Une autre idée du bonheur

 Refais-je une plaidoirie littéraire en faveur de Marc Lévy ou passé-je directement à mon avis sur le roman? TIC TAC TIC TAC TIC TAC TIC TAC TIC TAC TIC TAC TIC TAC TIC TAC TIC TAC

Quoi qu'il arrive je vais être amenée à en parler, en reparler, à radoter encore et encore, autant poser les choses d'entrée de jeu plutôt que de faire une digression comme à mon habitude.
Le défaut littéraire de Marc Lévy est d'avoir du succès. Comme il est un auteur populaire, il fait de la littérature pour la masse inculte. Parce que tout le monde le sait: la populace est ignare, l'élite est savante. L'élite ne lit pas Marc Lévy, elle lit ce que les autres ne peuvent pas comprendre. Ou du moins elle fait semblant de comprendre ce qu'elle lit et pour briller en société parle des Œuvres Littéraires de façon tout à fait neutre, convenue.  Méfions-nous des discours pompeux et estampillés "savants" qui ne sont très souvent que poudre aux yeux.
Si je voulais jouer les intellos honorables, je dirais: Marc Lévy, mais qui est-ce? Je ne connais pas. Je ne lis que La Grande Littérature. En revanche j'ai tout lu de Michel Onfray. Je trouve la prose philosophique. C'est une analyse profonde et approfondie de la vie humaine. Il montre l'évolution de l'être humain. Evolution ou régression? c'est semble-t-il la problématique existentielle et intersidérale que pose l'œuvre majestueuse d'un artiste complet, intègre sans être intégriste. Toutes les remarques sont construites sur un empirisme sans failles. L'étude psyco-sociologico-historico-culturelle a atteint les sommets d'une pensée philosophique illimitée: il y a un avant Onfray et un après... De la sagesse à l'ignorance. C'est tout ce que j'ai à dire. On en met plein la vue, plein les oreilles pour bien montrer qu'on réfléchit, qu'on sait analyser...
La vérité? J'ai tous les romans de Marc Lévy et je n'ai lu aucun Onfray. (Je n'ai rien contre lui mais c'est juste le philosophe qui m'est venu à l'esprit en premier.)
Je suis de prof de Français. J'aime Marc Lévy. Or ceux qui aiment Marc Lévy sont des débiles incultes ignorant ce qu'est La Littérature. Donc je suis une prof de littérature qui n'entend rien à la littérature.

J'assume mon adoration pour cet auteur tout à fait honorable qui a écrit des textes sublimes. J'ai des pages entières de citations de Marc Lévy parce que je trouve certaines d'une beauté sans nom. On donnerait à lire de façon anonyme ses romans, on crierait au génie. Et moi je hurle au snobisme! Aujourd'hui, la critique lui a quelque peu lâché la grappe et a modéré un peu le propos. Mais restent les irréductibles snobinards...
Marc Lévy, c'est ceci: "Dans mon éternité, tu resteras ma raison d'avoir été"
C'est aussi ceci:
 ou cela

  ou bien cela
 ou encore...

Revenons au dernier roman de l'homme qui tient une place dominante dans ma Bibliothèque.
Une autre idée du bonheur.
Quel bonheur justement de retrouver Mon Romancier après les deux derniers romans-déceptions: Si c'était à refaire et Un sentiment plus fort que la peur où je n'avais pas retrouvé ce qui m'avait fait succomber. Après ce coup de mou, Marc Lévy me revient comme au début de notre idylle littéraire à sens unique.Les deux premiers chapitres m'ont fait très peur. Après m'avoir déçue, Marc m'ennuie. J'ai senti les prémices de la fin de notre longue histoire d'amour. Mais dès la fin du deuxième chapitre,  Mon Auteur Chéri a su rallumer la flamme. Comment dire... J'ai mis une soirée, une matinée et un tout début d'après-midi pour dévorer ce roman.

