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L’interview: Georgia Russel.

Publié le 02 mai 2014 par Jsbg @JSBGblog

L’interview: Georgia Russel. L’artiste signe une collaboration avec les champagnes Ruinart.

Armée de son scalpel de chirurgien, Georgia Russell excelle dans l’art de la découpe. Devenue, au propre comme au figuré, une fine lame de l’Art, elle a choisi comme terrain d’expression les livres. Elle chine de vieilles éditions qu’elle transforme en de foisonnantes oeuvres d’art grâce à sa technique du découpage. Une fois passés entre ses mains, ces vieux volumes retrouvent une nouvelle jeunesse, prenant des allures à mi-chemin entre le masque africain et le monstre de bibliothèque. La cote de la jeune artiste écossaise ne cesse de grimper, au point que la maison champenoise Ruinart, connue pour son implication dans le monde de l’Art, s’est intéressée à elle pour une double collaboration.

D’une part, la maison Ruinart a confié à Georgia Russell une copie de son premier livre de comptes. Ce Grand Livre datant de 1729, la date même de la création de l’entreprise, témoigne du soin méticuleux que Nicolas Ruinart, le fondateur, apportait déjà à la gestion de ses affaires. Acquisition de parcelles, livraisons, comptabilité et gestion des stocks: il retrace ainsi fidèlement les débuts de la maison Ruinart. C’est sur cette base que Georgia Russel a conçu une oeuvre qui sera présentée lors de plusieurs foires internationales, avec en point d’orgue Art Basel du 18 au 22 juin.

D’autre part, la réalisation d’un coffret spécial pour abriter la bouteille de Blanc de Blancs de Ruinart a également été confiée à Georgia. Pour ce faire, elle s’est inspirée des crayères de la plus ancienne des maisons de Champagne, un spectaculaire enchevêtrement de galeries atteignant parfois 38 mètres de hauteur et s’étendant sur plus de 8 kilomètres. La couleur blanche du coffret s’imposait d’elle-même, tel le blanc des murs de craie de ces caves. La bouteille reçoit quant à elle une robe métallique ajourée, évoquant à la fois le travail de découpe signature de l’artiste mais aussi les dessins laissés sur les murs des crayères par les outils qui ont servi à les creuser.

À l’occasion de la présentation de ce coffret Ruinart Blanc de Blancs Collection Georgia Russell, l’artiste a consenti à nous recevoir dans son atelier. Rendez-vous à Meru, une petite commune française à une heure de route de Paris. C’est là, dans une immense pièce éclairée par de géantes baies vitrées à travers lesquelles on découvre des arbres en fleur, que Georgia nous a accordé cet entretien, ponctuant ses réponses de son rire charmant.

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JSBG – Pourriez-nous nous raconter votre parcours depuis le Royal College of Art jusqu’à votre atelier de Meri, et les étapes entre deux? Georgia Russel – Après le Royal College of Art, je suis arrivée à Paris. Là, à côté de la Seine, j’ai trouvé les fameux bouquinistes et leurs livres. C’est là où l’idée de mon travail est née, en 1998: les découper! J’ai commencé à acheter des vieux livres parce que je trouvais que l’idée que de pouvoir les obtenir après qu’ils aient été partagés par plusieurs personnes très belle, comparée au fait de simplement acheter des livres neufs en librairie. Il s’agissait aussi pour moi d’apprendre le français, que je ne parlais pas du tout. Je fréquentais alors les cafés, je dessinais les gens dans les bars. J’ai d’abord commencé par en faire des collages, mais je me suis rendu compte que ce n’était pas ce qui était intéressant. Ce qui m’a tout de suite plu, c’est l’action de découper des livres. Un acte un peu brutal, triste. L’on perd quelque chose pour trouver ensuite un autre état. Un attrait nouveau pour l’objet, presque en augmentant sa beauté en le détruisant, en le scarifiant. Pour moi, il s’agit de garder, de conserver ce livre. On peut ensuite le voir, l’observer tous les jours sous sa forme de sculpture, il n’est plus dans un placard. 

Il s’agit donc de le figer pour l’éternité, comme s’il était dans le formol pour faire la comparaison avec un être vivant? Oui, je crois que c’est ça. On peut le regarder à chaque fois que l’on veut, tout le temps. 

L’interview: Georgia Russel. L’artiste signe une collaboration avec les champagnes Ruinart.

Mais on ne peut plus le lire… Non, on ne peut plus le lire. Du coup, il en devient une sorte de vaisseau de sagesse, à laquelle l’on ne peut plus accéder mais qui est là encore, comme un trophée de ce qu’il a été dans le passé. Bien entendu, je sais que son contenu a été préservé, qu’il est archivé quelque part, normalement. Parfois, le sujet en est intéressant, mais souvent non. Il s’agit juste du fait que ce soit un livre, un porteur de sagesse depuis parfois 6 générations. 

