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L'impuissance tue

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

L'éleveur se présente en victime alors que, en n'intervenant pas, il a été le metteur en scène d'un spectacle de mise à mort, lente.  Le vautour fauve sera t-il la future vache à lait des éleveurs pluri-actifs et poly-subventionnés?

On assiste en ce moment à une nouvelle campagne de communication contre les vautours.  Décryptage rapide…

Une recherche de preuves filmées

Le 7 mai, Jean-Luc Fernandez, président de la Fédération des Chasseurs de l’Ariège déclare sur Ariègenews  : “Nous n’avons pas encore de preuve cinématographique attestant qu’ils s’attaquent à des animaux vivants mais cela ne devrait pas tarder.“ Puis Jean-Luc Fernandez évoque “l’attaque” chez Pierre Labarère, éleveur à Ogeu dans les Pyrénées atlantiques : “Pour preuve de la dangerosité de leur comportement dans la presse régionale j’ai lu pas plus tard qu’hier dans les Pyrénées Atlantiques, attirés par un veau mort au vêlage ils se sont attaqués à la mère en présence des agents de l’ONCFS ! Il faut arrêter d’être dans le déni, ces animaux ont changé de comportement”.
Avec cette nouvelle affaire (lire l’article et regarder la vidéo de francetvinfo), les éleveurs croient détenir la “preuve cinématographique”, une première vidéo d’attaque de vautours sur une vache vivante.

 Son  Image

France-info : “C’est dans ce pré, derrière la maison de ses parents, que Pierre Labarère à vu sa vache se faire attaquer par des vautours, dimanche après-midi. La bête avait vélé le matin même, mais le veau était mort né. Fatiguée, elle ne pouvait pas se lever. Les oiseaux ont très vite été attirés.”

La vache est couchée, vivante avec des vautours qui s’approchent tout autour d’elles. Le veau est mort à une dizaine de mètres de là. Des vautours sont sur lui. (Les images sont filmées de loin, au zoom, l’image est instable) 

PL : “Effectivement, le veau mort était à côté de la vache, et les vautours, qui normalement, dans leur rôle, détruisent les carcasses mortes, là se sont directement attaqué à la vache, qui malgré tout était encore en vie. Certes qui ne pouvait plus faire l’effort de se lever, mais qui était quand même dans un état de santé correct.”  3 vautours s’envolent, l’un après l’autre la vache, couchée au fond de la prairie, tourne la tête. (Les images sont filmées de loin, au zoom, l’image est instable) 

France-Info : “Pierre a bien essayé de faire fuir les vautours avec un baton, sans succès. Sur ces images tournées par sa compagne, on voit que les oiseaux ne touchent pas au cadavre du veau, mais s’attaquent à une bête bien vivante”.  La vache est seule, couchée, sans vautour auprès d’elle. Le veau est toujours là à une dizaine de mètres, seul aussi.
L’éleveur est à une centaine de mètre et s’éloigne de la vache, les mains dans les poches.

Jean-Marc Couturejuzon, président des JA du 64 : “C’est parlant, c’est pas une bête blessée, c’est pas une bête…, non, on ne peut pas laisser dire ça. celle-là, elle était bien, elle a vélé, certes, mais il n’y avait pas la matrice dehors. Il n’y avait aucun signe…”

France-Info : “Et pour le syndicat des jeunes agriculteurs, il est urgent de permettre aux éleveurs de défendre leurs troupeaux”.  Gros plan sur l’écran du PC. Un doigt pointe vers l’image et cache la scène de la vache et des vautours

JMC: ”On demande simplement le fait de pouvoir effectuer des tirs d’effarouchement, ce qui semblerait quand même normal. C’est juste du bruit. Et on demande, si c’est pas suffisant, parce qu’on a peur qu’il y ai un phénomène d’accoutumance, à pouvoir tirer et prélever un ou deux vautours, quand il y a une attaque avérée.” Des vautours sont groupés à l’arrière de la vache. Un vautour est sur le veau mort. 

France-Info : “une réunion est prévue en sous préfecture d’Oloron avec tous les acteurs de la montagne. Pierre Labarère sera quant à lui obligé de rentrers es vaches qui vont véler d’ici la fin du mois.”   

