Magazine Cinéma

Henri Langlois : l'accessible étoile

Par Marcel & Simone @MarceletSimone

L'accessible étoile

Vous connaissez l’expression : « Décrocher la lune » ?

Si elle était de Guitry fils cette expression, il faudrait sûrement s’empresser d’ajouter qu’elle caractérise l’exigence d’une femme (en passe de devenir adultère… tout en restant femme. L’un ne va pas d’ailleurs pas sans l’une) à l’adresse d’un pauvre bougre (en espérance de devenir l’amant), lequel en serait tout chamboulé, tant parce qu’il se sentirait incroyablement prêt du but convoité que parce qu’il se rendrait compte que le chemin qu’il lui reste à parcourir pour l’atteindre serait égal à la distance qui sépare la terre de… la lune !

Autrement dit : « mon chéri, si tu veux que je sois à toi pour la vie (c'est-à-dire pour quelques heures chez Guitry), décroche-moi la lune. ».

Et il essayerait le malheureux. Il essayerait et il raterait vraisemblablement.

Et s’il devait réussir, défiant toutes les lois de la gravitation (les femmes sont capables d’engendrer ce genre d’exploit !) ça serait pour découvrir alors que sa « Désirée » n’est plus là pour recevoir son présent.

Eh non ! Lassée d’attendre son astre de la nuit, elle se serait éclipsée avec un bellâtre, un soleil, c'est-à-dire une truffe mâle qui ne brille que parce qu’il y a de la lumière.

En même temps, on trouve des truffes dans le boudin !

Pourquoi je vous raconte tout ça alors que je suis censé vous parler de l’exposition « Le Musée Imaginaire d’Henri Langlois » ?

Tout simplement parce que ça me permet de jouer avec les mots.

Or, jouer avec les mots, les assembler, les mélanger, en faire des phrases plus ou moins spirituelles c’est ce que j’aime faire le plus au monde.

C’est ma passion.

Oui, écrire est ma passion.

Or, s’il y a bien, à mon sens, un adjectif qui sied à Henri Langlois comme une bande originale signée Georges Delerue sied à un film mythique de Jean-Luc Godard, c’est bien l’adjectif « passionné ».

Henri Langlois, qui aurait eu cent ans en novembre prochain, était un passionné.

D’une part parce qu’il consacra sa vie à ce qui le faisait vibrer : le cinéma.

En rassemblant des films, en les restaurant, en les programmant, en les projetant, en les faisant découvrir ou redécouvrir, en les aidant à traverser le temps, en empêchant la poussière de se déposer sur leurs succès.

Et d’autre part parce qu’il cultiva des rapports, des relations, des amitiés, des amours avec des gens contaminés par le même qualificatif.

Des artistes bien sûr. Difficile de ne pas citer Georges Franju (qui était son ami et avec qui il créa la Cinémathèque Française en 1936), Charles Chaplin (qu’il considérait comme le plus grand des réalisateurs), Jean Cocteau, Roberto Rossellini, Orson Welles, Buster Keaton, Alfred Hitchcock (à qui il remit la légion d’honneur en 1971), Michel Simon, et les garnements cinéastes de la Nouvelle Vague.

Mais aussi des complices, comme Jean Mitry (autre co-fondateur de la Cinémathèque Française), des collaborateurs, et bien évidemment toutes ces générations de fondus de la péloche, ces spectateurs qui se succédèrent dans les différents endroits ou la Cinémathèque posa ses bobines (Avenue de Messine, rue d’Ulm, Palais de Chaillot, Grands Boulevards) avant de s’installer depuis 2005 au 51, rue de Bercy dans le 12ème arrondissement.

C’est là, bien évidemment, que se situe l’exposition orchestrée par Dominique Païni (ancien directeur de la Cinémathèque de 1993 à 2000).

