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Un voyage en train : observations et drame conté

Publié le 20 mai 2014 par Dubruel

NOTES D’UN VOYAGEUR (d'après Maupassant)

Le train s’enfonce dans la nuit, haletant,

Éclairant murs, haies, bois, champs.

Dans le compartiment, en face de moi

Une dame et un monsieur à grosse voix.

À ma gauche, un bossu tient le coin.

À droite, un jeune ménage ou du moins

Un jeune couple. Sont-ils mariés légalement ?

La femme est blonde et lui, roux ardent.

Dès le début du voyage,

La dame dévisage

Le jeune d’un air joyeux.

Le monsieur à grosse voix ferme les yeux.

Le bossu se tient comme un paquet

Jeté sur la banquette.

Le monsieur à grosse voix semble inquiet.

Je fais semblant de dormir et je guette.

Les jeunes gens demeurent sans parler.

Neuf heures. La dame penche la tête.

Elle dort. C’est fait.

Le bossu ronfle comme une toupie.

À mon tour, je m’assoupis

Mais de temps en temps, je me réveille.

Nous arrivons à Marseille

Les jeunes gens sont enlacés.

Vingt-six minutes d’arrêt.

Je vais m’asseoir à la buvette et déjeune.

Quand je reviens, nous avons le bossu en moins

Et deux vieux en plus, dans les coins.

Nous repartons.

Les ménages, l’ancien et le jeune,

Déballent des provisions.

Poulet par-ci, veau froid par-là, sel, poivre,

Cornichons dans un mouchoir…

Tout ce qui peut vous dégouter

Des nourritures pour l’éternité !

Je ne sais rien de plus inconvenant

Que de manger dans un compartiment

Où se trouvent d’autres voyageurs.

Vous avez le tabac en horreur,

…Et votre voisin de banquette

Fume cigarettes sur cigarettes !

Rendez à ces goujats la monnaie

De leur grossièreté.

Livrez-vous aux plus gênantes excentricités :

Mettez-vous à chanter, à hurler,

Sifflez si vous voulez, retirez vos souliers,

Coupez-vous les ongles des pieds,

Crachez les pépins

De votre melon ou ceux du raisin

Mangez de l’ail,

Renversez votre chope de bière

Bafrez comme un cochon vos mangeailles

Pour montrer à ces malappris

Ce qu’il convient de ne pas faire.

Nous suivons la mer bleu-gris.

Le soleil inonde ces villes si belles :

Hyères, Cannes, Saint-Raphaël…

Sur son rocher, voici Monaco

Et derrière, Monte-Carlo.

Plus loin, Menton. Les oranges murissent ;

Les poitrinaires guérissent.

Un des deux vieux nous raconta

Des histoires d’assassinats

Dont ce drame-ci :

« Dans le train, un homme voyait son fils

Se pencher à la fenêtre pour s’amuser.

Sans cesse son père lui disait :

‘‘Hé ! prends garde, Mattéo,

Te penche pas trop,

Que tu pourrais t’attraper du mal, voyons !’’

Mais le garçon,

Comme il n’entendait point,

Ne répondit seulement point.

Alors son père le tira par le veston

Pour le faire rentrer dans le wagon.

Le corps tomba sur nos genoux.

L’enfant n’avait plus de tête sur son cou. »


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