Le silence de Saturne par Isabelle Mimouni

Broyer du noir et du silence : tel est le propos de ce livre, Le Silence de Saturne.
Et pour ce faire, j’ai voulu que se croisent deux terribles mythes : l’un issu de la culture judéo-chrétienne met en scène un Dieu de colère chassant ses enfants du paradis terrestre, l’autre hérité de la tradition gréco-romaine raconte l’histoire de Saturne dévorant ses enfants. Voilà donc ce qui me révolte : de quel droit un dieu laisserait-il deviner à ses créatures l’existence du paradis, pour ensuite leur en interdire l’accès ? Par quelle fatalité les enfants devraient-ils accepter leur sort sans broncher ?

Du mythe grec, le peintre espagnol, Goya, a tiré une œuvre fascinante qui laisse sans voix celui qui la regarde. Le spectateur tétanisé se retrouve paralysé par l’horreur. C’est cette stupeur que je voulais rendre : j’allais donc me retrouver avec un personnage muet !
Mais, son silence ne pouvait être seulement celui de l’effarement horrifié.

Lorsque j’écris, c’est un défi que je me lance : j’ai voulu que le silence devienne une forme de résistance à la violence. Il fallait alors opposer le bruit insignifiant que font certains personnages bien ancrés dans notre contemporain, leurs paroles creuses, leurs conversations vaines et le silence étrange d’un héros médusé. Mais aussi, il fallait laisser entendre comment faire silence, c’est éliminer, condamner à mort ce dont on ne dit pas le nom. J’ai supprimé un mot du texte. Le lecteur curieux pourra traquer ce disparu après avoir résolu l’intrigue principale.

En effet, j’aime le policier parce qu’il réserve une part active au lecteur dont la curiosité est aiguisée et qui accepte de mener une enquête durant laquelle il joue autant au chat qu’à la souris. Ici, c’est un jeu avec les codes du genre que je propose : ce policier entre mythe antique et triomphe de la modernité prend ses distances avec ce qu’on attend habituellement du genre. Mais il y a aussi un autre pari : je postule un lecteur prenant plaisir à jouer avec les mots et à s’interroger non seulement sur ce qu’ils disent, mais aussi sur ce que leur absence a de significatif.