La tache, roman de Philip Roth, traduit de l’américain par Josée Kamoun, aux éditions de poche Folio, 480 pages, 8€90. Prix Médicis étranger 2002.
Coleman Silk était professeur de lettres classiques. Jusqu’au jour où il prononça le "mot scélérat". Alors que deux étudiants étaient absents de son cours de littérature, deux étudiants qu’ils n’avaient d’ailleurs encore jamais vu, il les traita de "zombies". Il aurait très bien pu dire fantôme ou spectre. Il voulait appuyer le fait qu’ils n’avaient jamais mis les pieds dans son cours de littérature. Seulement, en anglais, le mot "zombie" est la traduction de "spook", qui en argot est une insulte raciste, équivalente en français du mot "bougnoule", comme l’explique la note de la page 18, de l’édition Folio. Or, les deux étudiants sont de couleur de peau noire. Ils ont eu vent de l’insulte, et ont cru leur professeur raciste. Les deux étudiants le dénoncent alors pour racisme. Coleman Silk tentera de se défendre auprès du doyen, en vain :
J’évoquais la possibilité qu’ils n’aient qu’une existence ectoplasmique ; est-ce que ça peut faire le moindre doute ? […] J’employais le mot dans son sens communément reçu, son sens premier, « zombie », spectre, fantôme. Je n’avais pas la moindre idée de la couleur de leur peau.
Coleman Silk préfère démissionner, plutôt que de révéler un secret qui pourrait le disculper. Cette affaire fera scandale. La femme de Coleman Silk, Iris, en mourra. Seulement, le fameux secret dure depuis son adolescence, et même sa famille n’est pas au courant. Il préfère se taire plutôt que de révéler son mensonge qui dure depuis plusieurs longues années. Depuis presque toute une vie.
La tache de Philip Roth est un roman passionnant, qui traite, sous un angle peu commun, de la condition des noirs aux Etats-Unis. Le roman commence en 1998, alors que Coleman Silk est à la retraite depuis deux ans. Il retracera toute la vie du personnage principal, et parcourra donc toutes les périodes des Etats-Unis. À titre d’exemple, à la page 430, il est évoqué les séparations dans les écoles :
Il y avait un seul bâtiment, mais divisé en deux, avec une palissade entre les deux parties du bâtiment, d’un côté les jeunes de couleur, et de l’autre les jeunes Blancs.
D’autre part, au-delà du thème traité, Philip Roth construit son roman avec précision, et nous surprend encore, jusque dans les dernières pages, alors que le mensonge est révélé depuis plusieurs pages. Le narrateur, Nathan Zuckerman, est l’homme qui se penche sur l’histoire de Coleman Silk et qui, tout au long du roman, nous raconte sa vie, son parcours et ses mensonges. Nathan Zuckerman est écrivain, et la fin nous révèle une mise en abyme étonnante : il est en train d’écrire un roman dont le titre est La tache. Le narrateur et l’auteur se confondent alors, dans les dix dernières pages du roman. La construction est incroyablement prodigieuse.
La tache, un roman incontournable de Philip Roth.