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Quand les hybrides de loups et de chiens couraient la campagne

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

par Jacques Baillon
Un article récent (en anglais) fait état de cas de métissage loups/chiens dans le Caucase et une très intéressante vidéo (sur Pluzz TV) parle des hybrides loups/coyotes en Amérique du nord.

Ces études récentes (il y en a eu d’autres en Slovénie, en Italie..) suggèrent que de semblables hybrides couraient sans doute aussi la campagne autrefois. D’où sans doute un certain nombre d’attaques de canidés, (de surcroit parfois enragés) plus ou moins bien identifiés sur des humains qui furent sans doute portées un peu trop systématiquement au débit du (vrai) loup sauvage !  
On trouve des récits de présence de métis loup/chien un peu partout dans les documents anciens. J’en ai relevé un peu partout dans ma région (Orléanais, Sologne, forêt d’Orléans) .
Voir par exemple « Le loup, autrefois, en Beauce » dont voici quelques extraits :

Hybride loup/chien au Canada
Hybride loup/chien au Canada

«  (…)  Dans d’autres cas, on parvient semble-t-il, à voir, l’animal, mais on ne reconnaît pas le loup, dont l’aspect devait pourtant être familier aux villageois, comme à Périgny, en 1743 : Inhumation de Madeleine Guillon, 5 ans, déchirée par un loup « que l'on dit être différent de ceux du pays ». Cette notion de « loup différent » ou de « loup étranger » revient régulièrement dans les registres paroissiaux. Certaines descriptions d’ailleurs font vraiment penser à des chiens ou à des hybrides de loups et de chiens : en 1653, à Moigny sur école, Jean Bareau est attaqué par une bête  « en forme de métis » qui avait « le poil blond et le col blanc ».

En 1730, vers Vendôme, apparaissent des bêtes « cruelles et extraordinaires  que l’on décrit ainsi : « ce n’étoit point loups cerviers [1]cependant elles paraissoient être de la race des loups. Il y en avait de poil rouge et de gris de souris, collerette blanche".

A la même époque, un curé signale « l’apparition d’animaux énormes », peut-être les mêmes, vers Montoire [2] : « Il y en avait au pelage rouge, gris, et même noir avec une collerette blanche. On signalait des victimes. A Villavard, Ambloy, Houssay, Lunay, on eut à déplorer la mort d'un grand nombre d'enfants. On n'en compte pas à Montoire. Cependant, on vit une de ces bêtes au Patis, mais on ne put l'atteindre. Une d'entre elle fit même son apparition de grand matin sur la place du marché et dans le faubourg St Laurent. A Valleron, une femme en mit une en fuite avec des brins de paille [3].  On en tua plusieurs à Thoré et près de Vendôme. On en vit encore en 1734. Un homme et une femme furent cruellement blessés. Alors on en abattit une dans la forêt de Ste Oustrille. Ce n'était point des loups cerviers et cependant elles en avaient la puanteur».

Charles Marcel Robillard, dans son ouvrage « Folklore de la Beauce » mentionne également ces hybrides de chiens et de loups : « Il arrivait que des animaux errants et dangereusement agressifs ne fussent pas exactement identifiés. Certains étaient des chiens perdus, retournés à l’état sauvage. D’autres « masles bestes » provenaient de l’accouplement d’un chien et d’une louve [4] ».

Au XIXème siècle, d’autres témoignages, venant de chasseurs cette fois, font toujours état de la présence d’hybrides dans la nature.. En 1868, un lecteur de la Chasse illustrée signale un cas en Brie :  «  J’ai connu un de ces hybrides dans une ferme de la Brie. Il vous caressait le jour, mais dans la nuit il étranglait les poules. Il léchait les hommes mais il mordait les enfants. Le fermier fut obligé de s’en débarrasser avec 30 grammes de strychnine [5] » .

Les agriculteurs, qui sont aux premières loges pour observer ces évènements, constatent également que des métis de loups et de chiens battent parfois la campagne. La « sous commission des loups » de la Société des Agriculteurs de France [6] signale l’existence, en 1880, dans le Morvan, d’un animal « que l’on croit être un métis de loup et de chien », et qui ravage les basses-cours. Les paysans du lieu qui l’appellent le « lapoupou » constatent « qu’il lape comme un chien ».

