragile ; est-il bien raisonnable de s'y attarder ? Une carrière, c'est autre chose. De responsabilité en responsabilité, un majordome, une intendante, deviennent les petites âmes et les petites mains indispensables au bien-être de ceux pour lesquels ils travaillent et c'est leur principale satisfaction.

Le poids des convenances.

C'est aussi l'histoire d'une maison, Darlington Hall, de ses habitants, de ses hauts faits ; l'histoire d'une époque terrible où l'on venait de sortir d'une guerre pour mieux replonger dans une autre. Et la douleur pour ces serviteurs de voir leur maître se perdre dans des amitiés dangereuses, se compromettre dans des alliances avec les loups de l'humanité. Que faire ? Quitter son travail ou continuer de faire ce pour quoi on est payé : se taire toujours ? Never complain, never explain. Jamais Monsieur Stevens ni Miss Kenton ne parviendront à manifester leur désapprobation vis-à-vis des amitiés de Lord Darlington avec l'Allemagne nazie ; ils font leur travail mais vivront comme une blessure leur loyauté auprès d'un homme dont il constate les erreurs ; et ils seront immensément soulagés lorsqu'ils apprendront, longtemps après, ses regrets sur cette période de sa vie et ses comportements imbéciles.

Le poids de l'histoire.

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C'est encore le charme insensé de l'Angleterre, de ses châteaux inimitables, de son savoir-vivre, de ses manières, de ses traditions... cela nous semble si désuet mais en même temps si terriblement charmant, comme une sorte de paradis perdu. Jamais je ne m'en lasserai.

Les deux personnages sont inoubliables. J'avais les larmes aux yeux à la fin... Ils sont si guindés, si bien élevés, stricts jusqu'à l'austérité et en même temps, on sent leur coeur qui bat, les émotions qui les habitent, la sensibilité contre laquelle ils luttent à chaque seconde ! Quels merveilleux acteurs qu'Emma Thompson et Anthony Hopkins ! Ils m'ont fait chavirer de bonheur devant toute l'âme qu'ils donnent à leurs personnages. Anthony est merveilleux, exquis, adorable, séduisant, émouvant... Je l'ADORE. Cet homme me fait complètement craquer !

Mes scènes préférées :

L'éducation sexuelle de Reginald ! Lord Darlington demande à Stevens de vérifier auprès de son neveu Reginald, sur le point de se marier, si celui-ci (génial Hugh Grant !) est bien averti des "choses de la vie" et s'il ne l'est pas, de les lui expliquer... Stevens est affreusement gêné mais un majordome se doit de répondre à toutes les demandes. Il aborde donc Reginald en lui parlant de la nature, des abeilles, des petits oiseaux... un vrai dialogue de sourds s'installe entre les deux hommes ; Stevens ratera complètement sa mission et Reginald ne comprendra jamais le soudain délire de celui-ci sur la sexualité des animaux ! Une scène drôlissime !

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La scène où Miss Kenton taquine Stevens parce qu'il a regardé un peu longuement la jolie Izzy. Comme si les sentiments leur étaient interdits, et qu'il avait "failli" en admirant la gracieuse silhouette... Comme si elle-même n'éprouvait rien envers son très très cher Monsieur Stevens... "Mes pensées sont bien éloignées de vos fadaises, Miss Kenton !" répond-il en souriant. Eloignées d'Izzy, bien sûr, puisqu'il est fou amoureux de Sarah... La réplique est diablement jolie. L'un et l'autre se sont interdits l'amour, ils le savent et font semblant de dominer leurs émotions. Dingue ! 

La scène du livre ! Une des plus érotiques du cinéma mondial, alors qu'ils sont tous les deux habillés, le col vissé autour du cou ! Comme quoi on n'a pas besoin de corps dénudés pour réaliser une scène d'une sensualité débordante ! Miss Kenton apporte un bouquet de fleurs dans le bureau de Stevens et surprend celui-ci, dans la pénombre, assoupi, ou rêveur... on ne sait pas. Elle lui demande ce qu'il lit, il refuse de le lui dire et cache la couverture. Elle insiste, elle rit, elle s'effarouche : serait-ce une littérature "osée" ? Il se lève, tenant fermement son livre contre lui. Elle s'approche, tout près... et le visage de Stevens s'enflamme, ses yeux brillent, étincelants... Le désir est là qui l'oppresse ; cette femme pour laquelle il brûle en secret, presque contre lui... Elle pose sa main sur la sienne, déplie les doigts un à un pour voir ce fameux livre... Une scène absolument prodigieuse, d'une beauté inouïe, une des plus belles du cinéma ! Finalement, lorsqu'elle parviendra à ses fins, elle constate qu'il s'agit d'un roman sentimental... Il bredouille que tous les livres sont bons pour apprendre le bon anglais. Elle fait semblant d'approuver. Ils se séparent, encore une fois, sans rien se dire d'autre... Frustrant et chaud bouillant ! 

Les dialogues sont à la hauteur de ce petit bijou, ciselés, élégants, châtiés... Si l'on est anglophone et -phile, il est indispensable de le voir en V.O. Mais le doublage français est magnifique, très soigné, et rend à la perfection le souci du bien parler des protagonistes.

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Certains comparent ce film à Gosford Park, qui traite également des coulisses d'une grande demeure britannique dans les années 30, mais je préfère très nettement Les vestiges du jour. Le film de Altman est très lent et très ennuyeux, malgré une intrigue policière qui s'invite dans les petites histoires des maîtres et des serviteurs. Je n'ai pas aimé du tout, et pourtant Dieu sait si j'aime la culture britannique... Mais ici, tout est plus fort, tout est plus vrai, tout est plus délicieux, tout est plus triste ausssi ; les personnages sont analysés avec énormément de finesses, les situations sont intéressantes sur le plan humain et historique, les scènes émouvante ou drôles, le style est infiniment plus british, et les acteurs... un régal, un REGAL ! Tout respire l'authenticité, l'intelligence, la subtilité.

Ah Monsieur Stevens... Comme je comprends les larmes de Sarah ! Elle aurait dû rester auprès de lui (qui sait, à la longue, ils auraient peut-être fini par craquer...), même en vivant cet amour platonique, plutôt que d'aller épouser ce Tom, histoire de voir ce qu'était la vie des autres femmes, histoire de fuir un amour qu'elle jugeait à jamais interdit...

WAOUH.

Anecdote : le château n'existe pas ! Les prises de vue et les effets spéciaux mélangent en fait quatre demeures...


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