Analyse des faits

  • la vache vèle le matin au pré, le veau est mort né. La vache fatiguée ne peut pas se lever. Ce qui est contradictoire avec les propos de l’éleveur cité par Sud-Ouest : « la vache était en bonne forme après son vêlage ». Dans la vidéo, l’éleveur est moins convaincu de l’état de santé de la vache « qui malgré tout (NDLB: tout quoi?) était encore en vie. Certes qui ne pouvait plus faire l’effort de se lever, mais qui était quand même dans un état de santé correct.” Correct, c’est vraiment le minimum syndical.
  • Le veau est laissé mort près de la vache couchée jusque dans l’après midi, malgré l’apparition des vautours dès 10h15. “La première attaque a eu lieu à 10h15, mais la vache avait "une petite chance de s'en sortir" selon les propos du vétérinaire rapportés par l'éleveur" (S-O). Une "petite chance", étrange pour une vache en bonne forme. Cette petite chance, l’éleveur ne l’a saisit pas, il reste là, “impuissant”. Il ne décide pas de retirer le veau. Il ne décide pas de rentrer la vache. Il regarde pendant que sa femme reste à distance et filme au zoom, de loin.
  • Selon l’article, “Les vautours se sont très vite désintéressés du cadavre du veau”. Sur la vidéo pourtant, ils sont dessus.
  • La journaliste ajoute : “Pierre a bien essayé de faire fuir les vautours avec un baton, sans succès.” Lors d’un cas similaire à Loubieng, toujours selon Sud-Ouest :  "Le veau dormait au soleil, dans l'herbe, à une cinquantaine de mètres du reste du troupeau. Les vautours l'ont tué en moins de deux minutes, lui ont mangé les yeux, l'anus et la langue. Ma fille a réussi à les faire fuir".  les vautours fuient devant une enfant, et restent devant un adulte, étrange impuissance...

A Ogeu, un éleveur laisse faire pendant plusieurs heures les vautours : il sait que sa vache est en difficulté, encore vivante mais incapable de se lever et il la laisse là, une demi journée, avec son veau mort à proximité, tel un appat, sans la rentrer, malgré la présence des vautours. Il regarde, se promenne à pied dans la prairie les mains dans les poches pendant que sa femme filme la scène de loin.
La vache, fatiguée par le vêlage et couchée à proximité du veau mort, fini par mourir. “Les coups de bec des vautours ont causé une hémorragie”.  « Une attaque hors-norme », estime le vétérinaire qui s'est rendu sur place avec les agriculteurs de la région. Pour France 3 aquitaine : "La bête a été assaillie par les rapaces et a agonisé plusieurs heures sous les yeux impuissants de son propriétaire."  L’inaction tue plus sûrement que les vautours, le voyeurisme est le même qu’à la corrida !  C’est de l’art.

Questions

  • Pourquoi l’éleveur n’a t-il pas retiré immédiatement le veau pour ne pas attirer les vautours près de sa vache en difficulté?
  • Pourquoi n’est-il pas resté près de sa vache pour éloigner les vautours, comme la fille de l’autre éleveur?
  • Pourquoi est-il resté impuissant pendant une demi-journée?
  • S’avait-il sa bête déjà condamnée comme son discours le laisse sous-entendre?
  • L’a t-il sacrifié afin d’obtenir, enfin, les images que réclamait Jean-Luc Fernandez?

Après la mort de la vache, ils appèlent la presse et les syndicats. Le film est diffusé partout. La presse a du sang, des boyaux et des images ! Des preuves enfin...
L’éleveur ne préférait-il pas laisser sa vache condamnée crever pour obtenir un scoop, la première vidéo d’attaques des vautours tueurs sur une vache en parfaite santé, comme il est dit dans la presse ?
Une double peine, volontaire ?
Pour Claude Carrière de la Fédération pastorale de l’Ariège : “les éleveurs ariégeois sont confrontés à la double peine” demandant “jusqu’à quand pourront-ils continuer à exercer leur métier?” L’autre peine, c’est bien sûr l’ours.  En mars, la préfecture de l’Ariège communiquait sur les dégât des ours : «Ces dommages ont eu lieu principalement sur les départements de l'Ariège et des Hautes-Pyrénées et en grande majorité sur une douzaine d'estives.» Des estives non protégées, comme la Buvette l’a démontré.
Nourrir les vautours changeraient leur comportement