« Le chien est son ennemi né, écrit de son côté le naturaliste Anselme Desmarest en 1820, cependant on a des exemples assez, nombreux de rapprochement de ces deux espèces, desquels il est résulté des métis tenant plus du loup que du chien, et qui pouvaient produire en s'accouplant soit entre eux, soit avec des individus de l'espèce du chien [7]».
 Un autre cas de probable métissage est mentionné près de Chateauneuf en Thymerais en 1872 : « M. le Docteur Poulain, de Chateauneuf, ayant réuni quelques chasseurs dont je faisais partie, le mardi 25 courant, il a été tué neuf lièvres, un chevreuil, puis, pour bouquet un magnifique loup noir abattu par M. Poulain. Ce loup, âgé de sept à huit mois pesait 26 kilos. Un autre loup, également noir, mais beaucoup plus grand, a été également tiré 12 à 15 minutes après à environ 500 mètres du premier par deux chasseurs des nôtres, l’un à quinze, l’autre à vingt mètres de distance. Le loup tué était bien plus fortement constitué quoique plus ramassé que le loup ordinaire. Un des gardes de la forêt me dit avoir vu, quelques temps avant, quatre loups noirs traversant une ligne mais qu’il les avait pris pour des chiens [8] ».
Avec le développement des techniques d’analyse ADN, des études contemporaines très récentes (2012), au Canada, en Slovénie, auraient permis d’établir que la couleur noire, chez le loup, était le signe d’une ancienne hybridation « loup/chien ». On peut légitimement se demander si autrefois les loups « noirs » signalés ici et là dans la littérature par un certain nombre d’auteurs anciens n’étaient pas également issus de tels métissages ? Et ceci jusqu’au XIXème siècle puisqu’on en tue deux dans l’Orne, en 1867 et en 1876, le premier dans la forêt de St Evroult et le second, qui pesait 40 kilogs, près de Nécy, par un nommé Pichon, d’Argentan [9].

A signaler encore un loup mentionné par le forestier Paul Domet [10] « d’une belle couleur nankin [11] » piégé en forêt de Fontainebleau pendant le règne de Louis Philippe. D’après Joseph Lavallée, auteur de  « La chasse à courre en France » (1856) ce loup avait été tué par M. Greffulhe, un veneur local, et offert au Muséum National d’Histoire Naturelle.

Enfin, à noter cette lettre, envoyée à la rédaction du Journal de l’Orléanais par un lecteur des environs de Marchénoir, qui témoigne de manière détaillée de l’attaque sur plusieurs personnes d’un animal qui ne ressemble pas aux loups habituellement rencontrés par ce témoin et qui, de plus, semble être atteint de la rage :

« Le récit que je vais vous faire, Monsieur et bon ami, ne vous fera pas, je crois, indifférent. Mardi 16 de ce mois, sur les 5 heures du soir, une louve sortant des bois d’Ecoman s'est jetée sur deux jeunes vachers, en a saisi un et l’a étranglé malgré les efforts de son camarade qui n'avait qu' un petit bâton pour l'attaquer, et les cris de la mère qui était accourue avec une de ses voisines.

Des fagoteurs vinrent au bruit, mais n'ayant aucune sorte d'armes, ils réussirent seulement à écarter la louve, qui dirigea sa fuite vers la paroisse d'Ecoman où elle rencontra une femme montée sur un âne, donna plusieurs coups de dents à l'âne, terrassa la femme, l'éventra, la déchira dans plusieurs parties, arracha ses poches où il y avait du pain et les enterra.

De là la Bête le porta vers Viévi ou elle rencontra deux femmes qui chassaient aux alouettes, à la brune, avec un long filet ; elle se contenta de leur faire quelques morsures puis vint dans le bourg où elle surprit le boulanger qui sortait d' une maison voisine, se jeta sur lui, lui arracha un oeil, la moitié de la mâchoire inférieure, et lui déchira en partie les épaules et les cuisses. Enfin elle lâcha prise aux cris et à l'arrivée de quelques personnes qui osaient à peine approcher, la croyant enragée.

