Magazine Beaux Arts

Salle 5 - vitrine 6, côté seine : 8. des mimusops ...

Publié le 20 mai 2014 par Rl1948

     J'entrepris de faire la Flora petrinsularis - (entendez : la flore de l'île de Saint-Pierre) et de décrire toutes les plantes de l'île sans en omettre une seule, avec un détail suffisant pour m'occuper le reste de mes jours. (...)

        En conséquence de ce beau projet, tous les matins après le déjeuner, que nous faisions tous ensemble, j'allais une loupe à la main et mon Systema naturaesous le bras (oeuvre capitale du naturaliste suédois Carl von Linné) - visiter un canton de l'île, que j'avais pour cet effet divisé en petits carrés dans l'intention de les parcourir l'un après l'autre en chaque saison.

     Rien n'est plus singulier que les ravissements, les extases que j'éprouvais à chaque observation que je faisais sur la structure et l'organisation végétale, et sur le jeu des parties sexuelles dans la fructification, dont le système était alors tout à fait nouveau pour moi. La distinction des caractères génériques, dont je n'avais pas auparavant la moindre idée, m'enchantait en les vérifiant sur les espèces communes en attendant qu'il s'en offrît à moi de plus rares.

Jean-Jacques ROUSSEAU

Les rêveries du promeneur solitaire,

Cinquième promenade

dans Oeuvres complètes, Paris, Seuil,

pp. 521-2 de mon édition de 1967

     

     Nous sommes en 1765. L'écrivain philosophe, réfugié un temps dans l'île de Saint-Pierre, au milieu du lac de Bienne, en Suisse, s'émerveille des splendeurs des plantes qui l'environnent sur des rives qu'il estime plus sauvages et romantiques que celles du lac de Genève. 

     Si en admirant avec vous, mardi dernier, amis visiteurs, l'abondante végétation s'étalant sur les murs des salles du Jardin botanique de Thoutmosis III, à Karnak, ce court extrait me revint en mémoire, vous aurez compris qu'il n'y eut rien de comparable, rien d'aussi bucolique dans les propos qu'y fit graver Pharaon, son but étant, rappelez-vous, de remercier Amon de lui avoir permis, en rentrant victorieux du Rétchénou, d'être non seulement un souverain incontesté sur tout ce que le soleil entoure mais également le propriétaire d'une terre féconde.

     Ce n'est certes pas avec le "Linné" sous le bras que je vous accueille ce matin pour, comme promis, vous présenter le fruit du mimusops dont vous avez pu voir précédemment les diverses espèces tératologiques proposées à Karnak et les comparer avec l'exemplaire déposé ici, à l'extrémité droite de la tablette vitrée accrochée côté Seine 

Fruit du mimusops

dans la vitrine 6 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre où nous sommes revenus, mais avec des connaissances actualisées grâce à une égyptologue spécialisée dans le domaine de l'archéobotanique invitée pour la circonstance : Nathalie Baum, Docteur en Philosophie et Lettres de l'Université libre de Bruxelles qui, sans pitoyable jeu de mots de ma part, honore admirablement son nom d'origine allemande puisqu'elle nous offre une étude de la végétation arborescente et arbustive des rives du Nil antique en s'appuyant sur celle présente dans la tombe thébaine (TT 81) située à Cheikh abd el Gournah,d'Ineni, haut dignitaire un demi-siècle durant, au cours de la première moitié de la XVIIIème dynastie

     Ce superbe modèle en faïence bleue (E 14190) datant vraisemblablement du Moyen Empire vous permet de constater que ce fruit était de forme ovoïde, parfois un peu plus oblong, et mucroné, c'est-à-dire pointu en son extrémité.

     Dans la réalité, il était vert et d'un goût plutôt désagréable à l'entame ; puis, à maturité, jaune, charnu et doux. Il renfermait deux ou trois graines amères.

     Il poussait sur un arbre que les spécialistes définissent d'un nom évidemment latin : le Mimusops laurifolia, selon la nomenclature la plus récente, conspécifique du Mimusops Schimperi et que les Égyptiens nommaient Chouab, terme qui fut habituellement traduit perséa par les auteurs classiques.

