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[Critique] PI

Par Onrembobine @OnRembobinefr
  • 26 avr 2014
  • Jérôme Muslewski
  • STAR VIDEO CLUB
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[Critique] PI

Titre original : Pi

Note:

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Origine : États-Unis
Réalisateur : Darren Aronofsky
Distribution : Sean Gullette, Mark Margolis, Ben Shenkman, Pamela Hart, Stephen Pearlman, Samia Choaib, Ajay Naidu…
Genre : Thriller/Science-Fiction
Date de sortie : 10 février 1999

Le Pitch :
Max Cohen est un petit génie persuadé que le monde entier répond à une logique mathématique universelle, que ce soit dans la structure du feuillage d’un arbre ou les fluctuations des marchés financiers. Il a fabriqué un imposant ordinateur afin de poursuivre ses recherches sur une suite numérique qui régirait selon lui l’univers entier. Les calculs de Max aboutissent à une série de 216 chiffres, qui intéresse pas mal de monde, dont les représentants d’une multinationale, mais aussi un groupe de juifs orthodoxes persuadés que la suite découverte par Max n’est autre que le vrai nom de Dieu auquel il est fait allusion dans la Thora…

La Critique :

Attention : cette critique contient des spoilers

Si un artiste se doit de communiquer un message, Darren Aronofsky n’a en tout cas jamais choisi de faire dans la démagogie. Ses œuvres sont 100% personnelles avec une approche radicale des sujets abordés – les addictions, les obsessions et passions morbides… Et c’est ce jusqu’au-boutisme thématique qui a permis à Aronofsky d’imposer son style et ses partis-pris, même si les recettes de ses films au box-office sont loin de rivaliser avec celles d’Avatar.
Qu’à cela ne tienne, ses histoires peuvent se raconter avec une belle économie de moyens et c’est ce qui a garanti jusqu’à présent leur intégrité et leur identité artistiques. En effet, on peut douter que les sujets abordés par ses premiers films auraient facilement trouvé preneur si les sommes requises pour leur réalisations s’avéraient plus élevées. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Aronofsky a attendu si longtemps avant de réussir à trouver le financement pour Noé, dont l’idée avait pourtant germé avant même qu’il ne mette en chantier Pi.

Et Pi quoi alors ?
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, Pi n’est pas qu’un film intello. Non pas que la forme puisse le faire prendre pour un blockbuster du samedi soir, loin de là, mais le scénario ne se limite pas à des discussions abstraites sur les mathématiques et la religion. Il s’agit également d’une véritable expérience sensorielle. Aronofsky nous fait entrer de plein pied dans l’univers mental de son héros et propose un véritable (mauvais) trip à ses cotés.
La mise en scène permet de comprendre l’état d’esprit de Max, ses tourments, et il est possible d’apprécier le film sous ce seul aspect viscéral.
Avec son chef opérateur Matthew Libatique (avec qui il collabore toujours à ce jour), ils inaugurent quelques effets de style que l’on retrouvera dans leurs travaux suivants, notamment les séquences décrivant les rituels compulsifs du personnage, composées de gros plans rapides sur les mains, les boites de cachets, l’eau qui coule du robinet… Un écrivain utiliserait un style haché et sec pour décrire l’état d’urgence et de stress de son personnage, Aronofsky et Libatique adoptent la même approche mais de manière visuelle. Les séquences en question évoquent autant un vidéo clip musical qu’un certain cinéma expérimental underground, on est loin des effets de style gratuits auxquels le cinéma américain nous a habitués depuis quelques années (Libatique s’est d’ailleurs vu demander de recycler certaines de ses trouvailles visuelles lors des errances de Daniel Craig dans Cowboys et Envahisseurs sur lequel il officiait également en tant que directeur de la photographie). Le spectateur plonge de manière presque physique dans l’histoire, dans un état proche de la transe. Le son contribue d’ailleurs de manière efficace à nous faire ressentir la paranoïa et la souffrance (morale et physique) de Max. L’appartement de ce dernier est en soi une représentation de son cerveau : l’ordinateur qu’il a assemblé occupe tout la pièce, du sol au plafond, indiquant que Max est en quelque sorte prisonnier dans sa propre tête, empêtré dans des fils et des circuits électriques ne visant qu’à calculer sans répit tous les chiffres et valeurs qu’on leur soumet. (NDR : l’ordinateur est tellement gros qu’il n’y a même pas la place pour mettre un lit…- l’appartement de Pi sans lit donc…)

Rien n’est gratuit dans la mise en scène d’Aronofsky. Cette rigueur dans l’écriture et dans la réalisation est un parfait moyen de compenser le manque de moyens. À défaut d’avoir du pétrole, il a des idées : tout est millimétré et bien pesé. Le sérieux mathématique de l’histoire imprègne donc le film au-delà du cadre – et le fait que sa durée atteigne exactement 1h23m45s n’est pas le détail le moins cocasse de l’affaire!
Autre parti pris visuel destiné à appuyer le propos : le choix d’un noir & blanc hyper contrasté, éliminant au maximum les nuances de gris. Ce choix colorimétrique renvoie aux 1 et 0 du langage machine, le noir et le blanc étant également la couleur des pièces du jeu de go auquel jouent Max et Sol dans le film.

