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Suzanne en demi-jour. La Susanna de Stradella par l'Ensemble Aurora et Enrico Gatti

Publié le 08 mai 2014 par Jeanchristophepucek
Alessandro Stradella La Susanna Ensemble Aurora Enrico Gatt

La destinée d'Alessandro Stradella, mort à Gênes d'un coup de poignard le 25 févier 1682, un peu plus d'un mois avant de fêter ses 43 ans, si elle a inspiré à Philippe Beaussant un très beau roman dont je vous conseille la lecture, a malheureusement quelque peu occulté sa production musicale qui, malgré quelques disques remarquables – on songe, par exemple, au San Giovanni Battista dirigé avec brio par Marc Minkowski en 1992 (Erato) ou à la très belle anthologie de motets signée par Gérard Lesne et Sandrine Piau en 1995 (Virgin) –, demeure toujours assez largement sous explorée. Enrico Gatti, qui avait déjà démontré ses affinités avec ce compositeur en enregistrant deux de ses cantates pour Noël (Arcana, 1998), revenait vers lui en 2004 en gravant un de ses oratorios, La Susanna, pour Glossa, qui nous le rend aujourd'hui dans sa collection Cabinet.

Francesco II d'Este, duc de Modène, avait un penchant affirmé pour ce genre sacré. Disposant d'un livret écrit par son secrétaire, Giovanni Battista Giardini, sur l'histoire biblique de Suzanne et les vieillards et, ayant eu connaissance des talents de Stradella, il lui demanda de le mettre en musique. La Susanna connut sa première exécution le 16 avril 1681. En deux parties, l’œuvre narre les déboires de la vertueuse et jolie épouse de Joachim, faussement accusée d'adultère par deux vieillards (ici, les juges) concupiscents, jetée en prison et sauvée d'une probable lapidation grâce à l'intervention divine qu'elle avait implorée et qui, personnifiée par le prophète Daniel, confond les menteurs, finalement condamnés à mort. Outre ces quatre personnages, deux intervenants jouent un rôle important dans le déroulement de l'histoire, le narrateur (Testo) dont le rôle est mi-chanté, mi-récité, et le chœur, qui apporte un commentaire moral à l'action.

Cet oratorio a été composé alors que Stradella était en pleine possession de ses moyens artistiques, aussi bien du point de vue du traitement de la voix que de celui des instruments. Cette maîtrise explique sans doute la grande unité de La Susanna, son équilibre et le soin apporté à l'expression des sentiments des protagonistes comme à la progression dramatique, autant de qualités que le compositeur avait eu l'occasion de forger lors de ses différentes expériences opératiques. Si l’œuvre ne se départ jamais de sa dimension religieuse, on songe cependant bien souvent à la scène en l'écoutant, qu’il s'agisse de la description du bain de Suzanne et de l'agression des deux vieillards, des imprécations jetées par Daniel à la foule (« Così va, turbe insane »), ou de la lamentation de la jeune femme emprisonnée, exprimée dans une poignante aria, « Da chi spero aita, o Cieli », dont l'ostinato dit magnifiquement la douleur et les doutes qui rongent ainsi que l'absence apparente d'issue à la situation. L'écriture instrumentale participe, elle aussi, à la dramatisation du discours tout en lui apportant beaucoup de sensualité et de dynamisme ; elle montre le degré de raffinement atteint alors par un Stradella aussi au fait des finesses du contrepoint que de celles de la rhétorique nécessaire à l'expression des passions.

Réuni autour de l'archet d'Enrico Gatti, l'ensemble Aurora offre une très belle lecture de La Susanna. La palme revient indubitablement aux instrumentistes dont la prestation se révèle non seulement d'une grande précision, mais aussi pleine de fluidité et de couleurs, et parfaitement idiomatique dans un répertoire dont les musiciens et leur chef possèdent une connaissance intime. Dès la Sinfonia d'ouverture, il est évident que l'ensemble va s'imposer comme un des personnages de l'histoire et il le fait avec autant de science que d'engagement. Le plateau vocal est malheureusement moins homogène. Emanuela Galli rend très bien justice à la dimension sensible de Suzanne qu'elle campe de façon émouvante, Luca Dordolo et Matteo Bellotto expriment de façon également convaincante aussi bien le désir que le mensonge et la dureté qui animent les Juges. J'ai été moins séduit par Barbara Zanichelli, bien chantante mais un peu pâle dans le rôle surnaturel du prophète Daniel, et surtout par Roberto Balconi, Testo certes soucieux de faire vivre sa partie, mais quelquefois handicapé par des limites qui rendent sa ligne vocale mal assurée et assez tendue.

Malgré ces réserves, cet enregistrement de La Susanna a, à la réécoute, plutôt bien vieilli et demeure actuellement celui à conseiller en priorité à qui souhaiterait connaître cet oratorio qui mérite amplement de l'être. Sa réédition à prix modique constitue une invitation supplémentaire à ne pas se priver de ses beautés.

Alessandro Stradella La Susanna Ensemble Aurora Enrico Gatt
Alessandro Stradella (1639-1682), La Susanna

Emanuela Galli, soprano (Susanna), Barbara Zanichelli, soprano (Daniele), Roberto Balconi, contre-ténor (Testo), Luca Dordolo, ténor (Second juge), Matteo Bellotto, basse (Premier juge)
Ensemble Aurora
Enrico Gatti, maestro di concerto

2 CD [durée totale : 52'09" & 47'34"] Glossa Cabinet GCD C81201. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

Extraits proposés :

1. Sinfonia avanti l'oratorio

2. Aria con violini : « Ancor io d'Amor fui colto » (Second juge)

3. Aria con violini : « Da chi spero aita, o Cieli » (Susanna)


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