Parcours initiatique sur l’évolution de l’espace, on découvre que le cinéma a pris de plus en plus de place dans l’existence d’Henri Langlois, de même que lui a pris de plus en plus de poids dans le monde du 7ème Art (et de poids tout court d’ailleurs… ce qui curieusement donna en 1968 une indigestion à Dédé Malraux, alors ministre du Général de Gaulle, qui n’avait pourtant jamais jusque là souffert de l’estomac après ses rendez-vous culturels avec le grand Riton).

Si les prémices de son entreprise résultèrent d’un instinct de survie (celui de sauvegarder les bobines de films du cinéma muet qu’à l’époque, dans les années 30 donc, on n’avait pas l’intention de conserver) on découvre, non sans étonnement, mais avec ravissement, que ce Monsieur, dont on ne parle pourtant pas tous les jours, a laissé une empreinte colossale sur toutes les terres ou le cinéma se cultive mais aussi dans toutes les mémoires de ceux qui vivent, mangent, boivent et respirent par et pour le grand écran.

Croisez Steven Spielberg demain et évoquez Henri Langlois au lieu de vous vanter de chouiner à chaque diffusion de E.T. et vous constaterez que le « Prodige » sait parfaitement de qui vous parlez.

Evidemment, on lui doit tant !

Vous, moi, le gars Steven, on est tous redevables à Henri Langlois.

L’expo vous raconte sa vie, forcément. Je dirais même : normalement. Non pas parce que ça permet de comprendre. Est-ce qu’on explique la déraison ? Mais parce que ça permet de mesurer…

Rendez-vous compte qu’il a commencé par stocker des films dans sa baignoire et qu’aujourd’hui il y a un nombre d’œuvres collectionnées (car c’est bien d’une collection qu’il s’agit) pharamineuses.

Et de tout : du muet, du parlant, du Technicolor, du couleur, de l’expérimentale, du documentaire, du court, du long, du moyen, du connu, du méconnu, du trésor, du rare, de l’unique.

Sans parler des décors, des accessoires, des costumes, des objets qui aujourd’hui se laissent contempler dans des vitrines comme des joyaux dans leurs écrins.

La constitution de ce patrimoine nous est relatée au fil d’une frise chronologique, qu’accompagnent également quelques interviews et anecdotes plutôt jubilatoires.

Relatée mais pas dépeinte.

Des peintres, en revanche, oui.

D’accord, la transition est un peu facile, mais il faut bien que vous compreniez que, même s’il y a 7 étapes dans la rétrospective, ça forme un tout.

Un tout dont le champ lexical est l’image.

Alors ils sont tous réunis, tous rassemblés, les barbouilleurs (de génie), les plasticiens, les photographes, les concepteurs d’affiches, les collagistes, les cinéastes… Et peu importe les dates, les époques, les courants, les périodes.

C’est le monde de l’image. C’est le moment de l’hommage.

Hommage que rendait Langlois aux autres… A Matisse (filmé et que l’on peut voir en plein travail), A Chagall, A Picasso, A Picabia, à Léger.

Hommage rendu à Langlois par des artistes comme Jean-Jacques Lebel, Enrico Sarsini ou César.

Hommage rendu aussi au ciné en général et à ses mécanos.

Et puis Langlois lui-même nous accompagne vers la sortie.

Son film expérimental « Le métro » co-réalisé en 1935 avec Georges Franju précède des dessins absolument hallucinant d’organigrammes de la Cinémathèque Française telle qu’il la concevait, c'est-à-dire resplendissante.

Resplendissante comme cette lune bien trop haute qui nous nargue quand elle ne veut pas se laisser décrocher alors qu’il ne nous manque qu’elle pour qu’une femme…

Remarquez à côté de la lune, y a toujours des étoiles.

C’est pas mal aussi les étoiles.

Elles ne sont pas toujours filantes.

Il y en a aussi des accessibles.

Il suffit d’avoir la tête dedans.

Dans les étoiles du cinéma.

Demandez donc à Henri Langlois…

Du 9 avril au 3 août.

A la Cinémathèque Française.

51, rue de Bercy.

75012 Paris.


Retour à La Une de Logo Paperblog