Claude Carrière : «On se rend compte que les situations se répètent. Nous sommes inquiets. On se rend compte que les vautours se sont familiarisés avec l’homme, ils sont nourris, ils se multiplient. Il va falloir réagir rapidement, il y a trop d’excès. Il faut les réguler si l’on veut que les gens continuent à vivre de l’élevage en Ariège».  

vulgaires volailles ou poulets tueurs?
vulgaires volailles ou poulets tueurs?
Image : lespouletstueurs

Jean-Luc Fernandez a une réaction similaire, fort peu scientifique : "Qu’on arrête de les nourrir, il y a encore une aire de nourrissage à Bugarach, il faut la fermer. On a fait de ses bêtes nécrophages de véritables poules de basse-cour qui attendent leur pitance sur les exploitations des éleveurs de la plaine. Ils n’ont plus peur de l’homme et ils sont en surpopulation.” 
ou encore... "Les vautours sont devenus de vulgaires volailles, il faut fermer les zones de nourrissage en plaine et interdire le dépôt de cadavres dans la journée" a encore affirmé Jean-Luc Fernandez depuis la tribune.
Conclusion : Arrêtons de les nourrir ! Oui mais non…
Ne pas nourrir les vautours changeraient leur comportement
Les vautours sont-ils de vulgaire vollaile d’élevage ou attaquent-ils les bovins vivants comme des "prédateurs"? Le résultat est le même, dans les deux cas,  il faut effaroucher ("ce n’est que du bruit") puis, réguler ("un ou deux en cas d’attaques") puis éradiquer (ces "prédateurs déviants").

Dans un autre article, ariègenews annonce que ne pas les nourrir changerait aussi leur comportement: "Après l’épidémie de vache folle et la fermeture en 2003 sur le versant espagnol des «muladares», plateformes de nourrissage qui permettaient aux porcheries industrielles de se débarrasser de leurs déchets, près de 7000 vautours se sont retrouvés du jour au lendemain sans nourriture. Cette situation de disette en Espagne a incité le mouvement de vautours espagnols vers la France avec l’amplification de certains facteurs comportementaux comme la diminution de la méfiance vis-à-vis de la présence humaine, une pression souvent pesante sur les estives."
On est dans “les oiseaux” d’Alfred Hitchcock. Contradictions, double contraintes, l’Ariège nage en pleine schizophrénie (qui se caractérisee par des difficultés à partager une interprétation du réel avec les autres, ce qui entraîne des comportements et des discours bizarres, parfois délirants).


Autres propos de Jean-Luc Fernandez
"Ils sont en surpopulation, eux aussi. C’est devenu une espèce capable d’attaquer les bêtes vivantes, comme on l’a vu récemment dans notre département. Voire de dévorer une randonneuse en deux heures, jusqu’à ce que les secours arrivent à elle. Aujourd’hui, une brebis qui met bas est en danger. On a fait des vautours une espèce qui tue. L’État, de son côté, ne tient aucun compte de ce qui se passe sur le terrain. Je m’inquiète aussi de la réintroduction du bouquetin, qui sera également protégé." (ici)
"En France quand une espèce est protégée elle l’est à vie, y compris quand il y a surpopulation, prédations et déséquilibres au sein de la biodiversité." (ici)

"Ours, lynx, vautour et maintenant loup : nous avons désormais en Ariège l'ensemble des grands prédateurs !" (ici)
"Leur comportement et leur aire de présence sont modifiés... les témoignages sont nombreux, ils attaquent aujourd'hui du bétail en parfaite santé. Pour résoudre les problèmes posés par l'espèce dont nous ne remettons pas en cause le statut de protection, il suffirait d'un peu de bon sens, fermer les aires de nourrissage en plaine ou en piémont". (ici)

