Larry Brown, né en 1951 à Oxford dans le Mississippi aux États-Unis et décédé en 2004 d'une crise cardiaque, est un écrivain américain. Après avoir servi dans l'US Marine et exercé de multiples petits boulots, bûcheron, charpentier, peintre, etc. il fut pompier pendant seize ans. Un éditeur remarque un jour une de ses nouvelles dans un magazine et lui demande s'il aurait d'autres textes à publier. L'écrivain lui répond qu'il en a des centaines. En quelques années, Larry Brown est reconnu comme un grand romancier par la critique comme par les lecteurs et il récolte de nombreux prix. Son œuvre compte six romans, deux recueils de nouvelles, une autobiographie et un essai.
Le roman Joe, date de 1991 et vient d’être réédité dans une traduction révisée. Son adaptation pour le cinéma sort en salles le 30 avril prochain avec Nicolas Cage dans le rôle titre.
Nord du Mississipi, une famille de vagabonds arrivée à pied et sans un sou de Californie, échoue dans une masure abandonnée au coeur d’un bois, près d’un bled. Il y a Wade, le père, un vieux salopard alcoolo, sa femme une épave battue et résignée perdant un peu la tête, leurs deux fillettes Fay et Dorothy et Gary le fils de quinze ans, illettré, ne connaissant ni sa date ni son lieu de naissance. Le récit nous apprendra que d’autres enfants sont morts ou partis, personne ne s’en souciant beaucoup. Joe, une figure locale, dirige un groupe de journaliers noirs qui déboisent un terrain. La quarantaine bien entamée, un peu marginal, ce n’est pas ce qu’on appelle un innocent. Il tête ses bières à tout de bras, joue aux cartes, n’hésite pas à faire le coup de poing même contre les flics, d’ailleurs il a fait de la taule. Sa femme l’a quitté avec leurs enfants mais il en pince encore pour elle et tente de l’amadouer en se rendant régulièrement au bureau de poste où elle travaille. Quand Joe engagera Gary, une sorte d’amitié virile va naitre entre eux deux, l’un pouvant être le père de l’autre. Un père plus responsable pour Gary, un enfant dont il s’occupera vraiment pour Joe, comme une rédemption.
Un roman extrêmement noir et dur. Le vieux Wade jouant le rôle de l’ordure irrécupérable, abruti d’alcools de toutes sortes, il commettra les ignominies les plus abjectes pour obtenir sa bibine. Gary, c’est l’innocence du gamin qui ne connait rien de la vie, si ce n’est la faim et les coups reçus mais qui tente néanmoins d’aider sa famille à survivre. Enfin Joe, la figure de celui qui a beaucoup roulé sa bosse, beaucoup laissé de lui en chemin mais toujours prêt à se battre pour survivre, le type qui dans ces romans, circule en pick-up sur des routes désertes en sirotant des bières tirées de la glacière posée sur la banquette, fumant comme un pompier, le coude à la portière et le flingue dans la boite à gants. Ce genre qui fait fantasmer les lecteurs amateurs d’une certaine Amérique, celle du pays profond qui n’est pas là sous ses plus beaux atours. J’adore.
Ne vous y trompez pas, Larry Brown ne nous refourgue pas une histoire rabâchée. Il signe un roman puissant, noir de chez noir, très bien écrit avec des personnages inoubliables et une fin ouverte. Avec ce petit plus, ancienneté du roman peut-être, on ne sent pas ici – ce que je ressens souvent hélas en lisant des romans américains – le côté formaté découlant des ateliers d’écriture… Encore un excellent livre à ne pas rater donc ? Hé oui !
« - Allez, monte là-dedans, lui dit Joe. Faut que j’aille au magasin prendre de l’essence. Le garçon grimpa du côté passager. Il ne disait rien. Il avait déjà compris à quel point ces bières fraîches étaient bonnes. Il voyait maintenant ce que le vieux cherchait pendant des nuits, des week-ends, des semaines entières parfois, après quoi il courait, et ce qu’il voulait ressentir. Plus rien n’avait d’importance, maintenant, il le sut dès sa première expérience. Il était avec le patron, qui allait s’occuper de lui, et il n’aurait sans doute même pas besoin de s’inquiéter à l’idée de devoir rentrer chez lui à pied. Il allait avoir le pick-up, d’une manière ou d’une autre, un jour ou l’autre, et à ce moment-là, il apprendrait à le conduire. »