Le lendemain au matin, sur les six heures, elle sortit du bois de notre ferme du Rambert, se jeta lui un marneur qui arrivait monté sur son âne, écarta l'âne a coups de dents, et mordit à différentes parties ce marneur qui, quoique jeune et robuste, fut pris de frayeur au point de ne pouvoir se défendre. Son compagnon qui était dans la marnière, en sortit aux gémissements, l’animal le prévint, alla à sa rencontre, le terrassa lui arracha son bonnet avec une partie de l'occiput.

Ce jeune homme, âgé de 17 ans, se sentant déchiré, ne perdit pas la tête, s' arma de courage, recommanda son âme à Dieu, et se leva incontinent sur les genoux, saisit d'une main la louve par une patte de derrière, et  de l'autre, par la mâchoire inférieure, la terrassa à son tour, la pressa avec ses genoux, puis s empara d'un bâton et la chargea vigoureusement.

Les gens de la ferme voisine arrivèrent alors achevèrent la destruction de l’animal qu'on transporta à la ferme. Deux chirurgiens qu'on avait envoyé chercher, s' empressèrent de l'ouvrir ; ils trouvèrent dans l’estomac une oreille, un oeil et une partie de mâchoire, avec deux dents des malheureuses victimes de sa voracité : On conjecture de là, sans cependant trop d' assurance, que la louve n'était point enragée. On a administré, au préalable, les remèdes indiques pour la rage. Le jeune vainqueur, âgé de 17 ans, et orphelin, a été voituré à l' ôtel-Dieu de Châteaudun, avec recommandation auprès du Subdélégué.

Je désirerais, mon cher ami, que vous fissiez inférer dans le Journal de l’Orléanais le récit de cet événement si propre à intéresser toutes les personnes qui ont des sentiments d' humanité. Puissent le courage et l'adresse de ce jeune Hercule lui mériter une récompense bien due, pour avoir purgé le canton d'un animal aussi terrible, aussi destructeur !

On a remarqué que cette louve avait la tête fort grosse et le museau plus épais et épaté que les animaux de son espèce ne l'ont ordinairement [12]».

En 1768, un expert es loups, Delisle de Moncel [13], pense quant à lui que ces « loups étrangers au pays » viennent du nord de l’Europe : 

« Ils se font multipliés dans nos régions septentrionales. Il est aisé de concevoir qu'une partie de ces loups se feront fortuitement séparés de leurs troupes, et auront gagné de proche en proche nos frontières. Dans les dernières guerres d'Allemagne, ils ont détruit une grande partie de bestiaux , du gibier , et dévoré des chevaux et des hommes, surtout dans les campements de l'arrière saison, et à la suite des grandes batailles. Ces animaux , poussés de bois en bois, seront parvenus aux confins de la Lorraine , du Verdunois, du Clermontois, et se seront arrêtés comme pour dernier asile, dans les bois qui bornent les plaines immenses de la Champagne ». Un autre chasseur de loups célèbre (il partit même chasser même la Bête du Gévaudan) M. d'Enneval, d'Argentan, qualifié de « plus grand et le plus habile chasseur de loups du Royaume » par Le Verrier de La Conterie[14], un auteur cynégétique originaire lui aussi de la région, aurait également constaté l’apparition « d'une race de loups noirs » en Normandie et l’aurait détruite.

A  défaut d’explications certaines sur l’identité des responsables de ces morts violentes, les curés font parfois preuve d’imagination. Certains ne sont pas loin de penser que ces « bêtes féroces » sont des « fléaux de Dieu envoyés pour punir les hommes de leurs pêchés ». Celui de Bailleau sous Gallardon  est plutôt pessimiste : il craint même que tous les fléaux de Dieu joints ensemble ne finissent par anéantir le genre humain ! Une sorte de fin du monde avant l’heure..  D’autres restent dans le domaine de la zoologie et nous parlent de léopards, de panthères, d’onces, et pour les plus imaginatifs, de sorciers : le 25 juillet 1634, aux Chateliers, on inhume Jean Malassis, « ledit enfant ayant esté emporté et dévoré par une beste en espèce de loup; toutefois, croiance de ceux qui  l'ont veue est que c'est ung sorcier ou sorcière » estime le curé.


En 1801, c’est le très officiel Journal de la Préfecture qui décrit une affaire de bête féroce survenue à St Denis les Ponts. Un animal féroce « qui ressemble à un loup » mais qui va finalement s’avérer n’être qu’un chien, ou un animal issu d’une hybridation loup/chien, sème la panique dans une ferme. Récit officiel par le rédacteur de service...


