Peut-on vraiment appeler "Manuel" cet ouvrage de Rodolphe Christin ? Il tient plus de la diatribe. Et m'a semblé manquer sérieusement de recul. Par ailleurs, l'auteur n'a pas peur de répéter à l'envi ses arguments à mesure des chapitres, ce qui peut lasser. Le propos est simple : une infime partie de la population fait du tourisme. Elle se répand sur les côtes isolées, se déverse dans les montagnes, prévoit des treks dans les déserts... Et abîme tout sur son passage. Notre auteur, qui a beaucoup voyagé, dénonce le consumérisme du touriste. Ce qui est pas très sympa pour tous ceux qui rêvent encore de voyager pour aller à la rencontre de l'autre et de sa culture.
Première industrie mondiale, le tourisme est une manne. Le moindre pont et la moitié de la capitale se disperse dans les capitales européennes. Remède à notre quotidien morne et stressant, le voyage est presque une obligation sociale occidentale, un "devoir de vacances" dit l'auteur : pas besoin d'être curieux, vous pouvez simplement partir au moins cher, profiter d'une promo sous les tropiques sans même avoir besoin de retenir le nom de la capitale du pays ou sortir de votre hôtel bétonné... Si vous n'allez pas aux prestations qu'offre le pays, celles-ci vous trouveront jusque dans votre hôtel. Car vous n'allez pas en plus prendre le temps de ne rien faire ! Soyez rentables, faites un planning et consommez ce que les lieux ont à offrir.
Si l'aventure vous démange, des agences se spécialisent sur ce créneau : pas question de construire vous-même votre propre aventure, celle-ci est bien cadrée. L'aventure, oui, mais seulement si on peut vous tondre au passage.
Vous voulez faire du tourisme durable, c'est possible aussi. Mais c'est pour vous donner bonne conscience, ça ne change rien. Bref, notre auteur est sévère avec le tourisme sous toutes ses formes.
Il dénonce les conséquences néfastes du tourisme sur les pays visités : une uniformisation croissante (mondialisation, quand tu nous tiens), une mise sous vitrine de cultures qui deviennent des spectacles, une pollution catastrophique (kérosène des avions, bétonnage des rivages). Pas de rencontre qui ne soit biaisée par l'argent...
Dans cet ordre d'idées, j'ai découvert par exemple que le Mont-Saint-Michel avait bien changé depuis 10 ans. Il est désormais précédé d'une zone hideuse regroupant petit supermarché, hôtels et restaurants. Et sur le mont, on ne trouve plus rien à voir si ce n'est des marchands de babioles et des restaurants...
Explorant la question sous des angles sociaux, économiques et culturels, Rodolphe Christin montre l'inanité de nos voyages (tous les mêmes). C'est un luxe et un divertissement dont on pourrait se passer à ses yeux. Car à toujours vouloir aller plus loin et rechercher plus d'authenticité, le touriste la détruit et la standardise par sa seule présence. C'est là tout le paradoxe du tourisme, qui uniformise l'exotisme.
Au delà du tourisme, Rodolphe Christin critique la gestion et le management du monde, cette exploitation permanente des ressources, cette organisation des relations humaines... Bref, ce qui est propre à une société. Mais toutes ces critiques, parfois à la limite de la mauvaise foi, ne sont-elles pas plutôt des critiques de la mondialisation ? Certes, le tourisme y a sa place, mais est-ce là le seul coupable ?
L'auteur propose comme alternative au tourisme actuel le retour au cheminement. Il faudrait prendre le temps de marcher, de voir les lieux que l'on traverse plutôt que d'aller plus loin et plus vite. Il faudrait aussi partir sans chronométrer ce que l'on fait, sans même prévoir une date de retour. Mais est-ce encore possible ? Qui peut encore se permettre de partir au long cours ? Peut-être ne faudrait-il voyager que dans nos lectures, on serait moins destructeurs...