Les professionnels de la santé ont adopté les nouvelles technologies mais les patients ne sont pas encore satisfaits des services existants. Ce fossé numérique est-il amené à se combler et comment ?
Entretien avec Rick Ratliff, Directeur du pôle santé connectée à Accenture US, qui revient sur le concept de fossé numérique ou "digital gap" dans le secteur de la santé.
L'Atelier : Comment se crée le fossé numérique ? Quels chiffres en attestent?
Rick Ratliff : D’un côté, il y a une volonté de la part des patients de communiquer davantage de manière électronique avec leurs médecins envoyant la balle dans le camp des professionnels de santé. Mais de l’autre côté, ces professionnels affirment que quand les patients ont accès à une communication électronique, plus de la moitié n’en est pas capable. C’est là que réside le fossé numérique.
Plus de 91%* des professionnels de la santé utilisent le dossier médical électronique (DME) dans différents établissements de santé et plus de 60% des médecins l’utilisent dans leur propre cabinet. Globalement les médecins adoptent la technologie et l’utilisent pour fournir des soins et collaborer avec d’autres professionnels mais ils ne l’utilisent pas pour communiquer avec les patients. Seulement 10% des docteurs sondés déclarent qu’ils partagent effectivement des informations ou communiquent avec les patients. En 2013, nous avions mené une étude sur l’engagement du patient et nous avons posé cette question : souhaitez-vous communiquer avec les médecins de manière électronique ? Plus de deux tiers des sondés ont répondu positivement et ont déclaré qu’ils souhaitaient au moins pouvoir prendre rendez-vous en ligne, renouveler leur ordonnance, ou envoyer des courriels sécurisés à leur médecin, etc. Et plus de 80% veulent avoir accès à leur DME.
Comment expliquez-vous cette volonté de la part du patient d’avoir accès à ses données ?
Aujourd’hui, le patient porte des objets connectés et autres "wearable devices" donc il a la possibilité de vérifier lui-même sa santé. Il s’attend désormais à pouvoir communiquer avec son médecin de la même manière qu’il communique avec ses appareils. Par ailleurs, dans la vie quotidienne, tout peut se faire en ligne sur son mobile : avoir la main sur les finance, payer des factures, acheter des produits, réserver des billets de train, recevoir une notification s’il y a un retard, etc. Pourquoi ne serait-ce pas possible de se connecter avec son médecin et d’accéder aux données médicales qui nous concernent ? D’après l’étude, 52% des patients sondés ont déclaré ne pas être satisfaits de leur expérience et être prêts à changer de médecin traitant pour avoir un meilleur accès à leurs données.
Ce fossé numérique sera-t-il un jour comblé ? Si oui, qui des patients ou des médecins fera le premier pas ?
Oui, ce fossé numérique pourra être comblé mais cela prend beaucoup de temps, comme cela a pris du temps pour d’autres aspects. Il y a 30 ans, le dossier médical électronique a été introduit pour remplacer le papier dans les bureaux, mais on ne savait pas vraiment tout ce qu’on allait pouvoir faire avec. Le DME a bien évolué depuis et on l’utilise de plus en plus pour favoriser la communication entre les différentes entités médicales, mais globalement, il a fallu du temps pour l’instaurer.
En outre, les "wearable devices" sont des outils qui vont contribuer à combler ce fossé. Ils constituent déjà un marché de 1 milliard de dollars pour atteindre, d’après les estimations quelques 20 milliards de dollars d’ici à 2018. Il est donc intéressant d’observer l’évolution de ces avancées technologiques.
Les médecins ont besoin d’outils qui vont les aider à être plus productifs et apporter un meilleur soin aux patients. Ces derniers sont désormais enclins à se gérer soi-même avec le "quantified self" qui se développe. Même les baby boomers, qui ne sont pas vraiment des "digital natives", utilisent les NTIC (ndlr : nouvelles technologies de l’information et de la communication). Les consommateurs sont désormais plus avancés que les professionnels et ce sera probablement eux qui vont avoir un impact sur le marché et le pousser.
* Étude sur la santé connectée menée par Accenture auprès de huit pays : Allemagne, Angleterre, Australie, Canada, Espagne, Etats-Unis, France et Singapour. 3 700 professionnels de santé ont été interrogés.