     Pour approcher l'exhaustivité que souhaiteraient peut-être certains de mes lecteurs férus de botanique, mais approcher seulement, pas atteindre, moi qui suis néophyte en la matière, j'ajouterai qu'il fait partie d'une famille que les scientifiques ont baptisée : les Sapotacées.

     Le laurifolia est un arbre sempervirent, - comprenez : à feuillage persistant -, de 15 à 20 mètres de hauteur qui vivait et vit toujours dans certaines contrées d'Afrique orientale : Éthiopie, Yémen et nord-ouest de la Somalie, mais plus du tout en Égypte actuelle.

     Si, partiellement car ils ne sont pas toujours entièrement fiables, je me réfère aux auteurs antiques comme Théophraste ou Diodore de Sicile par exemple, il appert que nous ne devons pas l'estimer indigène dans la mesure où il ne fut implanté au pays des Deux-Terres, en provenance d'Éthiopie, via la Nubie, qu'à partir de la IIIème dynastie - fruits et graines ont été mis au jour dans le complexe de Djéser, à Saqqarah, ainsi qu'au temple de Sahourê (Vème dynastie), à Abousir -, qu'on le cultiva tant en Moyenne qu'en Basse-Égypte et que son déclin, puis sa disparition du territoire intervinrent à la fin de l'époque romaine, au 5ème siècle de notre ère donc, remplacé qu'il fut par la culture d'autres arbres fruitiers.  

     Ce sur quoi il me paraît le plus important d'insister à son propos, au-delà des nécessités simplement alimentaires mises en évidence par la littérature antique, c'est que ses feuilles, certaines elliptiques, d'autres obovées, toutes pointues et pubescentes en leur premier âge, mais aussi ses fleurs, courtes au bout de leur pédicelle, permirent aux proches de certains défunts de leur constituer qui un bouquet, qui une tresse ou un collier mortuaires pour les accompagner dans leur maison d'éternité.

     (Cette vidéo de quelque trois minutes vous donnera l'occasion d'admirer la guirlande funéraire de Ramsès II, conservée dans un herbier au Muséum d'Histoire Naturelle de Paris, rue Cuvier, dans le 5ème arrondissement, proche des rues Linné, - auquel j'ai rapidement fait allusion ce matin -, et Geoffroy Saint-Hilaire, autre grand naturaliste, français celui-là, qui par ailleurs accompagna Bonaparte lors de la Campagne d'Égypte à la fin du XVIIIème siècle.)

     Insister aussi sur le fait que si le fruit fit partie intégrante de parements floraux habillant cou et poitrine des corps momifiés, il n'en constitua pas moins - et notamment à partir du Nouvel Empire -, un apport emmi les offrandes accordées pour l'Au-delà. 

     Raison pour laquelle il fut maintes fois reproduit en divers matériaux - faïence, comme sur l'étagère en verre devant nous, ou orfèvrerie -, en guise de modèle à déposer aux côtés des cercueils dans les tombes.

     Insister également sur le bois de l'arbre qui servit à confectionner parfois une pièce du mobilier funéraire - une statue de culte ou un petit coffre -, parfois une cuillère ornée dont le cuilleron imitait tantôt l'aspect de la feuille, tantôt celui du fruit, ainsi que vous pourrez vous en rendre compte si, au terme de notre présente  rencontre, vous prenez la peine de vous rendre en salle 9 pour y admirer, au fond de la vitrine 3, à gauche N 1750 et, à droite, N 1743.

 

Cuillerons-mimusops.jpg

     J'allais presque oublier d'indiquer que le Papyrus médical de Londres (BM 10059) fait état de l'utilisation de la chair cuite de ce fruit, mélangée à de l'ocre rouge et de la galène, aux fins de préparer un onguent pour chasser les taches blanches dues à un endroit brûlé.

     Et le remède de préciser : Ce sera broyé avec du lait de sycomore. Enduire très souvent

     Avant de prendre congé de vous, amis visiteurs, avant d'envisager avec vous la semaine prochaine la symbolique que cèle le mimusops, j'aimerais vous demander quelques petits instants d'attention supplémentaires pour avancer une rapide mise au point botanico-sémantique.

