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Les Temps obscurs du Moyen-Art

Par Contrelitterature

par Michel Batlle

Quelques spécimens recherchés

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    Ce n’est pas quand c’est mauvais que c’est grave mais quand c’est moyen. Quand c’est mauvais, ça se voit au premier coup d’œil, c’est imparable mais lorsque c’est moyen ça joue, ça fabrique, ça truque ! C’est moyen quand ça triche, quand ça simule, quand ça copie, quand ça singe, quand ça perroquette, quand ça pastiche ce qu’il y a de meilleur ou de savant. L’artiste moyen a une « buena vista » mais n’arrivera jamais au seuil des grands qui ont le geste, l’élégance, la force, le nouveau. Ceci est bon dans tous les domaines.

   Pour illustrer ce préambule qui est une évidence ou un constat de fond, je prendrai  certains artistes moyens qui sont sous les feux de la rampe du marché de l’art et de la médiatisation.

   Et tout d’abord Philippe Pasqua. Dire que ce damoiseau est un mauvais artiste serait excessif car, somme toute, il arrive à produire une peinture cohérente comme beaucoup d’artistes grands ou petits. Sa réussite sociale est le résultat de l’amalgame peinture et communication. Notre époque ne fait plus l’éloge de la modestie, du travail et des idées mais de la théâtralisation et de l’ornemental.

   De tous temps, il semble que cela ait existé. Je me demande parfois si, aux temps préhistoriques, les peintres des grottes n’étaient pas les artistes officiels à la solde de quelques chamans mégalos, alors que par ailleurs des artistes de plein vent peignaient des bisons au galop ! (J’ai écrit un scénario de film intitulé « Artistes de plein vent » ou « Le réalisme socialiste au paléolithique »).

   Les critiques d’art, s’il y en a encore, n’ont toujours pas saisi ce qu’il y avait d’intéressant chez ce type d’artiste, à savoir leur stratégie pour la mise en valeur et la promotion de leur peinture. C’est là que réside l’intérêt de ces personnes, car ce sont des débroussailleurs de jungle et de marécages d’une petite société nantie qui bien souvent ne connaît pas la valeur de l’argent et qui a besoin de quelques images simples pour faire croire à la profondeur de son bagage culturel.

   Une question : comment, après tant de diffusion de l’histoire de l’art moderne, des écrivains ou journalistes peuvent-ils  se laisser abuser par les faiseurs ? Comment, après tant de livres et de films, peut-on prendre le factice pour du profond, prendre la mode pour de l’originalité et du nouveau et confondre l’art et la culture?

   Voici quelques exemples.

   Il y a une dizaine d’années, le hasard m’avait mis en présence d’une des toiles de Philippe Pasqua. La personne me demandait ce que j’en pensais et je lui avais dit qu’il y avait de l’énergie, mais que c’était un gribouillage d’amateur sans intérêt. Il y avait un gros travail à faire pour que l’artiste puisse s’extraire de cette mélasse peinte qui partait dans tous les sens, qui avait envie de parler mais n’avait pas de langage et que le mieux était qu’il change vraiment son fusil d’épaule ou qu’il arrête tout simplement de peindre. Cette toile était un travail d’amateur, alors que la personne me disait qu’il exposait déjà depuis longtemps. Je lui ai dit que cet artiste n’y arriverait jamais car il s’était trompé de cible, à savoir que l’art n’est ni de l’habileté, ni du vomi, ni de l’énergie pure. L’art est plus subtil que cela et, lorsqu’on a la prétention de s’y frotter, on ne peut que se positionner comme un médium ou une résultante à l’histoire de l’art. Pas question d’être un interprète ou un reproducteur.

   Pour ce qui est de cet artiste, sa peinture d’aujourd’hui n’a pas grandie, sauf dans les formats. Elle s’est perfectionnée techniquement, mettant en avant astuces techniques et tape-à-l’œil que les pratiquants de l’art connaissent et que bon nombre d’entre eux n’osent utiliser tant les ficelles sont grosses.

   Cet artiste français a donc fait les choses à la manière chinoise : habileté et poudre aux yeux, dans le genre « regardez comme je sais peindre, comment j’arrive à rendre avec intensité les sentiments, comment je pénètre les âmes de mes modèles »… Une peinture qui clame et qui klaxonne... Pouet ! Pouet ! La peinture à effets de manche. Mais pas celle de Daumier tout de même !

   Rares sont les personnes qui ne peuvent consommer ce bouillon là. Trop peu ! Références visibles, hyperréalisme américain d’époques successives, un peu de Lucian Freud et de Bacon avec œufs sur le plat, une sorte de Chambas qui aurait muté, un Moretti qui se serait sali et j’en passe… Aux dernières nouvelles, le voilà devenu sculpteur en agrandissant des joujoux en inox, d’immenses dinosaures éblouissants, prêts à partir en troupeaux dans les jardins de Versailles !

   Prenons un autre exemple de peintre du « Moyen-art », Ernest Pignon Ernest; même lui, je n’arrive pas à le caser dans ce mauvais musée Grévin ! Mais il n’y a pas que ces deux là : les artistes Chinois qui à leur quasi majorité sont allés puiser, sans le savoir, dans nos années 70, une sorte de Figuration Narrative de carte postale et, aussi, toutes les victimes de « La Crampe de Duchamp » qui persistent dans leurs éternelles installations et mythologies individuelles… Et puis le gigantisme et les technologies nouvelles qui sont autant d’arbres qui cachent les forêts, qui pallient à l’inconsistance des idées ; ainsi les sculptures de Xavier Veilhan qui sont un artifice numérique !  J’excuserai presque le Pasqua de faire de la peinture au naturel ou à l’huile ! Mais je ne peux excuser le magazine « Paris Match » qui consacre dans un de ses numéros trois pages à Richard Orlinsky, comme s’il était un des artistes français important. Il est vrai que le gars qui cultive le gigantisme et la multiplication des pains...en résine, est sans doute dans le giron de la culture mercantile ; sous-produit de l’américain Jeff Koons qui lui-même est un sous produit du Pop-Art ! Son statement bien huilé ne peut que subjuguer les bourgeois incultes avec son concept « Born Wild » qui « témoigne de valeurs essentielles dans un style résolument contemporain, qui ne cède jamais au trash, à l’extravagance ou à l’éphémère »… Vous avez compris ! Bien d’autres sont à mettre dans ce même sac de la vague des petites astuces déclinées, tel Jean-Michel Othoniel.  Il y a de quoi ne n’y comprendre que couic !

   Un monde de l’art écrasé par l’information, la pensée dominante et la consommation, tout ce que les générations précédentes redoutaient ! Comme si le XXème siècle n’avait pas existé !

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