« Le 30 fructidor, an 9, un animal féroce ressemblant à un loup paru dans la commune de Pont, arrondissement communal de Chateaudun, répandit l’épouvante parmi ses habitants et attaqua tout ce qui s’offrit à sa vue. Il s’introduisit dans la ferme dite «  du Bazard [15]» et allait dévorer un enfant qui s’y trouvait lorsqu’une servante courageuse parvint à le sauver.

Aux cris de cette servante, plusieurs domestiques s’étant armés, volèrent à la rencontre de l’animal et lui tirèrent plusieurs coups de fusil dont il ne parut aucunement blessé. Des chiens, lâchés contre lui, furent ou mutilés ou étranglés. La nuit qui survint put seule le soustraire à la poursuite des habitants de la ferme. Le lendemain, à cinq heures du matin, il reparut dans le même endroit. Une femme qui venait de puiser de l’eau fut attaquée par lui et ne trouva son salut que dans une fuite précipitée. Une vache, qui paissait dans un champ voisin fut terrassée par l’animal et allait être mise en pièces lorsque le citoyen Foisy, garde forestier, qui le poursuivait depuis la veille, l’atteignit et parvint à lui faire lâcher prise en lui tirant deux coups de fusil. L’animal blessé n’en devint que plus furieux, il se jeta sur le citoyen Lelard père, gardien de bestiaux .

Aux cris de ce malheureux, son fils, jeune homme de quinze ans, accourut armé d’un fusil et se précipité sur l’animal qui tomba, percé de trois balles dans le poitrail mais se releva aussitôt. L’enfant ne put opposer qu’une faible résistance : renversé, désarmé, déchiré au bras, il ne lui restait aucun espoir d’échapper à une mort inévitable lorsque son père, se saisissant du fusil s’en servit comme d’une massue et frappa la bête à coups redoublés. Le bois de l’arme ne peut résister et vola en éclats. Mais le canon qui restait entier a suffit au citoyen Lelard pour achever la défaite de son terrible ennemi. L’animal détruit paraît d’une espèce étrangère au pays : il a des caractères de ressemblance avec le loup, mais il participe en même temps du chien dogue. Sa tête surtout est monstrueuse et ses mâchoires sont armées de la manière la plus redoutable [16] ».


[1] Loups cerviers : loups mangeurs de cerfs


[2] Abbé Brisset, Histoire de Montoire. Montoire. 1935.


[3] André Prudhomme, qui reprend cette anecdote dans son livre « Autrefois les loups en Loir et Cher » suppose que ces brins de paille étaient enflammés. Ce qui fut sans doute le cas : les loups ont peur du feu., un trait de comportement souvent décrit. 


[4] Charles Marcel Robillard, Le Folklore de la Beauce, Maisonneuve et Larose, Paris, 1972


[5] Constant Laurent, la Chasse illustrée 20 juin 1868 


[6] Société des Agriculteurs de France. Ravages des loups pendant l’hiver 1879-1880. Paris, 1880.

[7] Anselme Gaétan Desmarest, La Mammalogie ou description des espèces de mammifères. Paris. 1820.


[8] 28 novembre 1872, lettre à la Chasse illustrée d’un lecteur de Plaincuet (Eure et Loir).


[9] Abbé AL. Letacq. Nouvelles observations sur la faune des vertébrés du département de l’Orne. Bulletin de la société Linnéenne de Normandie. 1876.


[10] Paul Domet. Histoire de la forêt de Fontainebleau. Hachette Paris. 1873


[11] Nankin : couleur jaune chamois.


[12] Lettre au Journal de l’Orléanais, de M. Toubeau,  du Petit Citeaux, près de Marchénoir, 24 novembre 1784.


[13] Delisle du Montel méthode et projets pour parvenir à la destruction des loups dans le royaume. Paris. 1768.


[14] Le Verrier de La Conterie. L'École de la chasse aux chiens courants. 1763


[15] Ferme du Bussard.


[16] Journal officiel de la Préfecture d’Eure et Loir, an 10. Chez Durand et Labalte, imprimeurs de la préfecture. Chartres. Texte communiqué par M. Didier Caffot, Bibliothécaire archiviste de la Société Dunoise.


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