Comment choisissez-vous les livres qui serviront de base à vos oeuvres? La qualité du papier, parfois le sujet. Il faut qu’il soit bien large, beaucoup de pages, pour obtenir ensuite une belle sculpture qui déborde!

Est-ce que vous vous imposez vraiment cette discipline de n’utiliser qu’un seul livre par oeuvre ou rajoutez-vous parfois du papier provenant d’autres ouvrages? Il m’est déjà arrivé de faire des oeuvres issues de trois livres mis ensemble pour former un tout. Par contre, je n’ajoute pas des pages autres simplement pour obtenir la forme désirée. Tout doit venir de ce livre, c’est ça qui est important. 

L’interview: Georgia Russel. L’artiste signe une collaboration avec les champagnes Ruinart.

Vous intéressez-vous à d’autres matériaux que le papier des livres? Je commence! Des petits essais avec du métal  par exemple. 

Pour en revenir à vos débuts, qu’est-ce qui vous a fait déménager de Londres à Paris? Je voulais apprendre le français, puis ensuite le prix des loyers, moins chers qu’à Londres (rires)! Quand j’ai commencé à comprendre le français, j’ai trouvé dommage de devoir rentrer et de ne plus le pratiquer. J’étais jeune, je voulais vivre ailleurs, mais aussi parce que je savais que ma matière première était là, à côté de moi. 

Vous n’avez jamais imaginé de faire vous vos propres supports? Par exemple des photos que vous pourriez ensuite découper? Je suis de nature impatiente. De plus, je trouve aussi que les photos prises par d’autres sont plus parlantes, comme pour les livres. J’ai essayé quelques fois de faire moi-même les photos, et ça n’avait pas vraiment la même énergie que les vieilles photos que trouve et qui ont déjà la qualité que je recherche. Des photos issues du souvenir d’autres sont plus intéressantes pour moi. Récemment j’ai fait un travail photographique sur les fenêtres de cet atelier. Mais je l’ai fait avec mon assistant photographe, je ne suis pas assez bonne techniquement, et c’est frustrant de vouloir quelque chose pour pouvoir le travailler ensuite et de ne pas y arriver. Je peux ensuite me consacrer sur le travail de découpe. 

L’interview: Georgia Russel. L’artiste signe une collaboration avec les champagnes Ruinart.

Vous pratiquez l’art du découpage depuis 1998. Vous faites aussi d’autres choses? Je peins un peu, mais rien de bien intéressant encore. Je pense que c’est ce que j’aimerais développer, par exemple en découpant ensuite mes propres peintures. Auparavant, je devais travailler à côté de mon travail d’artiste pour payer mon loyer, ça ne fait que trois ans que j’ai pu arrêter pour me consacrer uniquement à mon oeuvre. J’ai maintenant enfin le temps de commencer à faire des choses plus expérimentales en sachant que je peux payer mon loyer. 

En ce qui concerne votre travail pour Ruinart, êtes-vous partie de quelque chose d’existant que vous avez destructuré ou êtes-vous partie d’une page blanche? Lorsque la maison Ruinart m’a demandé de faire ce coffret, il y avait bien entendu des contraintes par rapport aux dimensions. Mais pour mon projet, la taille du coffret a été changée, et même son système de fermeture. C’est une chose remarquable venant de la part d’un grand groupe. Je leur ai même suggéré de faire une boîte toute blanche, sans marque. C’était un challenge, mais les gens de chez Ruinart sont parvenus à réduire au maximum l’inscription du nom de leur champagne ainsi que ma signature pour que ce coffret soit au maximum blanc, tel que je le souhaitais.

 

L’interview: Georgia Russel. L’artiste signe une collaboration avec les champagnes Ruinart.

Un pertinent questionnaire selon JSBG:

  • Quel est ton plus grand vice? Les « Digestive Biscuits », une marque anglaise de biscuits dont je raffole.
  • Qu’est ce qui te fait peur? La mort!
  • Vivre au 21ème siècle, plus facile ou plus difficile qu’avant? Personne ne sait si c’était facile avant ou pas, au niveau du vécu. On ne peut donc par comparer.
  • Plutôt Facebook ou Twitter? Facebook. Je suis old school…
  • Qu’est ce que tes parents t’ont légué de plus précieux? De ne pas se prendre au sérieux.
  • Quelle serait la bande son de ta vie?  En ce moment j’écoute le groupge Future Islands, parce que cela m’apaise pour travailler.
  • Où te vois-tu dans 10 ans? Bouger d’ici. Mais je ne sais pas non plus pour aller où.

Merci Georgia!

- Jorge S. B. Guerreiro

L’interview: Georgia Russel. L’artiste signe une collaboration avec les champagnes Ruinart.

Le coffret Ruinart Blanc de Blancs Collection Georgia Russell sera disponible dès juin 2014, en Suisse chez Globus.

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