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Accord parental obligatoire : l’histoire pas très belle de Haïfa dans l’Egypte du maréchal Sissi…

Publié le 21 avril 2014 par Gonzo

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Le monde arabe a-t-il jamais traversé crise aussi sévère ? La situation est dramatique en Syrie, au Yémen, au Bahreïn, en Libye pour s’en tenir aux exemples les plus évidents mais rares sont les pays de la région qui ne se débattent pas dans de très graves problèmes… Malgré cela, une bonne partie de l’opinion se passionne pour un film on ne peut plus commercial avec pour actrice principale une des vedettes people de la région ! Ne serait-ce que pour cette raison, il faut se résoudre à parler de Haïfa Wehbé et de la sortie, puis de l’interdiction, du film Halawet al-rûh (« La beauté de l’âme », par antiphrase sans doute, tellement le sujet du film ne semble pas correspondre au titre).

Présenté dans les salles égyptiennes le 8 avril, le film, financé par la société du producteur très commercial Ahmed El-Sobki (on a déjà parlé de lui ici), aura été retiré de l’affiche une semaine plus tard. Ibrahim Mahlab, l’homme qui assure en tant que Premier ministre l’interim (lui-même totalement illégal) à la tête du gouvernement qui précède l’élection claironnée à l’avance du maréchal Sissi, a en effet décidé d’innover dans la très riche tradition locale de la censure arbitraire. Alors qu’il avait reçu, contre toute attente, son visa d’exploitation, avec la seule mention d’une interdiction aux mineurs, ce remake de Malèna, histoire d’une veuve lascive qui fascine tous les mâles du coin, parmi lesquels figure un garçonnet, ne sera plus projeté avant de repasser devant ladite commission. Naturellement, celle-ci va s’arranger pour l’interdire, et ce n’est pas la démission, digne en l’occurrence, du responsable présumé du service officiel de la censure cinématographique qui changera quoi que ce soit !…

A l’origine de ce revirement qui ne s’embarrasse pas d’arguties juridiques (mais le pays en a vu d’autres, et des plus graves), l’éternel surenchère des pères-la-pudeur effarouchés par les charmes généreux de la diva libanaise. Signe que tout va mal dans le pays, ce n’est pas Al-Azhar qui a sonné la charge cette fois, mais un très sérieux National Council for Childhood and Motherhood qui s’est inquiété de cette mise en scène qui ne correspond pas « aux valeurs et aux habitudes de la société égyptienne » et qui s’est même ému du danger que constituait cette œuvre (malgré son interdiction aux mineurs) pour les jeunes enfants du pays… Bien entendu, l’institution religieuse a emboîté le pas très vite, en considérant qu’il fallait non seulement interdire ces images mais juger ceux qui, « par ces œuvres cinématographiques occidentalisées mettent en danger la sécurité morale de la société »…(article en arabe).

Habitués à se coucher dans le sens du vent, une bonne partie de ceux qui font aujourd’hui l’opinion publique dans ce pays manifestement plongée dans un total désarroi ont fait leur habituel numéro à l’antenne, le plus souvent sans être allés voir le film (ou alors en cachette !) Quant aux réseaux sociaux, ils ont montré une nouvelle fois combien il est naïf de vouloir en faire les vecteurs infaillibles d’une vox populi progressiste et tolérante : le compte Twitter, pourtant très suivi, de la vedette libanaise avec son tag #HalawetRooh peine à faire entendre sa voix face aux #shukranmahlab (« merci Mahlab », du nom de l’obscur Premier ministre soudain devenu une vedette) et autres campagnes sur Facebook, du type Kifaya esfaf (Assez de bassesses [morales]). Quant au petit garçon qui joue dans le film, la chaîne Al-Arabiya raconte, sans vraiment trop s’en offusquer, qu’il ne peut plus se rendre à l’école sans se faire cracher dessus par des passants qui aimeraient bien refaire l’éducation de ce petit kâfir (mécréant).

Les accusations de ceux qu’affolent les déhanchements lascifs des stars de l’écran sont assez révélatrices de leurs fantasmes. Certains, qui prennent sans doute leurs désirs pour des réalités, se sont fait tout un scénario et sont désormais persuadés que le gamin du film a violé la belle Haïfa (Rûh, dans le film), laquelle est enceinte de ses œuvres (article en arabe) !!! On voudrait bien croire qu’il y a derrière ces violentes attaques contre Haïfa et ce qu’elle représente un authentique sursaut moral, dans une société où plus de 99 % des femmes, selon un rapport récent de l’ONU, ont été victimes de harcèlement sexuel… Malheureusement, il est bien plus probable que ceux qui s’agitent sont avant tout des opportunistes hypocrites. Après tout, le film est tout juste à peine suggestif au regard de ce qu’on trouve sur Internet où la frustration de la jeunesse arabe trouve un pauvre exutoire à ses désirs inassouvis (selon cette très intéressante étude, les 22 pays arabes comptent pour 10 % des requêtes mondiales avec le mot « sex » sur Google, sans compter les demandes en caractères arabes !)

haifaabuhashima
Interdit ou pas (en Egypte, mais aussi à Bahreïn, aux Emirats…), le film trouvera son public, comme le sait fort bien son producteur qui « menace » de l’offrir gratuitement (article en arabe) à la distribution dans les salles égyptiennes : émeute garantie! Quant à Haïfa, le scandale de Halawet al-rûh n’est qu’un nouvel épisode dans une très longue série, qui ne diminuera en rien la fascination qu’elle exerce sur le public, bien au contraire. Et pour finir sur cette triste comédie à l’égyptienne, précisons encore que le dernier mari officiel de la comédienne libanaise (ils ont divorcé en novembre 2012) n’était autre que le richissime homme d’affaire Abu Hashima (bio en anglais de cette caricature de nouveau riche). Cette très très grosse fortune – dont l’origine est tout aussi sulfureuse que la vie privée de Haïfa au regard d’une certaine morale – est un des principaux soutiens du maréchal Sissi…

Si vous en avez l’envie, bande annonce de Halawet al-ruh ici. A mon goût personnel, cela ne vaut rien au regard de ce sommet de kitsch que constitue la vidéo de Anta teny, insérée dans ce billet.


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