Qu'elle est une figure marquante de la Commune en France, qu'elle fut institutrice, féministe, guère plus. On pourra compléter ses connaissances et se rendre compte de l'exceptionnelle personne qu'elle a été en lisant le formidable récit biographique que lui consacre Henri Gougaud, "Le roman de Louise" (Albin Michel, 250 pages).
Henri Gougaud. (c) Valérie Ménard.
Sa plume alerte agence habilement l'abondante documentation qu'il a rassemblée autour d'elle. Pour résumer Louise Michel, de passage à Bruxelles, Henri Gougaud me dit: "Elle est complètement folle, avec toute la tendresse de ce mot. Elle est folle comme l'amour est fou. Elle est hors limite, d'une intransigeance absolue." Dans son élan, je perçois l'amour qu'il lui porte. "Au terme de l'écriture de ce livre, je sens une intimité entre elle et moi. J'ai l'impression de mieux la connaître. Elle fait maintenant partie des gens que j'aime." Et comment ne pas aimer Louise Michel après cette lecture?Si Henri Gougaud a aujourd'hui consacré un livre à Louise Michel, c'est "pour essayer de la comprendre. Je suis fasciné par cette figure incroyable. Elle ne peut pas supporter le mal, la souffrance, qu'on fait aux autres. Par sainteté? Non, c'est viscéral chez elle. Ce n'est que plus tard qu'elle rationalise, qu'elle politise." Une façon de boucler la boucle pour celui qui a fait partie du groupe "Louise Michel" durant ses études à Toulouse et qui s'intéresse depuis longtemps à cette femme exceptionnelle - il eut même un projet de téléfilm à son sujet.
"Ce livre n'est pas un roman ou une biographie", reprend-il. "C'est un récit où je raconte Louise Michel." Ses recherches l'ont mené à des découvertes, "dont certaines sont abominables. Notamment dans la presse versaillaise, durant la Commune. J'y ai découvert de la haine, des appels au meurtre. C'est stupéfiant cette violence et la répression contre les communards! La semaine sanglante serait aujourd'hui appelée un crime contre l'humanité."
Heureusement, l'écrivain qu'il est a aussi rencontré des figures hautement romanesques lors de l'écriture. "Une formule comme "combattre pour l'honneur" m'émeut, j'admire cet héroïsme. L'écrire vous fait entrer dans l'intimité des gens. Savoir quelque chose est différent de l'écrire."
A l'arrivée, l'anarchiste né en 1936 à Carcassonne confesse: "Je ne suis pas tout jeune mais je suis redevenu d’un coup révolté comme je pouvais l'être adolescent. C'est insupportable. On ne peut pas accepter ce qu'on lui a fait."
Son portrait marie fougue et érudition. On le suit attentivement quand il se glisse dans la peau de Louise, née bâtarde, mais profondément aimée par sa mère dont elle se souciera toujours, par sa grand-mère et par son grand-père, disciple de Voltaire et partisan de l'éducation. Bousculée, chahutée même, toute petite par le voisinage. Amie des bêtes et de la liberté, celle des autres et la sienne. Louise Michel quittera jeune sa Haute-Marne pour Paris où elle poursuit son métier d'institutrice et où elle peut assouvir sa passion pour les livres. Très tôt, elle découvre aussi le plaisir d'écrire. Elle n'arrêtera jamais, poésie, opéra, correspondances dont celle qu'elle entretient avec Victor Hugo, mémoires. Tout de suite, elle choisit son camp, celui des Rouges.
Henri Gougaud la raconte de l'intérieur, au quotidien, dans les réunions de militants, dans les combats, malade, en prison, déportée en Nouvelle-Calédonie, de retour en France, en voyage ici et là. Comme Louise Michel vit, respire, souffre, dans son texte! Il évoque aussi ses relations d'amitié et/ou d'amour, peu importe, avec les différentes femmes qui ont été successivement à ses côtés, sans oublier son cher Théophile Ferré, amour unique quasi mystique.
Henri Gougaud nous montre combien Louise Michel a été indispensable à son époque pour que nous puissions vivre aujourd'hui comme nous le faisons. Il évoque le féminisme qu'elle a défendu: "Elle est une pionnière du féminisme. C'était ambigu à l'époque, le XIXe siècle, la révolution industrielle, la naissance du prolétariat. Un féminisme naît dans les beaux quartiers: des filles éduquées demandent pourquoi elles n'ont pas accès aux pouvoirs des hommes. Elles militent pour partager le pouvoir des hommes. A côté de cela naît un féminisme révolutionnaire, qui aura une grande place dans la Commune de Paris. Ce qui importe à Louise Michel, ce n'est pas le droit de vote pour les femmes mais le changement, sortir d'une société basée sur le rapport de forces. Elle est portée sur la solidarité, sur le soin de l'autre. Elle pense que les femmes ont un rôle à jouer. Elle imagine une société où les femmes apporteraient quelque chose que les hommes n’ont jamais fait. Mais c'est l’autre féminisme qui a gagné. Un féminisme égalitaire, où les femmes deviennent des mecs."
"Le roman de Louise" terminé, on se dit qu'on aurait bien besoin de nouvelles Louise Michel aujourd'hui.