Dès ce troisième chapitre, ce roman "presque choral" prend son élan et ce sont des pérégrinations et des actions qui s'enchaînent sans vacuité. Le tout ponctué de sentiments sincères et justement décrits, d'analyses de vies humaines fouillées. Il y a toujours cette empathie que l'on peut ressentir pour ces personnages. Même les plus éloignés de notre personnalité nous parlent malgré tout. On les comprend, on les prend en pitié, ils nous font rire. Ce n'est pas monotone. Marco joue sur tous les tableaux et il le fait sublimement bien.L'histoire est celle de destins croisés, de rencontres plus ou moins fortuites entre des personnages que tout semble opposer et qui pourtant se ressemblent et se rassemblent envers et contre tous.
Même si Agatha/Hanna est une ancienne détenue qui a réussi à s'échapper de sa prison, elle n'est pas foncièrement mauvaise. Même si Milly est naïve et peu ambitieuse, elle s'avère courageuse, volontaire et sarcastique.  On ne partage pas sa vie avec quelqu'un parce qu'il est gentil, mais parce qu'il vous fait vibrer, rire, parce qu'il vous emporte sans vous retenir, parce qu'il vous manque même quand il est dans la pièce à côté, parce que ses silences vous parlent autant que ses conversations, parce qu'il aime vos défauts autant que vos qualités, parce que lorsque le soir en s'endormant on a peur de la mort, la seule chose qui vous apaise est d'imaginer son regard, la chaleur de ses mains. Les personnages sont vraiment campés de façon assez contradictoire: ils ont leurs faiblesses, leurs forces, leurs paradoxes et une complexité singulière qui demeure pourtant universelle. Les deux personnages féminins centraux forment un duo détonnant et magique. A plusieurs reprises, je me suis dit: "on dirait Thelma et Louise" jusqu'à ce que je lise la phrase suivante: "nous ne sommes pas Thelma et Louise !"
Ce roman est vraiment truffé de références plus ou moins implicites qui font la richesse de la prose de Sexy Marco Marc Lévy.
Outre l'entremêlement de ces vies diamétralement opposées, on a affaire d'une part à une course-poursuite : un Marshall et les forces de l'ordre à la recherche de la quinquagénaire en cavale. Et, d'autre part, on a la pérégrination de Milly et Agatha -la seconde ayant pris en otage la première qui s'est laissé faire.
Agatha va entamer une sorte de chemin de croix au cours duquel elle va faire des haltes pour retrouver ses anciens amis à cause desquels elle a été incarcérée pendant 30 ans. Elle est surtout en quête d'un carnet qui recèle la preuve que dans cette histoire, elle n'est pas La Coupable. 
 Suite aux manifestations plus ou moins violentes des étudiants dans les années 60/70, luttant contre la guerre au Vietnam, contre la ségrégation, le racisme etc, leurs actes pacifiques initiaux ont dégénéré. Intègre et jusqu'au-boutiste, Agatha s'est rendue sans compromis, sans céder au chantage facile d'une justice arbitraire. La suite du roman prouvera que tout n'a pas été si simple. Mais parmi ses amis, elle a été la seule. Ils avaient le choix: la soutenir en se dénonçant également et croupir en prison ou bien se contenter d'un sacrifice et continuer une vie tranquille en rasant les murs. Etre abandonnée par les siens, je crois qu'il n'y a rien de pire. Le personnage d'Agatha m'a fait penser à Angie -personnage hippie- dans Desperate Housewives: la voisine au caractère bien trempé, recherchée par les forces de l'ordre, une idéaliste qui a suivi par amour un Révolté++ mais leur combat a mal tourné...
 Cette évasion-escapade est un moyen pour Agatha de profiter intensément de la vie. Elle sait que cette liberté n'est qu'une récréation, alors perdu pour perdu autant en profiter, et vivre ce qu'il y a à vivre. "Quitte à tout perdre, autant gagner du temps. Quitte à se perdre autant prendre les devants...Puisque tout est perdu. Puisque tout est perdu d'avance" (Elodie Frégé)
Trente années pendant lesquelles mon quotidien était réglé par des ordres. [...] Dix mille neuf cent cinquante-trois journées de vie volées. Je ne sais pas combien de temps je resterai libre, mais je peux t'assurer que jusqu'à ce que l'on me reprenne, je vais réaliser toutes les choses que je n'ai pas encore faites, aussi bêtes et futiles soient-elles.
Agatha est une idéaliste, une optimiste, une militante, une mère-courage qui tente tant bien que mal à insuffler la passion, l'engagement tant sur le plan social que sur le plan personnel à la jeune Milly :
[...] Ne te satisfais pas d'une petite vie tranquille. Lutte pour un idéal, et quand bien même tu mènerais des combats de Don Quichotte, cela en vaudrait toujours la peine.  Millie est diamétralement opposée à Agatha. Du moins au début. En apparence, en tout  cas. Elle a 31ans, est en couple avec Franck. Ce n'est pas la grande passion. Ce couple s'ennuie mais on sent bien qu'ils restent ensemble par paresse. Ils sont englués dans une routine qui leur convient. Ne pas faire de vagues est leur mot d'ordre.

A côté de cela, il y a Jonathan Malone, le meilleur ami de Milly un peu rock and roll avec qui elle entretient une relation plus qu'intime sans aucun dérapage sexuel. On sent bien également que la vie avec lui serait non conventionnelle mais tellement plus décoiffante: le fantasme de cette vie avec Jo est non affirmé par le personnage féminin... Mais le lecteur a compris...