     L'identité du chouab des textes égyptiens - le perséa dans la traduction des auteurs classiques -, fut parfaitement établie en 1890 par l'explorateur et naturaliste allemand Georg August Schweinfurth (1836-1925) : mais à l'instar de l'identification de la laitue dont je vous avais entretenu dernièrement, elle mit un certain temps à être définitivement admise par tous les botanistes, partant, par tous les égyptologues, pour la bonne et simple raison que les littérateurs antiques eux-mêmes invoqués tout à l'heure - Plutarque, Théophraste, Pline et autres Strabon ... -, confondirent plusieurs arbres - le sycomore, le perséa et le célèbre arbre-iched - sur base d'une analogie d'attributions établie par des écrits religieux - je pense notamment au chapitre 17 du Livre pour sortir au jour -, affirmant que Rê, le dieu soleil, réapparaissait chaque matin entre les deux arbres de l'horizon, divins, sacrés, symboles de renaissance, partant, d'immortalité : deux sycomores pour l'un, deux arbres-iched pour l'autre ou encore deux perséas.

     Des millénaires durant, ces espèces arboricoles furent ainsi allégrement amalgamées non seulement à cause d'une similitude dans les connotations religieuses, solaires, dont toutes trois se réclamaient, mais aussi à cause des botanistes qui mirent autant de temps à les identifier correctement, à les différencier dans leur systématique.

     Puis Schweinfurth vint, je vous l'ai dit, qui prouva que mimusops et perséa étaient parfaitement synonymes ; suivi, - 34 ans plus tard, quand même ! -, par l'égyptologue allemand Louis Keimer (encore lui !) qui établit scientifiquement la véracité des allégations de son compatriote.

     Autorisez-moi à vous épargner les autres discussions qui s'ensuivirent dans la communauté égyptologique (Maspero, Chassinat, Brugsch) pour tout de suite terminer, au milieu des années '80, avec l'Allemande Renate Germer qui démontra irrévocablement - enfin, j'aime à le croire ... -, que le chouab des Égyptiens est bien le perséa dans la traduction des auteurs anciens et le mimusops laurifolia (conspécifique du Schimperi) dans la taxinomie des botanistes.

     Et ceci, mais qui relève d'une autre histoire à laquelle, déjà, j'ai fait allusion, l'arbre-iched est à définitivement identifier au Balanites aegyptiaca, et non plus au perséa.

     Des siècles et des siècles de confusions, de discussions, de tergiversations, de convictions ...

     Souvenons-nous de cet aphorisme de Nietzsche dans Humain, trop humain (Robert Laffont, Bouquins, Tome 1, p. 657 de mon édition de 1993) :

     Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges.   

     (Merci à Etienne, un ami membre du Forum d'égyptologie que nous fréquentons tous deux d'avoir découvert la vidéo de la guirlande florale de Ramsès II et, surtout, de m'avoir permis de l'exporter ici pour vous.)

BIBLIOGRAPHIE

AMIGUES Suzanne

Les plantes associées aux dieux égyptiens dans la littérature gréco-latine, ERUV II, Montpellier 2001, pp. 429-31.

BARDINET  Thierry

Les papyrus médicaux de l'Égypte pharaonique, Paris, Fayard, 1995, p. 492.

BAUM  Nathalie

Arbres et arbustes de l'Égypte ancienne, OLA 31, Louvain, Peeters, 1988, pp. 87-90 et 263-73.

BEAUVERIE Marie-Antoinette

Description illustrée des végétaux antiques du Musée égyptien du Louvre, B.I.F.A.O. 35, Le Caire, I.F.A.O., 1935, pp. 133-4.

BEAUX Nathalie

Le Cabinet de curiosités de Thoutmosis III, OLA 36, Louvain, Peeters, 1990, pp. 158-60.

KOEMOTH  Pierre

Osiris et les arbres. Contribution à l'étude des arbres sacrés de l'Égypte ancienne, Liège, Aegyptiaca Leodiensia 3, 2011, pp 279-82.

WALLERT Ingrid

Der verzierte Löffel. Seine Formgeschichte und Verwendung im Alten Ägypten, Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1967, pp. 142 et 144.


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