Pi no noir et Pi no blanc
Pi est construit sur des valeurs binaires, comme une dissertation proposant une thèse et une antithèse. Aronofsky ne cherche jamais à trancher. Il offre des pistes de réflexions mais laisse au spectateur le soin de se forger son propre point de vue, qui changera en fonction des convictions personnelles de chacun.
C’est là la marque des plus grands artistes, sachant interpeller et stimuler leur public, sans jamais leur imposer une vision unique. Aronofsky n’oublie pas non plus qu’il doit avant tout raconter une histoire et nous permettre de nous identifier à son héros.
Tout au long du film, des valeurs opposées vont se confronter, tel le noir et le blanc, les 1 et les 0. Pi aborde ainsi la science et Dieu, les mathématiques et le chaos, la société et la religion, le pragmatisme et la foi.
Max est poursuivi par une multinationale et un groupe religieux fondamentaliste. Ces deux groupes voient ce qu’ils veulent voir dans les 216 chiffres générés par l’ordinateur/cerveau de Max, alors même que ce dernier est bien incapable de déterminer à quoi sa suite peut bien correspondre. Pour la multinationale, il s’agit de la clé qui permettrait de maîtriser et anticiper les mouvements de la bourse. Pour les religieux, il s’agit du vrai nom de Dieu (on dit également qu’en agençant les 216 chiffres en 3 colonnes de 72 chiffres, on obtient alors les 72 façons différentes de nommer Dieu).
Pour l’esprit mathématique de Max, aucune des deux options ne semblent pourtant plus valable que l’autre même si il reste convaincu qu’il y a une logique derrière tout ça. Il semble croire qu’il existe un Ordre des choses et de la Nature. Au début du film, il fixe les arbres dans le parc. Le zoom avant sur le haut des feuillages indique que Max étudie dans sa tête l’arborescence des troncs, puis des branches, puis des feuilles. Ces formes fractales (par exemple, imaginez en gros un triangle avec un triangle sur chacun de ses côtés, ces 3 nouveaux triangles avec un triangle sur chacun de leurs côtés, puis ces nouveaux triangles avec des triangles encore plus petits sur chacun de leurs côtés, et ainsi de suite) visibles dans la nature suggèrent à Max l’existence de motifs et d’une logique géométrique et mathématique. À l’échelle de l’univers, on pourrait émettre l’hypothèse que chaque molécule soit un univers en soi et que chaque univers ne soit à son tour qu’une molécule d’un ensemble encore plus gigantesque.
Cette foi en une logique universelle est également présente dans le jeu de go que pratiquent Max et son ami Sol. Si les règles du jeu sont extrêmement simples à la base (chaque partie commence systématiquement par la même configuration de 2 pièces blanches et 2 pièces noires), l’évolution de la partie offre un nombre toujours plus grand de possibilités et de scénarios.
La manière d’aborder le jeu de go représente les modes de pensées différents des deux protagonistes : d’un côté, Max pense qu’il y a une logique dans la manière d’enchaîner les mouvements à chaque tour. Sol, lui, pense qu’il faut laisser la partie évoluer pour pouvoir observer une tendance, un motif global. L’un préconise la recherche d’un moyen systémique de prédiction, l’autre accepte les aléas du chaos et de l’observation à posteriori. La dichotomie de ces questions fondamentales étant biaisée par les convictions de chacun, Aronofsky préfère poser soulever des interrogations plutôt que de tenter d’apporter des réponses. Max, à force de s’obstiner à analyser ses chiffres et le monde, finira par perdre complètement pied.
Sa schizophrénie, incarnant son incapacité à trancher sur toutes les questions soulevées par ses observations, le poussera à commettre l’irréparable pour tenter d’échapper à sa propre folie.

Et Pi c’est tout
La dernière scène du film voit Max libéré des ses obsessions – apaisé mais dans un état végétatif. Une amère victoire sur lui-même en somme. Lorsque la petite fille lui demande de faire une division complexe de tête (exercice auquel il se livrait volontiers auparavant), Max est incapable de répondre, quand bien même le résultat de l’opération énoncée n’est autre que la valeur de Pi !
Le plan final nous montre à nouveau les arbres dans le parc, en vue subjective. Max ne semble plus rien distinguer dans leur structure. Il est lobotomisé, ses recherches l’ayant poussé à se griller les circuits, une issue tragique préfigurée par la « mort » de son ordinateur lors du calcul de sa fameuse suite numérique. La résolution de certaines questions fait appel à des ressources dont ne dispose tout simplement pas le fabuleux processeur que représente le cerveau de Max.
Selon les convictions et donc, de la foi (ou la non-foi) du spectateur, le film suggère un débat philosophique sur de vastes sujets qu’il n’est pourtant pas facile d’établir au cinéma, le 7ème art se permettant trop souvent d’imposer un point de vue au public de par sa nature figurative.
Pour un premier film, Pi fait preuve d’une impressionnante maîtrise, sur le fond et la forme, avec des partis pris radicaux mais qui imposaient déjà la personnalité de son auteur et annonçaient la plupart des thèmes qu’il allait développer par la suite.

PS : on notera que M.Night Shyamalan aborde toutefois un thème similaire dans Signes, lorsque le personnage de Mel Gibson explique qu’il y a deux sortes de gens : ceux qui croient que tout n’est que hasard et coïncidence et ceux qui pensent que les choses, même les pires, arrivent pour une raison.

@ Jérôme Muslewski

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