Ce roman traite majoritairement de l'existence et de ce que l'homme doit en faire, comment et avec quoi il la remplit. C'est un roman sur la liberté. C'est une ode à la vie, au bonheur présent saisi avec force, aux rencontres que l'on fait hasardeusement ou non.
Dans la vie, il y a ceux qui rasent les murs, qui vivent modestement et ennuyeusement. Il y a ceux qui vont vivre dangereusement, mais profiter coûte que coûte de ce que la vie leur offre. Tant pis si c'est éphémère.
J'ai accepté la vie pour ce qu'elle m'offrait au lieu de la détester pour ce qu'elle n'avait pas voulu me donner.  Mon très cher Marc pose la question-phare que tout un chacun peut se poser: dois-je vivre longtemps ou intensément? Platitude ou danger? Qu'est-ce qu'on risque après tout puisqu'on doit mourir à un moment donné? On ne fait que gagner du temps en se préservant du danger... Le regard posé sur l'existence est formidable. Si le lecteur est déçu, cassé, ce roman peut lui donner espoir; si le lecteur est d'un naturel optimisme, ce roman le confortera dans cette nécessité de saisir les instants de bonheur quand ils se pointent, mesurer sa chance d'être heureux et se galvaniser des rencontres humaines.
C'est un roman assez politique avec une critique virulente de la justice et la lâcheté humaine qui nous pousse parfois à nous compromettre au lieu de militer, nous révolter courageusement et brandir notre intégrité comme valeur ultime.
Le procureur en charge de l'affaire avait fait savoir qu'il offrait un marché à ceux qui se rendraient. C'est ainsi que notre justice fonctionne, un petit accord vaut mieux qu'un grand procès.Le gouvernement de Nixon commettait des massacres de masse, des femmes et des enfants mouraient par millions pour engraisser les magnats de nos industries militaires. [...] Les crimes commis sont trop graves pour qu'on ne veuille pas changer le monde.
Il y a une vraie réflexion sur notre société contemporaine qui en l'espace de trente ans a évolué en matière de technologies si bien qu'Agatha se sent perdue dès le début de son immersion dans ce monde qui lui est dorénavant étranger. Le progrès nous sert mais nous enserre. Beaucoup et invisiblement.
Nos identités, nos parcours, nos opinions, nos goûts et nos choix, ce que l'on achète ou regarde à la télévision, une place de cinéma, les articles et les livres que nous lisons, nos vies entières dans leurs moindres détails sont fichées, répertoriées. [...] Les méthodes évoluent, mais les justifications sont toujours les mêmes. On agite la peur de l'autre, du désordre, de l'ennemi invisible. [...] Hier, les mouvements d'opposition que nous formions, quand ce n'était pas le communisme ou la bombe atomique, aujourd'hui le blanchiment d'argent des narcotrafiquants, les extrémistes, la violence omniprésente, et comme les menaces sont réelles on apaise les consciences en faisant valoir que celui qui n'a rien à se reprocher n'a rien à cacher.
Bien sûr que l'homme a évolué, il a tenu compte des erreurs passées mais ce n'est pas encore suffisant. Marc Lévy lance ici un appel à la révolte, au combat pour un monde plus juste, plus humain. Ce n'est plus seulement un romancier qui s'affiche ici mais un Humaniste. Marc Lévy lance un appel à la résistance face à un système corrompu et immoral, et surtout invite à la tolérance.
Si tu croises la route de quelqu'un qui souffre, ne passe pas ton chemin, si tu rencontres quelqu'un qui a faim dans la rue, c'est à toi qu'il incombe de mettre un terme à cette abomination, si tu vois un homme se faire malmener parce que sa peau est d'une autre couleur que la tienne, deviens caméléon, quant à ceux qui te diront qu'il n'existe de Dieu que le leur, rappelle-leur que c'est Lui qui a créé le monde ne couleurs et l'a paré de tant de diversité. Sois gardienne de ta dignité autant que celle des autres. La justice et le mal se propagent dès que les gens de bien renoncent. La vraie laideur consiste à faire semblant, et à tolérer l'ignoble. Rosa, Pascal Obispo. "Il n'y a pas de petit combat. Il n'y a que de grandes causes humaines à défendre...Révoltons-nous, ne fermons pas les yeux sur le monde pourri qui nous entoure. Luttons pour un  monde meilleur"... Tel était mon slogan au lycée...Ca y est l'adolescente révoltée qui sommeillait vient de resurgir.

Tien an men de Calogero qui illustre à merveille le roman de Marc Levy.
Marc Lévy a fait de moi une lectrice comblée mais toujours désireuse de plus. Plus de romans. Plus vite cher Marc. Plus, encore plus, toujours plus.
J'aime Marc Lévy. Je n'ai pas à m'en défendre ni à m'en expliquer.
Comme dit Odette Toulemonde à son auteur préféré: "Je vous aime mais je ne suis pas amoureuse de vous..." et l'auteur en question lui répond: "c'est bien plus important."
A méditer...
Il n'empêche que...
...

Je fais des infidélités à Philippe Delerm. Je suis une lectrice polygame -et nécrophile vu le nombres de morts alignés dans ma bibliothèque-  et alors? (j'ai encore dérapé...)
Bref, si mes demandes en mariage à la chaîne sur ce blog sont aussi virtuelles que celui-ci, mon amour pour mes auteurs est quant à lui bien réel.

 

citation de Marc Levy dans ce roman.

Monsieur Levy, je vous adore!