D'autres aussi, chez les éleveurs

François Toulis, président de la Chambre d'Agriculture de l’Ariège : "On ne peut qu'approuver l'initiative d'un sénateur prise pour le loup, se défendre quand il attaque, il faut le faire pour les vautours qui crèvent de faim. Autrefois ils étaient nos alliés en zone de montagne quand ils ont commencé à descendre dans la plaine ils sont devenus un véritable problème pour les agriculteurs. On aura besoin de se retrouver pour défendre notre position sur le statut des espèces protégées au détriment des autres". (ici)
Rémi Denjean, vice-président de la Chambre d’Agriculture : "Car attention nous ne sommes pas contre les vautours, ils sont utiles à la montagne mais aujourd’hui personne ne peut nier qu’il y a un problème de surpopulation. Il faut arrêter de les nourrir. Nous demandons la régulation de cette espèce qui n’est plus en voie de disparition. Enfin nous demandons la possibilité de nous défendre de manière cadrée et réglementée en cas d’attaque…" (ici)
Claude Carrière de la Fédération pastorale de l’Ariège : "On se rend compte que les situations se répètent. Nous sommes inquiets. On se rend compte que les vautours se sont familiarisés avec l’homme, ils sont nourris, ils se multiplient. Il va falloir réagir rapidement, il y a trop d’excès. Il faut les réguler si l’on veut que les gens continuent à vivre de l’élevage en Ariège"
Les journalistes aussi
Louis Dollo : "Le vautour fauve fait feu de tout bois lorsqu'il a faim et ne distingue pas un cadavre animal ou humain. Il est donc normal, même si cela choque, qu’il s’attaque au corps d’une personne morte en montagne. C’est la loi de la nature par ailleurs défendue par beaucoup de personnes se disant « écolos ». Néanmoins, une interrogation peut exister dans le cas où l’accidenté n’est que blessé.  Les « spécialistes » nous disent que le vautour fauve peut s’attaquer à une bête en position de faiblesse. Une personne blessée n’est-elle pas dans ce cas ? Et ne parlons pas de celui qui aurait envie de faire la sieste. Ce fut le cas au Pic du Midi d'Ossau en 2011 puis en avril 2013 avec une randonneuse tuée sur la commune de Larrau au Pays Basque." (ici)
Laurence Cabrol : "Jusqu’à présent ces charognards opportunistes travaillaient de concert avec les éleveurs pour débarrasser les cadavres sur les estives de montagne. Mais aujourd’hui cette union de circonstance est rompue. Le fait que le vautour fauve puisse parfois être à l’origine de la mort de bétail domestique est désormais un fait attesté mais ces cas restaient jusqu’à présent très exceptionnels (mise à bas difficile, bête agonisante ou en situation de faiblesse).
(...) Les observateurs s’accordent à dire (NDLB : Tous?) que leur attitude a changé. Du fait de leur protection en France (1981), ils se sont multipliés et la fermeture de certaines plateformes de nourrissage diminuant les ressources trophiques disponibles pour ces oiseaux nécrophages, n’est certainement pas étrangère à ce changement de comportement." (ici)
Des vautours devenus prédateurs? Comprendre et faire comprendre.

Je vous invite donc à lire : "Vautour fauve Gyps Fulvus et bétail : éco-éthologie alimentaire, évolution, controverse" de Jean-pierre Choisy : 
Des vautours devenus prédateurs? Comprendre et faire comprendre.

"Née dans les Pyrénées, s’étendant jusqu’aux Alpes, cette polémique est préoccupante, tant le genre Gyps dans l’Ancien Monde et la région alpine lato sensu en Europe, joue des rôles-clés dans les stratégies de restauration de tous les Vautours.

Fait intéressant : les éleveurs sont beaucoup moins que les autres acteurs protagonistes, publics et privés, engagés dans la controverse. La solution, hors du champ de la biologie, n’est pas traitée ici. Toutefois la communication avec autorités et public, est déterminante dans le débat. Or aucun des acteurs de la controverse, même naturalistes ou/et techniciens, n’a su situer les faits dans le seul cadre permettant de les comprendre: éco-éthologie et évolution.

Le présent travail vise à en fournir les bases. Dépourvu de serres, dépassant rarement 10 kg, un vautour portant le bec sur un ongulé en pleine possession de ses moyens au mieux gaspillerait de l’énergie, au pire recevrait un coup mortel. La sélection naturelle a donc éliminé ce comportement. Connues depuis longtemps, les interventions sur animal encore vivant concernent exclusivement des individus handicapés par leur état ou/et leur situation.

Elles restent très rares. Le bilan de la présence des vautours, financier, environnemental et pour les éleveurs reste très bénéficiaire. Si la collecte de données est le matériau indispensable, le débat piétine faute d’user des termes, concepts, méthodes d’interprétation nécessaires pour comprendre et faire comprendre, d’où une dérive essentialiste, incompatible avec la méthode scientifique."


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